1. A) Remarques liminaires

 

Selon la formule consacrée, la vérité, c’est la vérité, rien que la vérité et toute la vérité. De la vérité additionnée d’autre chose, c’est de la vérité frelatée, donc du mensonge. De la vérité amputée, c’est de la vérité tronquée, donc également du mensonge.

 

Que Jésus soit le Sauveur personnel de chacun d’entre nous et que nous soyons personnellement appelés à accepter Son salut en nous reconnaissant pêcheur et en choisissant de marcher désormais à Sa lumière, c’est vrai. Mais ce n’est pas toute la vérité.

 

Nous sommes personnellement sauvés pour constituer des sortes de briques insérées dans des familles de sauvés, des cités de sauvés, des régions de sauvés et des pays de sauvés, en vue d’un monde de sauvés. Le salut, la rédemption par Jésus a aussi une dimension collective. Certains passages de la Bible, y compris du Nouveau Testament, ne sont plus intelligibles si l’on n’a du salut qu’une compréhension strictement individuelle et personnelle.

 

« Paul et Silas répondirent : Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé, toi et ta famille » (Actes 16 :31). Avez-vous remarqué que Paul et Silas ne dirent pas « Croyez au Seigneur Jésus toi et toute ta famille et vous serez sauvés » ? La conversion du père de famille ouvrirait la porte du salut à tous ceux qui lui étaient liés au plus près.

 

« Alors il se mit à faire des reproches aux villes dans lesquelles avaient eu lieu la plupart de ses miracles, parce qu’elles ne s’étaient pas repenties. Malheur à toi, Chorazin! malheur à toi, Bethsaïda! car, si les miracles qui ont été faits au milieu de vous avaient été faits dans Tyr et dans Sidon, il y a longtemps qu’elles se seraient repenties, en prenant le sac et la cendre. C’est pourquoi je vous le dis : au jour du jugement, Tyr et Sidon seront traitées moins rigoureusement que vous. Et toi, Capernaüm, seras-tu élevée jusqu’au ciel ? Non. Tu seras abaissée jusqu’au séjour des morts; car, si les miracles qui ont été faits au milieu de toi avaient été faits dans Sodome, elle subsisterait encore aujourd’hui » (Matthieu 11 :20-23). C’est bien Jésus qui parle. Est-ce que vous imaginez que tous les gens qui vivaient en Prusse orientale, en Silésie et en Poméranie en 1944/1945 étaient des criminels nazis, que personne n’y avait la crainte de Dieu ? Et pourtant le jugement s’est abattu d’une façon terrible sur cette partie de l’Allemagne, y compris sur des petits enfants évidemment innocents.

 

Les Chrétiens qui croient que les lois spirituelles du Nouveau Testament ne sont plus celles de l’Ancien Testament se fourvoient. Nous n’existons pas seulement comme personne mais aussi comme famille, comme cité, comme région, comme pays et le jugement de Dieu peut frapper à chacun de ces niveaux car chacun de ces niveaux doit être sauvé et sanctifié.

 

Quelle folie que celle de tant de Chrétiens qui se croient à l’abri dans des pays « laïcs », c’est à dire en rébellion contre l’autorité de Dieu, alors que Dieu les appelle au contraire à allumer leur pays de la flamme du salut en Jésus.

 

Pour approfondir le sujet, je vais commencer par poser la question suivante  : la France, qu’est ce que c’est ?

 

Incontestablement, c’est un État. « État », c’est une notion juridique. Un État rassemble sur un territoire une population qui est soumise à un même pouvoir. Ainsi constitué et reconnu tel par les autres États, un État est un sujet de droit international public. Il est, en principe, juridiquement souverain. C’est à dire que sa population n’est pas assujettie contre son gré au pouvoir d’un autre État. La souveraineté est à un État ce que la liberté est à un individu.

 

La France est aussi un pays. Le terme « pays » est cependant beaucoup moins précis que le terme « État ». Le mot pays dérive du mot latin « pagus » qui avait, sous l’Empire romain, désigné un territoire rural constituant une unité administrative, continuant souvent d’anciennes divisions claniques ou tribales. Il s’opposait alors à la cité qui était le territoire administré directement à partir d’une ville. On observera que le mot « païen » a la même racine, sans doute parce que le judaïsme, puis le christianisme, essaimèrent d’abord dans des cités et que, par contraste, les régions rurales conservèrent bien plus longtemps les cultes aux faux dieux.

 

Il en résulte que le mot « pays » peut désigner aussi bien la même unité territoriale qu’un État tout autant que des fractions de celui-ci, le Pays Basque, le Pays d’Auge. Quand quelqu’un dit qu’il retourne au pays, il parle plus probablement de son village d’origine.

 

Un troisième mot est encore plus imprécis, « nation ». De nos jours, le mot a pris, en France, un contenu philosophico-politique. Il y a là une bonne dose du contrat social à la Jean-Jacques Rousseau, l’idée que des individus décident de faire société ensemble et que toutes les structures procèdent de cette volonté et d’elle seulement. Il y aussi là-dedans pas mal de philosophie dite « des lumières », c’est à dire maçonnique.

 

Les choses se présentent de façon assez similaire dans la plupart des pays voisins.

 

L’Italie est juridiquement un « Stato ». Elle est aussi un « paese », avec ce que le mot a d’aussi vague en italien qu’en français. Quant au mot « nazione », il est lui aussi réservé à la sphère politique et, comme les Français, il n’est pas certain que les Italiens aient tous une idée parfaitement claire de ce que la notion recouvre.

 

L’Espagne est un « Estado », notion juridique. Le mot « país » est plus général, plus affectif aussi. Le mot « nación » est plus polémique dans un pays où s’affirment fortement des identités infranationales. Il est clair que les Basques, les Catalans, les Galiciens n’ont pas nécessairement l’impression de former une nation avec le reste de la population espagnole.

 

Pour la même raison, le terme « natie » n’a guère cours en Belgique. Tous s’accordent sur le fait que la Belgique soit un « staat », même si certains en souhaitent ardemment la disparition. Il n’est déjà plus si sûr qu’il soit reconnu comme un « land », mais plutôt comme un agrégat de « landen ».

 

Vu sa petite taille, le Luxembourg n’est pas en proie à ces questionnements. Il est juridiquement un « Stat » et aussi affectivement un « Land », « d’Lëtzebuerger Land ». On utilise en revanche fort peu le mot « Natioun » au Luxembourg.

 

L’histoire a fait que l’Allemagne répugne à se reconnaître comme autre chose qu’un « Staat », la notion clairement juridique. Dans un pays très décentralisé, le mot « Land » évoque d’abord et avant tout les entités infranationales qui ont, pour plusieurs d’entre elles, la Bavière, la Saxe, les villes hanséatiques, etc …. une identité historique très forte. La notion de « Nation » a été tellement manipulée par le totalitarisme qu’elle ne fait guère recette Outre-Rhin.

 

Si l’on se transporte aux États-Unis, on découvre  une situation extrêmement intéressante. Le mot « state » y désigne pour tout le monde les 50 entités fédérées. Par conséquent, les Américains se réfèrent la plupart du temps au mot « nation » quand ils parlent de l’État fédéral que constitue les États-Unis. Comme ce pays est, en réalité, l’épicentre du Christianisme évangélique, il est devenu extrêmement courant pour les Chrétiens évangéliques d’appeler les « États », « nations » et de faire coïncider, par ce biais, les notions d ‘  « État », de « nation » et de « goïm ». Et nous allons donc voir ce qu’il faut en penser. Comme en français, les Américains ont aussi des mots plus vagues « land », mot germanique que l’on a déjà rencontré en néerlandais, en luxembourgeois et en allemand, ainsi que « country », le parent anglo-normand du mot français « contrée ».

 

Tout aussi intéressante est la situation du Royaume Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du nord. Elle est même la plus intéressante pour la poursuite de la réflexion. Le Royaume-Uni est un État, au sens juridique du terme. Ce que l’on appelle « nations », Outre-Manche, c’est l’Angleterre, l’Ecosse, le Pays de Galles et l’Irlande. Le cas de l’Irlande est paradigmatique pour illustrer que les notions d’« État » et de « nation » ne coïncident pas, contrairement aux discours dominant chez les Chrétiens évangéliques, puisque l’on a ici clairement une nation répartie entre deux États.

 

Mais il y a encore une autre notion juridique qui s’applique Outre-Manche, celle de « Crown », la Couronne. Cette notion ne recouvre pas celle d’État. Il y a Outre-Manche une Couronne d’Angleterre et c’est à elle que sont rattachées notamment l’Ile de Man, l’île de Jersey, l’île de Guernesey et d’autres îles Anglo-Normandes qui ne font pas partie du Royaume-Uni.

 

Les légitimités procèdent du Droit et de lui seul. Après avoir longuement souffert de pillages de Vikings, la France (je parle de la France occidentale, j’y reviendrai), en la personne de son roi Charles III, jugea habile de conférer à des Danois un Duché de grande taille détaché de la Neustrie, tout en restant vassal du Roi de France. Ce fut donc par le traité de Saint-Clair-sur-Epte de 911 que fut constituée la base juridique du Duché de Normandie. Un siècle et demi plus tard, un Duc de Normandie mit fin au pouvoir d’autres Danois (Danelaw) en les vainquant en Angleterre à la bataille d’Hastings, en 1066. Ce faisant, le Duc Guillaume devint Roi d’Angleterre. Juridiquement, il est donc devenu à la fois Roi, et Roi d’un Royaume complètement indépendant, je veux dire sans lien de vassalité avec un Empereur, tout en restant en Normandie Duc, et vassal du Roi de France.

 

Cette situation perdura longtemps, jusqu’à l’époque du Roi Jean Sans Terre. A ce moment-là, le Roi de France Philippe-Auguste confisqua le Duché de Normandie à son vassal au motif de félonie. Toutefois, la confiscation ne s’étendit pas aux îles anglo-normandes, raison pour laquelle elles restèrent sous le sceptre des Rois d’Angleterre, mais pas en cette qualité, du fait qu’ils avaient été les Ducs de Normandie et que cette portion du Duché leur était restée.

 

Eh bien, il en allait rigoureusement de même en France jusqu’à la révolution française. Il y avait donc aussi, de ce côté de la Manche une « Couronne de France » et il s’agissait d’une notion de droit public qui ne se confondait pas avec l’État « France ».

 

  1. B) Les trois Couronnes de France

 

Mais d’abord, à quand remonte cette Couronne ?

 

Elle fut créée à la suite du partage en 843, par le traité de Verdun, de l’Empire que le Roi Louis le Pieux avait hérité de son père Charles le Grand, plus connu comme Charlemagne. Par le traité de Verdun étaient créés trois Royaumes, donc trois Couronnes, désignées en latin, la seule langue alors officielle, « Francia occidentalis », « Francia mediana » et « Francia orientalis ». Ici, il est nécessaire de faire justice d’une falsification de l’histoire. Dans tous les actes médiévaux rédigés en latin, « France » se dit « Francia ». Par conséquent, il n’a JAMAIS rien existé, contrairement à ce que vous verrez dans force livres et manuels d’histoire, quoi que se soit qui se fût appelé « Francie ». C’est une malhonnête réécriture de l’histoire.

 

La vérité est que, au traité de Verdun, fut créé un Royaume de France occidentale dont la frontière fut fixée sur ou en deçà des cours de l’Escaut, de la Meuse, de la Saône et du Rhône. Je conçois qu’il soit fort déstabilisant, pour une certaine vision « parisocentrique » de l’histoire du continent, que les territoires occupés actuellement par l’Allemagne et l’Autriche constituaient le Royaume de France orientale. Mais c’est ainsi.

 

Quant au Royaume de France centrale, parce qu’il était conféré à celui des fils de Louis qui conservait le pouvoir impérial, il fut appelé aussi Royaume de Lothaire (encore Lotharingie, d’où Lorraine), c’est à dire le royaume qui lui appartenait en propre. Il faut donc bien se mettre en tête, ce que l’histoire officielle répugne à faire, qu’il restait juridiquement Empereur aussi au-dessus de la France occidentale et de la France orientale, et que les Rois de celles-ci étaient ses vassaux. La question de l’effectivité de leur allégeance est d’un tout autre ordre. Le Droit ne varie pas en fonction de telles considérations.

 

Si l’Empire de Charlemagne fut divisé en trois parties qui furent appelées respectivement France occidentale, France médiane et France orientale, c’est bien parce que l’on considérait alors que la France, c’était le territoire que recouvraient les trois Royaumes. La vérité commande donc d’appeler Charlemagne et Louis le Pieux « Empereurs de France ».

 

Au cours des décennies qui suivirent, l’histoire fut tourmentée. Ce qui incarnait la subsistance de l’Empire, c’était la fratrie des petits-fils de Charlemagne. Or, c’était incontestablement un socle insuffisant pour lui assurer la pérennité d’un cadre étatique. Avec le temps, d’autres générations accéderaient aux différents trônes avec de moins en moins de sensibilité pour la commune origine familiale.

 

Et en effet, c’est seulement douze ans plus tard, à Prüm, qu’un Lothaire malade partagea à son tour son royaume entre ses fils, quelques jours avant sa mort. Louis, l’aîné, reçut la dignité impériale et le Royaume d’Italie. Au vu du caractère tellement personnel et relationnel de ce qui subsistait de l’Empire à partir de Verdun, on imagine à quel point l’ascendant du neveu allait devenir théorique sur ses deux oncles.

 

Le plus jeune fils de Lothaire, Charles, reçut la partie du royaume baignée par les cours de la Saône et du Rhône, soit une grande partie du Royaume des Burgondes qui avait existé avant l’Empire.

 

C’est au cadet, Lothaire, que revint toute la partie septentrionale et c’est donc dorénavant seulement celle-ci que l’on appellera Lotharingie.

 

Le royaume de Charles ne survécut pas à la mort de celui-ci, sans postérité, en 863. Il fut dès lors partagé entre ses deux frères.

 

Lorsque, à son tour, Lothaire II mourut en 869, toute la succession aurait dû obvenir à Louis, Empereur et Roi d’Italie. Pourtant, dans un premier temps, c’est le Roi de France occidentale Charles le chauve qui s’empara de la Lotharingie où il se fit couronner roi à Metz le 9 septembre 869.

 

La réaction du Roi de France orientale fut rapide et obligea Charles à composer.

 

Les deux frères signèrent ainsi en août 870 un traité de partage à Mersen (Meerssen).

 

La frontière du Royaume de France occidentale fut reportée sur la Meuse, l’Ourthe, la Moselle, la Saône et le Rhône. Cependant, par endroit, elle s’étendit au-delà avec une partie de la Hollande, du Comté de Varais (Besançon) ainsi que le Viennois. Le reste, et il représentait un territoire très considérable, agrandit la France orientale.

 

L’une des conséquences de ce traité fut la disparition du Royaume de Lotharingie.

 

Le fait qu’un tel partage ait pu s’effectuer sans que Louis, Empereur et Roi d’Italie, soit parvenu à l’empêcher, montre à quel point la dignité impériale avait été abaissée après la mort de Lothaire Ier.

 

En 875 mourut le Roi d’Italie, dernier fils de Lothaire Ier. Charles le chauve se précipita sur la couronne impériale et se fit couronner empereur à Rome par le pape le 25 décembre 875.

 

Le Roi de France orientale mourut à son tour le 28 août 876. Charles tenta alors de reconquérir la partie de la Lotharingie qui lui avait échappé à Mersen. Toutefois, les fils de Louis, ses neveux Carloman, Louis et Charles, lui résistèrent avec succès.

 

La France orientale fut partagée à son tour. Carloman reçut la Bavière ; Louis le jeune le nord du Royaume, Saxe, Franconie et l’essentiel de la Lotharingie orientale ; et Charles le gros l’Alémanie (Souabe, Suisse actuelle et aussi Alsace).

 

Le 6 octobre 877, Charles le chauve mourut.

 

Son successeur, Louis le bègue, ne régna que deux ans. A sa mort en 879, la France occidentale fut partagée en deux entre ses fils. A l’aîné, Louis III, revint la Neustrie (c’est à dire le bassin parisien, la basse vallée de la Loire et l’actuelle Normandie) tandis que Carloman reçut tout le sud, essentiellement Bourgogne, Auvergne, Aquitaine et Gascogne.

 

C’est donc une France occidentale divisée et affaiblie qui fut confrontée aux prétentions d’un des cousins de Louis III et Carloman, le fils du Roi de France orientale Louis le jeune. Celui-ci occupa une grande partie de la Lotharingie occidentale dès 879.

 

En 880, par le traité de Ribemont, la France occidentale céda toute la Lotharingie occidentale à Louis le jeune. C’est à dire que la France occidentale retrouva sa frontière orientale du traité de Verdun. Désormais, pendant quatre siècles, le Royaume de France occidentale ne déborderait plus au-delà de cette frontière.

 

On ne comprend pas ce retournement si l’on n’a pas à l’esprit que, au même moment, Louis III était aux prises avec des attaques danoises (Vikings).

 

Devenu Roi d’Italie en 879, Charles le gros put encore augmenter son pouvoir à la mort de son frère Carloman. Le 12 février 881, il fut couronné empereur par le pape. Sur ces entrefaites, Louis le jeune mourut à son tour en 882. Ayant ainsi hérité de la part de ses deux frères, Charles le gros recouvra le Royaume de son père.

 

En France occidentale, Louis III mourut le 5 août 882. Puis, ce fut au tour de Carloman le 12 décembre 884. Le dernier fils de Charles le chauve étant encore un enfant, la régence fut confiée à son cousin Charles le gros. A ce moment-là, l’Empire de Charlemagne fut de facto pratiquement reconstitué. Toutefois, Charles ne fut pas sacré Roi de France occidentale. C’est donc en tant qu’Empereur qu’il la gouverna, ce qui démontre aussi que, à la fin du IXème siècle, la France occidentale faisait toujours partie d’un même ensemble politique avec la France orientale.

 

Mais le pouvoir de Charles sera de courte durée. En novembre 887, les nobles de France orientale le déposèrent au profit d’Arnulf de Carinthie, fils illégitime de feu Carloman, Roi de Bavière.

 

En France occidentale, les nobles élurent Roi le Comte Eudes au début 888. Deux dynasties distinctes scellèrent l’éloignement progressif des deux entités issues de l’Empire de Charlemagne.

 

La France orientale conservera des souverains carolingiens jusqu’en 911. A partir de 919, la Couronne revint au Duc de Saxe, Henri l’oiseleur. Son règne s’ouvrit par un démembrement de l’ancien Royaume de Lotharingie. L’Alsace fut rattachée au Duché de Souabe tandis qu’une grande partie des Pays-Bas actuels fut intégrée au Duché de Saxe.

 

Le fils d’Henri l’oiseleur, Otton, lui succéda à sa mort le 2 juillet 936. Après avoir ajouté sur sa tête la Couronne d’Italie à la Couronne de France orientale, il devint Empereur en 962 de l’entité que l’on appellera par la suite Saint Empire romain-germanique. Désormais, on ne parlera plus guère de France orientale, de sorte que le royaume de France occidentale sera le seul à conserver le nom de la tribu germanique fondatrice. Même si Hugues Capet, qui fut élu Roi de France en 987, était petit-fils d’Henri l’oiseleur par sa mère, il est clair que les deux États oublieront désormais de plus en plus qu’ils étaient deux parties d’un ancien tout.

 

Hugues Capet se proclama « Rex Francorum ». Il faut se garder de traduire hâtivement « Roi des Francs ». En effet, le latin est ici plus ambigu que le Français et il est plus vraisemblable qu’il s’agissait de « Roi de Francs » puisque, comme on l’a vu, même si l’Empire voisin ne s’appelait plus en référence à la France centrale et à la France orientale, le souvenir de ces Royaumes n’avait pas encore disparu des mémoires.

 

  1. C) Les Francs

 

Mais, qu’est-ce qu’étaient au juste les Francs ?

 

Contrairement à une vision simpliste, ils n’apparurent pas sur la scène de l’Histoire à la disparition de l’Empire romain d’occident. Pour des raisons que l’on connaît mal, faute de sources, qui ont parfois tenu à des épidémies mais qui ne suffisent pas à expliquer le phénomène, la Gaule romaine a été en proie à une dépopulation de ses campagnes qui a préoccupé les autorités militaires romaines dès le milieu du IIème siècle.

 

Les Romains réagirent d’abord de manière militaire pour entraver les incursions germaniques qui allèrent en se multipliant au IIIème siècle. Puis, de plus en plus, les Romains tolérèrent puis légitimèrent les installations de tribus germaniques notamment dans les actuels Pays-Bas et en Rhénanie.

 

On sait ainsi que des Francs s’installèrent dans la vallée de la Moselle dès la fin du IIIème siècle. Le fait est important du point de vue linguistique car nous savons, par le témoignage sûr et crédible  de Jérôme, le traducteur de la Bible en latin, qui vécut à Trèves à la fin du IVème siècle, que les Galates parlaient la même langue que les Trévires, preuve indirecte que le gaulois était encore parlé dans la région de Trèves au IVème siècle. Par conséquent, c’est de lèvres encore celtophones que les Francs y apprirent le latin qui devait, un temps, leur servir de langue de communication interethnique.

 

On observe donc une stabilisation précoce d’une population germanique, identifiée comme franque, à l’intérieur du nord de la Gaule. A la fin du Vème siècle, sur les décombres de l’Empire romain d’occident, se constitua, à partir de la Flandre actuelle, un Royaume franc dont Childeric fut probablement le premier Roi. Son successeur, son fils Hlodovic, ou Ludwig, ou Clovis, est indubitablement le personnage qui changea la destinée de son peuple. Tout d’abord, il vainquit Syagrius, un militaire gallo-romain qui était devenu de facto le dirigeant du nord de la France. Vainqueur à la bataille de Soissons, Clovis étendit son Royaume sur la Neustrie qui couvrait, grosso modo, la Picardie, la Normandie, l’Ile de France et Lutèce, la Champagne et le Val de Loire, donc beaucoup d’excellentes terres arables. Il fit progressivement reconnaître son autorité aux autres tribus franques que les seuls Saliens dont il était issu.

 

Un grand tournant eut lieu à Zülpich (Tolbiac), bataille d’abord incertaine contre une autre tribu germanique, celle des Alamans. L’histoire moderne se plaît à discréditer le récit traditionnel selon lequel Clovis se serait engagé à devenir Chrétien si le Dieu de la Bible lui donnait la victoire. Comme il est indubitable que Clovis se convertit effectivement au Christianisme, la rëécriture des faits historiques le présente comme une habileté, un calcul pour s’assurer l’appui de l’Église. C’est tout juste si on n’en fait pas un franc-maçon ! La vérité est qu’un Germain de ces temps comprenait nécessairement le monde comme placé sous la férule de dieux invisibles mais puissants dont les destins des hommes dépendaient de la faveur.

 

Vu la suite des événements, il n’y a guère de doute que, en prenant le baptême chrétien, lui et toute sa noblesse militaire, Clovis conclut délibérément une alliance avec le Dieu de la Bible. Certes, il ne s’agit pas de l’alliance unique, éternelle, d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, mais il s’agit d’une alliance qui engagerait dorénavant les Francs en tant que peuple.

 

La suite de l’histoire est faite d’accroissements d’un territoire qui formait plutôt une bande allant de l’actuelle France du nord à l’Allemagne du sud, ponctués aussi de partages entre fils de Roi. C’est d’ailleurs sur cette bande qu’ont été longtemps parlés les dialectes germaniques dits « franciques », qui se caractérisent par un impact limité de la mutation consonantique propre au haut-allemand, avec notamment le flamand de Belgique occidentale et du Westhoek de Dunkerque où cet impact n’a pas eu lieu, le « Kölsch » de Cologne, le Luxembourgeois où l’impact a été plus sensible, le francique mosellan parlé notamment en Sarre allemande, à Sarreguemines et à Saint-Avold jusqu’aux régions nord de la Bavière qu’on appelle en français « Franconie » mais « Franken » en allemand. On ne saurait donc être plus clair quant au fait qu’il s’agit bien des Francs en tous ces lieux et que la France actuelle n’en a jamais eu le monopole.

 

Quoi qu’il en soit, on observe ensuite tout au long de siècles d’histoire une fidélité des pouvoirs francs à l’alliance conclue en Clovis avec le Dieu d’Abraham, n’en déplaise aux historiens maçonniques.

 

Ce processus culmine avec Charlemagne. Comme on l’a vu, sa France couvre alors non seulement la France actuelle moins la Bretagne mais aussi le Benelux, la Suisse, l’Autriche, l’Allemagne et le nord de l’Italie actuels. Dieu a pris cette alliance au sérieux, n’en doutons pas. Et c’est en Clovis que ces peuples qui ont été la France de Charlemagne et de Louis le pieux sont, jusqu’aujourd’hui, au bénéfice d’une alliance avec le Dieu d’Abraham, avec le Christ. Si cette alliance n’a pas la même portée que celle d’Abraham, elle fonctionne comme celle d’Abraham et s’est renouvelée de parents à enfants au cours des siècles. La nécessité de la démarche de conversion personnelle, qui existe d’ailleurs tout autant pour les descendants d’Abraham, ne se substitue pas à cette alliance qui est d’un autre niveau.

 

  1. D) Le Barrois mouvant

 

Mais revenons à la Couronne de France occidentale. La frontière tracée au Traité de Verdun fut respectée jusque sous Philippe le Bel. Avant lui, la question de la vassalité ou au moins de la subordination du Royaume de France (je ne préciserai plus « occidentale » dorénavant puisque seul ce royaume-ci conservait cette dénomination de « France ») à l’Empire romain-germanique, ne fut jamais évoquée. Il semble que ce fut le conseiller juridique, plutôt un expert en torsion du Droit en fonction des intérêts de Philippe le bel, Nogaret, qui fut à l’origine de la proclamation que le Roi de France est Empereur en son Royaume. C’était juridiquement une ânerie puisque, comme nous l’avons vu, c’est une couronne royale et non une couronne impériale qui fut créée à la suite du traité de Verdun mais, d’un point de vue politique et diplomatique, cela valait négation, certes purement unilatérale, de la persistance d’une quelconque relation de subordination du Royaume de France à l’Empire.

 

Cela étant, les choses allèrent alors bien plus loin. Le faux monnayeur sans scrupule, resté tristement célèbre notamment pour son intervention brutale contre le Pape Boniface VIII à Rome, l’installation du pape-marionnette Clément V à Avignon et la mise à sac de l’Ordre des templiers, aura été aussi le premier à s’en prendre à la frontière orientale multiséculaire.

 

Le Roi Philippe avait épousé Jeanne, héritière du riche Comté de Champagne. Alarmé par l’inéluctable extension du domaine royal sur sa frontière occidentale, le Comte Henri de Bar chercha un appui en Angleterre en épousant en 1293 Aliénor, fille du Roi Edouard Ier. De ce fait, le Comte s’attira une hostilité encore plus vive de la part du Roi de France.

 

Fait prisonnier par Philippe en 1301, le Comte Henri dut payer au prix fort sa libération en reconnaissant, dans sa geôle à Bruges, le Roi de France pour son suzerain au titre de la plupart des terres comtales situées sur la rive gauche de la Meuse. Seules échapperont à la rapacité de Philippe les Seigneuries de Clermont-en-Argonne et de Vienne-le-Château que le Comte de Bar tenait en arrière-fiefs de l’Evêque de Verdun. Or, ce dernier relevait directement de l’Empereur lui-même, dont on reste médusé de l’absence de réaction à la mesure de l’enjeu. Il faut dire que, en 1301, l’Empereur Albrecht 1er de Habsburg était aux prises avec l’opposition de quatre des sept électeurs qui auraient pu le déposer. Il est donc vraisemblable que l’Empereur ait fermé les yeux sur l’affaire en échange d’une neutralité de la France dans ses propres vicissitudes intérieures.

 

Quoi qu’il en soit, le coup de force de Philippe aboutissait de facto à faire reculer la frontière de l’Empire et à placer plus d’un tiers du Barrois sous l’autorité du Roi de France. Que cela changeât de jure la frontière est une autre affaire. Comme le Comte de Bar était vassal de l’Empereur pour tout le Comté de Bar, l’interposition du Roi de France faisait plutôt de celui-ci un vassal de l’Empereur au titre du Barrois mouvant. C’est dire à quel point la situation créée par Philippe le Bel était juridiquement confuse.

 

  1. E) L’Evêché de Viviers

 

Enhardi par son coup de force, Philippe le Bel chercha à étendre son pouvoir sur les territoires en rive droite du Rhône. En effet, par le traité de Verdun de 843, les comtés qui chevauchaient les cours d’eau frontaliers restaient terre d’Empire. Il en était résulté notamment que le Vivarais n’avait pas été rattaché à la France occidentale. Or, au début du XIVème siècle, le Vivarais ëtait sous l’autorité du Comte-évêque de Viviers. La prise de contrôle de l’Evêché par la France a sans doute été facilitée par l’installation en Avignon d’un pape marionnette à la solde de Philippe. Que cela ait suffi à juridiquement modifier la frontière de l’Empire est une autre question.

 

  1. F) Le Comté de Lyon et de Forez

 

En 1312, Philippe le bel récidiva et s’empara de la Ville de Lyon et de tout le Comté lyonnais. La voie de fait avait été précédée d’épreuves de force avec l’Archevêque de Lyon. Par le traité de Vienne, que Philippe violera rapidement, l’Archevêque lui transféra le pouvoir temporel sur le Comté.

 

Cette fois-ci, il y eut des protestations de l’Empereur Henri VII mais il en aurait fallu davantage pour impressionner un démon de la trempe de Philippe le bel.

 

Il était le petit-fils de Louis IX dont l’Église catholique romaine a hâtivement fait un saint. Ce monarque était incontestablement très religieux mais il fut aussi l’un des premiers Rois de France à passer à un antisémitisme actif, qui culmina en 1269 avec l’imposition du port du signe de la rouelle sur les vêtements, une sorte de préfiguration stigmatisante de l’étoile jaune nazie. Sa mort d’une maladie infectieuse à Tunis dès l’année suivante ne fut guère un hasard mais certainement un signe et un jugement.

 

Philippe le bel perpétra pendant son règne moult spoliations et expulsions de Juifs du Royaume. Il y avait à Paris, à la pointe occidentale de l’actuelle Ile de la Cité, un îlot appelé alors « Ile aux Juifs » car c’est là qu’on suppliciait ceux qui s’aheurtaient à refuser d’embrasser la foi catholique romaine. L’endroit n’était accessible que par barque, ce qui garantissait le tranquille déroulement des exécutions, mais était bien visible des deux rives de la Seine, depuis les actuels Quai de Conti et Quai du Louvre, ce qui faisait des bûchers un spectacle où l’on venait en famille … !

 

En 1314, Philippe comparut devant le juste Juge qui ne fait pas acception des rois. Le plateau de la balance était lourd. L’épisode, relaté dans le livre de Samuel, de la mort du méchant Roi Saül et de ses trois fils les plus âgés, qui s’accompagna de la défaite d’Israël et de la saisie de l’Arche de l’Alliance par les Philistins, ouvrit une période tumultueuse qui se se termina par le transfert de la royauté  à David. Il y eut un peu de cela après la mort de Philippe. Ses trois fils lui succédèrent, Louis le Hutin de 1314 à 1316, Philippe le Long de 1316 à 1322 et Charles le Bel de 1322 à 1328 sans avoir eux-mêmes de descendant mâle qui leur survécût. Ce ne fut pas seulement la fin des Capétiens directs, c’est à dire de la descendance directe d’Hugues Capet par primogéniture mâle, mais aussi l’occasion de près d’un siècle de conflits armés avec l’Angleterre, dont il est juste de dire que le Roi avait de fort légitimes prétentions à succéder au trône de France, en tant que petit-fils de Philippe le bel ! Nous y reviendrons.

 

  1. G) Le Dauphiné de Viennois

 

C’est au cours de cette période mouvementé que, criblé de dettes, le prince du Dauphiné de Viennois chercha à le vendre au plus offrant et c’est le Roi de France Philippe VI, neveu de Philippe le bel, qui s’en porta acquéreur aux termes du traité de Romans en 1349. Cela étant, le fait qu’un vassal vende à un tiers des terres et les droits régaliens qui s’y exercent n’affecte pas en soi les droits féodaux qu’un suzerain à sur lesdites terres. Or, en l’occurrence, le Dauphiné de Viennois était bien terre d’Empire.

 

Comme on le sait, ce serait dorénavant le fils aîné du Roi de France qui serait Dauphin jusqu’à ce qu’il devienne Roi à son tour, auquel cas son propre fils aîné devenait Dauphin. Est-ce que cette construction visait à éviter que le Roi de France, s’il avait été aussi Dauphin de Viennois, fût à ce titre vassal de l’Empereur ? En tout cas, cela exprimait certainement, comme c’est le le cas de l’Ile de Man pour le Royaume-Uni, qu’il s’agissait d’un rattachement à la Couronne mais pas d’une fusion avec la France elle-même.

 

  1. H) Le Comté de Provence

 

Dans le cas du Comté de Provence, les choses furent juridiquement moins opaques car il avait été affranchi de la suzeraineté de l’Empire au XIVème siècle. Toutefois, lorsque le Comté obvint par héritage en 1481 au Roi Louis XI, les États de Provence formulèrent dans un acte de droit public de 53 articles les conditions juridiques qui devraient être appliquées et respectées. Il en résultait une union à la Couronne, comme le reflètent clairement ces déclarations des États de Provence  : « de se donner d’un cœur franc au Roi de France, et de le supplier de les recevoir en bons et fidèles sujets, les laissant vivre dans leurs statuts, coutumes, libertés et privilèges, avec assurance de n’être jamais désunis et séparés de la royale Couronne, à laquelle ils prétendaient être inséparablement attachés et unis, non comme un accessoire à son principal, mais principalement et séparément du reste du Royaume. » Le Roi y répondit par Lettres patentes du 24 octobre 1486 en prenant l’engagement suivant « Nous avons, pour nous et nos Successeurs Rois de France, voulu et voulons avoir et tenir nosdits Pays et Comtés de Provence, Forcalquier et Terres Adjacentes, sous nous et nos successeurs à ladite Couronne de France, perpétuellement et inséparablement, comme vrai Comte et Souverain Seigneur d’iceux, sans que jamais ils en puissent être aliénés ni transférés à quelques personnes, ni pour quelques causes ni occasions que ce soit ou puisse être en tout ou partie. Et quant à ce seulement, les avons adjoints et unis à nous et à ladite Couronne, sans qu’en icelle Couronne ni au Royaume ils soient, pour cela, subalternés pour quelque cause ni occasion que ce soit, ni aussi que pour ce aucunement puisse nuire, préjudicier, ni déroger à leurs libertés, franchises, conditions, chapitres de paix, lois, coutumes, droits, statuts, polices et manières de vivre esdits pays, qui leur ont été octroyés et confirmés en général et en particulier, soit à gens d’Eglise, nobles, villes, cités, communes et autres personnes quelconques, tant par les feus Rois, Reines, Comtes et Comtesses dudit Pays, qui par ci-devant ont été leurs lieutenans, gouverneurs, grands sénéchaux, que par nous, mais iceux leur avons de nouveau et d’abondant, par l’avis et délibérations que dessus, confirmés, loués et approuvés de notre certaine science, grace spéciale, pleine puissance et autorité royale par cesdites présentes, signées de notre main, par lesquelles promettons en bonne foi et parole de Roi, en jurons de tenir, garder et entretenir, ensemble ladite union et adjonction inséparablement et pour toujours, et voulons qu’iceux habitans en jouissent pleinement et paisiblement, sans aucun contredit ni empêchement, nonobstant quelconques, lettres, chartes et mandemens ».

 

En d’autres termes, c’est en tant que Comte de Provence et non pas Roi de France que Louis XI et ses successeurs auraient autorité sur ladite Provence et cette autorité était bornée par ces différents termes qui contenaient les conditions de droit international public de l’union de la France et de la Provence comme deux entités juridiquement séparées.

 

  1. I) Le Duché de Bretagne

 

Très similaires seraient bientôt les conditions de l’union du Duché de Bretagne à la Couronne de France, telles qu’elles résultaient du contrat de mariage de Louis XII et d’Anne de Bretagne.

 

Il faut avoir à l’esprit que la Bretagne n’avait pas fait partie de l’Empire de France sous Charlemagne et Louis le pieux. Il y avait bien eu une Marche de Bretagne, c’est à dire une occupation militaire de l’est de la Bretagne pour contenir les incursions des Bretons. Les marches, administrées par des comtes de marche ou marquis, n’étaient pas formellement intégrées à l’Empire mais plutôt des territoires occupés. Le statut n’était pas juridiquement clair à une époque où, il est vrai, le Droit n’était pas la prime préoccupation. Il y avait d’ailleurs également une telle marche au sud de la presqu’île du Jutland pour contenir les incursions des Danois et c’est d’elle que le Danemark tire son nom actuel.

 

Par conséquent, n’ayant pas fait partie de l’Empire de France, la Bretagne ne fit pas davantage partie du Royaume de France occidentale au Traité de Verdun.

 

Selon les Annales de Saint Bertin, le Breton Erispoë, fils de Nominoë, vint au devant du Roi de France Charles le Chauve[1] dans la cité d’Angers, se commanda à lui et reçut en don en septembre 851 aussi bien les symboles de la royauté que la confirmation des pouvoirs qu’avait exercés son père, avec, en sus, les pays de Rennes, de Nantes et de Retz.

 

Deux conséquences de cette paix d’Angers ne prêtent pas à discussion. Tout d’abord, le Roi de France reconnut Erispoë comme Roi de Bretagne. Ensuite, ce dernier rendit hommage à Charles le Chauve. Cependant, pour le reste, il y eut au cours des siècles trois interprétations bien différentes de la portée juridique de la paix d’Angers.

La thèse bretonne affirme la reconnaissance par la France de l’indépendance de la Bretagne. Un Roi est l’égal d’un Roi. Le régime de l’ouest de la Bretagne, qui était déjà indépendant de la France en 843, fut étendu à l’ancienne Marche de Bretagne (les pays de Rennes, de Nantes et de Retz). La paix d’Angers aurait donc abouti à unifier une Bretagne juridiquement indépendante. Quant à l’hommage d’Erispoë à Charles, ce serait un hommage simple, un engagement strictement personnel de loyauté, une sorte de promesse de non-agression, sans effet sur le statut juridique du Royaume de Bretagne vis-à-vis du Royaume de France.

Côté français, on rencontre deux thèses bien différentes. La première, radicale, considère que c’est le statut de l’ancienne Marche de Bretagne qui aurait été étendu à toute la péninsule, laquelle serait devenue tout entière vassale de la France. L’hommage d’Erispoë serait un hommage-lige qui ferait de toute la Bretagne un fief dépendant de la Couronne. Cette thèse est peu convaincante au regard de la reconnaissance par Charles d’Erispoë en tant que Roi, donc pair.

Une seconde thèse, plus modérée, considère que l’ancienne Marche de Bretagne (les pays de Rennes, de Nantes et de Retz) serait restée partie intégrante du Royaume de France et que c’est à ce titre que les Rois de Bretagne seraient désormais redevables de l’hommage-lige aux Rois de France.

Pour compliquer les choses, les Rois de Bretagne allaient rapidement étendre leur influence sur le Cotentin, la Mayenne et l’Anjou qui, eux, faisaient incontestablement partie du Royaume de France, de sorte que l’hommage-lige au Roi de France était bien requis en ce qui concernait ces territoires.

 

Cette situation allait être de courte durée à une époque où les Vikings danois donnaient de la tablature tant aux Français, aux Bretons, qu’aux Anglais. Installés dans leur nouveau Duché de Normandie, ils allaient rapidement soumettre la Bretagne à un joug pesant. A plusieurs reprises, les souverains de Bretagne, dénommés désormais Ducs, durent se reconnaître vassaux des Ducs de Normandie qui, à partir de 1066, sont aussi Rois d’Angleterre. Ainsi vassalisée, la Bretagne ne serait plus jamais un royaume.

 

Ce fait, qui n’est pas contesté, fait aussi l’objet de deux interprétations divergentes. Du point de vue français, le Duché de Normandie étant un fief de la Couronne de France, le Duché de Bretagne est devenu un arrière-fief de la France.

Du point de vue breton, le lien féodal vis-à-vis de la Normandie n’entraîne pas de conséquence automatique vis-à-vis de la France.

A partir de 1186, une nouvelle étape est franchie dans la subordination de la Bretagne à la Normandie. Elle devient en effet directement gouvernée par une dynastie normande, ces mêmes Plantagenêt qui sont Rois en Angleterre et Ducs en Normandie. Or, depuis le mariage d’Alienor d’Aquitaine et du Roi Henry II d’Angleterre, les Plantagenêt possèdent directement près de la moitié de la France, de sorte qu’ils doivent à ce titre l’hommage-lige au Roi. Ce faisant, il ne semble pas qu’ils aient cherché à faire ressortir le statut spécifique du Duché de Bretagne. Il ne subsiste de toute façon guère de sources exploitables de cette époque qui soient juridiquement fiables.

 

Mais un événement d’un impact historique considérable survint en 1202 lorsque, nous l’avons déjà mentionné, le Roi de France Philippe-Auguste emporta l’avantage sur son vassal Jean Sans Terre, Roi d’Angleterre, auquel il confisqua la plus grande partie du Duché de Normandie ainsi que les Comtés de Maine, d’Anjou et de Poitou. De ses fiefs sur le continent, Jean ne conservera que l’Aquitaine.

Curieusement, la Bretagne ne partagea pas ce sort. Philippe-Auguste aurait-il eu des scrupules juridiques ? Il est bien difficile de le savoir.

L’histoire de la Bretagne fut ensuite suffisamment tumultueuse pour qu’il soit fastidieux de la détailler ici. On soulignera cependant que, au XIVème siècle, dans les actes officiels et sur les pièces de monnaie des Ducs, on lit désormais la formule ”Duc par la grâce de Dieu”. Or, dans la logique féodale, un vassal ne pouvait détenir un fief que par la grâce de son suzerain. La formule indiquait on ne peut plus clairement que les Ducs ne reconnaissaient aucun lien de vassalité vis-à-vis de la France et proclamaient ne tenir la Bretagne que de Dieu seul. Autre signe ostensible, les Ducs portaient désormais une couronne royale à hauts fleurons. De façon tout-à-fait conséquente, les Ducs se garderont bien d’user du titre honorifique français de ”Duc et pair”, préférant s’affirmer dorénavant « Rois en leur Duché. ».. Une anecdote est révélatrice à cet égard. En mai 1456, le Roi de France Charles VII convoqua les Ducs et Pairs pour juger le Duc d’Alençon accusé de trahison. Sollicité à ce titre, le Duc Arthur III répondit que le Duché de Bretagne n’avait jamais fait partie du Royaume de France et n’en était point un démembrement, que le Duc de Bretagne n’était point Pair de France et ne voulait point apparaître en cette qualité ni à la Cour des Pairs, ni ailleurs.

 

Il est constant que Anne allait être la dernière souveraine d’un Duché de Bretagne indépendant du Royaume de France. Par ses mariages de raison successifs avec deux rois de France, elle allait donner un cours différent à l‘histoire de son pays.

 

Son deuxième contrat de mariage, avec le Roi Louis XII, comporte des clauses successorales garantissait la subsistance d’une Bretagne politiquement et juridiquement séparée de la France par une dynastie distincte  :  » Item, et afin que le nom de la principauté de Bretagne ne soit et ne demeure aboli dans les temps à venir, et que le peuple de ce pays soit secouru et soulagé de ses nécessités et affaires, il a été accordé que le second enfant mâle, ou fille à défaut de mâle, venant de leur mariage, et aussi ceux qui naîtront respectivement et par ordre, seront et demeureront Princes dudit pays, pour en jouir et user comme avaient coutume de faire les Ducs ses prédécesseurs et ils feront au Roi les redevances accoutumées … Et si cette Dame [la Duchesse Anne] allait de vie à trépas avant le Roi très-Chrétien, sans laisser d¢enfants, en ce cas ledit Roi très-Chrétien jouira, seulement sa vie durant, desdits Duché de Bretagne et autres pays et seigneuries que ladite Dame tient à présent ; et après le décès du Roi très-Chrétien les proches héritiers de ladite Dame succéderont auxdits Duché et seigneuries, sans que les autres Rois ni successeurs ne les en empêchent ou y mettent une condition quelconque.

 

Le contrat garantissait la pérennité des us, coutumes et lois propres du Duché : ”… C’est à savoir que, en ce qui touche la garde et la conduite dudit pays de Bretagne et de ses sujets en leurs droits, libertés, franchises, usages et coutumes, tant au fait de l’Eglise, de la Justice, comme de la Chancellerie, du Conseil, du Parlement, de la Chambre des Comptes, de la Trésorerie Générale, et les autres relatifs à la Noblesse et au commun peuple, afin qu’aucune loi ou constitution n’y soit faite, sauf en la manière accoutumée par les Rois et Ducs prédécesseurs de notre dite cousine la Duchesse de Bretagne, nous  voulons, entendons, accordons et promettons de garder et d’entretenir ledit pays et nos sujets de Bretagne [le Roi parle en tant que Duc de Bretagne] en leurs dits droits et libertés, ainsi qu’ils en ont joui du temps des feus Ducs prédécesseurs de notre dite cousine.”

 

Le Duché gardait son indépendance fiscale au travers de ses États, c’est à dire d’une assemblée relativement comparable à un parlement : ”… quant aux impositions des fouages et autres subsides levés et cueillis audit pays de Bretagne, que les gens des États dudit pays soient convoqués et appelés dans la forme accoutumée.”

 

En matière judiciaire et juridictionnelle, le statu quo était maintenu, à savoir pourvoi devant le Parlement de Paris limité aux deux cas désormais traditionnels   : ” … que les sujets de ce pays [le Duché] n’en soient tirés en première instance, ni autrement que de barre en barre et, en cas de ressort du Parlement de Bretagne [qui était la juridiction supérieure du Duché] et en déni de droit et dénégation de justice, en la matière accoutumée du temps des Ducs prédécesseurs de notre dite cousine.

… pour que les matières de finances, de crimes et de bénéfices finissent au Parlement de Bretagne, sans qu’il en soit fait ailleurs ressort, ainsi qu’il a toujours été, nous, sur ce point, voulons, entendons, accordons et promettons de le faire ainsi et de maintenir la forme et la manière accoutumée d’ancienneté.

… pour qu’aucune exécution de mandements et autres exploits ne soient faits audit pays de Bretagne, qu’il soit convenu et accordé que les deux juges royaux et ducaux sur place en aient connaissance et qu’ils comparaissent sur les lieux pour en décider et y mettre fin ; nous voulons, entendons, accordons et promettons de la faire ainsi, suivant ce qui en sera avisé et conclu par les gens des trois États dudit pays de Bretagne. Il en sera fait ainsi qu’on a accoutumé d’ancienneté.

 

Le Duché conservait une large indépendance militaire :

” … que dans nos guerres que nous pourrions faire hors dudit pays de Bretagne, les Nobles de ce pays ne soient sujets à nous servir hors dudit pays, sauf en cas d’extrême nécessité, ou avec le consentement de notre dite cousine et des États dudit pays, nous le voulons ainsi, et nous entendons ne tirer lesdits Nobles hors dudit pays sans grande ni extrême nécessité.”

 

Même la souveraineté monétaire était préservée, dans une clause qui soulignait l’indépendance des deux États l’un de l’autre :

… pour ce qui est de nous nommer et intituler Duc de Bretagne dans les choses qui concerneront le fait dudit pays, et de continuer la monnaie d’or et d’argent sous le nom et titre de nous et de notre cousine ; nous, sur ce, voulons, entendons et accordons, et promettons de faire ainsi de sorte que les droits de la Couronne de France et du Duché de Bretagne seront gardés d’une part et d’autre …

 

Enfin, le contrat prévoyait une procédure obligatoire de révision de ses clauses qui démontre bien qu’il s’agissait de ce que l’on appellerait aujourd’hui un traité international :

 

” …, s’il advenait une bonne raison d’apporter des changements, particulièrement en augmentant, diminuant ou interprétant lesdits droits, coutumes, constitutions ou établissements, que ce soit fait par le Parlement et l’assemblée des États dudit pays, ainsi que cela s’est fait de tout temps, et qu’on n’agisse pas autrement. Nous voulons et entendons que cela se fasse ainsi, avec l’assentiment des gens des trois États dudit pays de Bretagne.”

 

Après la mort de Louis XII, qu’Anne avait devancé, son neveu François 1er mit toute son industrie à subvertir les conditions de l’union de la France et de la Bretagne, telles qu’elles résultaient du contrat de mariage de Louis et d’Anne.

 

Mais cela ne pouvait suffire. Ce Roi se rendait compte que lui ou ses successeurs allaient inéluctablement tomber dans une fosse que ses prédécesseurs avait creusée.

 

En effet, en 1328, la France passa pour la première fois depuis sa naissance en 843 par une crise dynastique de grande ampleur. Dernier de trois fils de Philippe IV le Bel qui se succédèrent sur le trône de France sans postérité mâle, Charles IV le Bel mourut à son tour le 1er février 1328. Son parent le plus proche, Isabelle de France, était la veuve de feu le Roi d’Angleterre Edward II. Elle réclama la Couronne de France pour son fils aîné, Edward III, qui n’avait encore que 16 ans. Cette prétention, si elle eût abouti, eût placé sur cette jeune tête à la fois la Couronne d’Angleterre et la Couronne de France.

Mais, à Paris, le parti des Valois ne l’entendit pas de cette oreille. Il contra les prétentions d’Isabelle en lui opposant une certaine « loi salique »  : « De terra salica nulla portio hereditatis mulieris veniat sed ad virilem sexum tota terræ hereditas perveniat. »

La pertinence de ce texte était loin d’être évidente. Il s’agissait visiblement d’une disposition successorale d’ordre strictement foncier. Et la notion de « terre salique » aurait gagné à être définie. Si ce texte, documenté seulement à partir du IXème siècle, devait vraiment remonter au temps de Clovis, il est assez probable qu’il se fût rapporté au régime de personnalité des lois et visait alors à empêcher qu’une terre ayant appartenu à un Franc puisse passer entre des mains gallo-romaines à la faveur d’un mariage exogamique de l’héritière. Mais prétendre appliquer un tel texte à la succession à la Couronne de France constituait une monumentale supercherie juridique.

Il est également intéressant de s’arrêter sur les autres « arguments » qui avaient été apportés par les partisans des Valois tout au long de la longue contestation avec les héritiers d’Isabelle de France. Ils remontaient aux circonstances dans lesquelles le Roi des Francs saliens Clovis avait embrassé la foi chrétienne, selon le récit qu’en fit Grégoire de Tours au VIIème siècle. Dans un récit encore moins contemporain de la seconde moitié du IXème siècle, l’évêque de Reims Hincmar ”révéla” plusieurs détails omis par Grégoire de Tours, notamment que, au moment où Clovis entrait dans les eaux du baptême, l’Esprit saint Lui-même serait venu apporter à Rémi l’ampoule de chrême pour l’oindre. Un ange aurait alors remis à Clovis une fleur de lys et une oriflamme comme emblèmes sacrés de sa royauté. Edward d’Angleterre ne pouvait donc porter la Couronne de France … puisque son blason était dépourvu de fleur de lys. Plus fort encore, l’onction de Clovis par le saint chrême lui aurait donné le pouvoir de guérir les malades. Par conséquent, la royauté était en France assimilable à une prêtrise, ce qui rendait impossible qu’elle pût être transmise par femme.

Comme on l’a déjà vu, le Royaume de France occidentale n’était qu’un démembrement d’un Royaume qui, trois siècles après Clovis, avait crû jusqu’à devenir un Empire de France s’étendant des Pyrénées à la Mer baltique. Il était donc singulier que, si des règles affectant la transmission de la Couronne de France eussent remonté à Clovis, elles ne fussent d’application qu’à la seule Couronne de France occidentale.

Malgré l’énormité de ces arguties, la Couronne resta sur la tête des Valois, même si la France dut payer cette dynastie au prix fort de plus d’un siècle de conflits avec des Rois d’Angleterre qui avaient eu l’audace de douter de la validité juridique de « l’argumentation » qui leur avait été opposée.

En deux siècles, les Valois eurent des occasions de méditer sur la règle de droit romain « patere legem quam fecisti ». Or, c’est bien le cœur de la question bretonne sur laquelle des générations de jurisconsultes des Rois de France auront eu à se casser la tête car les règles de succession au Duché étaient radicalement différentes de la « loi salique », réinterprétée par les Valois. Non seulement les femmes pouvaient transmettre la Couronne ducale à leur fils mais elles pouvaient elles-mêmes en hériter à défaut d’héritier mâle.

Inévitablement, malgré toutes les entorses qu’il avait déjà faites au contrat de mariage d’Anne et de Louis, traité fondateur des relations entre Bretagne et France, François Ier savait que, tôt ou tard, les Couronnes de Bretagne et de France finiraient par se poser sur des têtes différentes.

Pour obtenir le rattachement pur et simple du Duché à la Couronne de France, il fallait modifier les termes de l’union résultant du contrat d’Anne et de Louis,, ce qui requérait l’accord des États de Bretagne. François allait donc se faire assister par différents métaux. D’abord, l’or et l’argent pour soudoyer et le fer des armes pour intimider.

Le 6 août 1532, une requête était ainsi officiellement lue aux États en présence du Roi et de son fils aîné François. Elle se composait principalement des points suivants  :

 

– le Dauphin était reconnu comme Duc propriétaire du Duché. Toutes les clauses contraires étaient révoquées ou abolies, notamment celles du contrat de mariage de Louis XII et Anne ;

– la Bretagne était unie et jointe à perpétuité à la France ;

– les privilèges du pays seraient gardés et maintenus.

François Ier partit pour Nantes et y publia le 13 août l’Edit de Vannes portant union de la Bretagne à la Couronne. Cet édit était cependant la sanction d’un acte de droit international public en ce qu’il scellait l’union de deux États jusqu’alors distincts, de sorte que le respect de ses dispositions en conditionnait juridiquement la pérennité.

 

Voici une partie du texte, modernisé, de la lettre patente concernant les privilèges et les franchises de la Bretagne que François Ier avait signée :

”… nous confirmons, louons, ratifions et approuvons tous et chacun lesdits privilèges, exemptions, franchises et libertés à eux octroyés et concédés, comme il est dit, par nos dits prédécesseurs Ducs de Bretagne, et dont ils ont toujours joui en chacun desdits États, et pareillement au fait et administration de la Justice, villes, lieux et communautés de ces pays et Duché, voulant qu’ils en jouissent dorénavant et par la suite perpétuellement et toujours, ainsi et dans la forme et de la manière qu’ils ont antérieurement bien et dûment fait, jouissent et usent encore à présent, réservé toutefois ce que les gens mêmes desdits États nous pourrons requérir être réformé ou changé pour le bien, profit et utilité dudit pays …

 

En cette matière, les dispositions du contrat de mariage de Louis XII et d’Anne étaient confirmées, seuls les États avaient compétence pour valider une modification des termes de l’union de la France et de la Bretagne.

 

L’Edit de Vannes fut complété le 3 septembre d’un Edit de Plessis-Macé qui confirmait expressément plusieurs points clefs de l’autonomie bretonne, notamment en matière fiscale et juridictionnelle.

  1. J) Les Evêchés de Metz, de Verdun et de Toul

A la faveur d’un accord secret conclu à Chambord en janvier 1552 avec des princes protestants du Saint-Empire en échange du soutien du Roi contre Charles Quint, les armées d’Henri II pénétrèrent dans le territoire des trois Evêchés de Metz, de Toul et de Verdun ainsi que dans les deux villes impériales qui furent occupés militairement. En apparence, la souveraineté de l’Empereur n’était pas mise en cause mais le coup de force fut sans commune mesure avec ce qui avait été entrepris auparavant. Dorénavant, ce fut la France qui gèra une partie considérable de la Lorraine actuelle.

 

Henri II, fils de François Ier, époux de Catherine de Medicis, eut pour maîtresse Diane de Poitiers qui avait été aussi vraisemblablement la maîtresse de son propre père. C’est précisément ce que la Torah appelle « découvrir la nudité de la femme de son père » (Levitique 18 :8). Dieu avait dit aux Hébreux à cet égard : « Ne vous souillez par aucune de ces choses, car c’est par toutes ces choses que se sont souillées les nations que je vais chasser devant vous. Le pays en a été souillé ; je punirai son iniquité, et le pays vomira ses habitants.Vous observerez donc mes lois et mes ordonnances, et vous ne commettrez aucune de ces abominations, ni l’indigène, ni l’étranger qui séjourne au milieu de vous. Car ce sont là toutes les abominations qu’ont commises les hommes du pays, qui y ont été avant vous ; et le pays en a été souillé. Prenez garde que le pays ne vous vomisse, si vous le souillez, comme il aura vomi les nations qui y étaient avant vous. Car tous ceux qui commettront quelqu’une de ces abominations seront retranchés du milieu de leur peuple » (Lévitique 18 :24-29). Je le répète, même s’il ne s’agit pas de l’alliance d’Israël avec Dieu, les Francs et leurs descendants – nous ! – sont liés par une alliance avec le Dieu de la Bible et elle n’est pas impunément transgressée.

 

Henri II infléchit de façon nettement répressive l’attitude du pouvoir vis-à-vis des Français que Calvin avait convaincus que la Parole de Dieu compilée dans la Bible était le seul fondement de la foi chrétienne. Tout son règne fut ponctué d’édits répressifs de la religion réformée. Le dernier, signé à Ecouen le 2 juin 1559, atteint un comble dans l’iniquité puisqu’il autorisait la mise à mort sans procès des protestants considérés comme révoltés ou en fuite. Le Parlement de Paris résistera à son enregistrement et le Roi fera incarcérer les parlementaires qui maintiendront leurs objections juridiques. L’un d’entre eux, Anne du Bourg, sera même supplicié.

 

Mais il y a dans les Cieux un juste Juge qui ne laisse pas l’iniquité impunie. Le 30 juin 1559, à l’occasion d’un tournoi, la lance de son adversaire soulève la visière du heaume du Roi et lui transperce l’oeil, livrant Henri II à dix jours d’une longue agonie. Ensuite, pour la seconde fois dans l’histoire du Royaume, trois frères se succéderont au Trône. Francois II mourra dès 1560. Le nom de Charles IX reste lié au terrible massacre de la Saint-Barthelemy auquel il ne survivra que deux ans (1574). Henri III régnera à sa suite jusqu’en 1589 et sera emporté des suites de l’infection provoquée par la dague du moine Clément. C’est aussi en cette époque que la France sera livrée aux affres de la terrible guerre civile dont la confession fut le prétexte, culminant par les horreurs du 24 août 1572, couvrant le catholicisme français d’une flétrissure de sauvagerie et de barbarie dont le souvenir reste vivace au bout de plusieurs siècles.

 

  1. K) La Bresse et Bugey

 

C’est par le traité de Lyon de 1601 que le Roi Henri IV obtient du Duc de Savoie la Bresse, le pays de Bugey et le pays de Gex en échange desquels le Duc se vit reconnaître le Marquisat de Saluces.

 

  1. L) Les traités de Westphalie (Munster) et des Pyrénées

 

Au XVIIème siècle, l’expansionnisme de la France occidentale prend une forme beaucoup plus agressive et violente. Deux figures émergent, celles de grands prélats de l’Église catholique romaine, les Cardinaux de Richelieu et Mazarin. Que penser d’une institution qui pouvait légitimer en son sein de pareils fourbes ? Le nom de « chrétien » fait mémoire d’un homme qui, lorsqu’il fut injustement arrêté, empêcha ses disciples de réagir violemment : « Celui qui se sert du glaive, périra par le glaive » (Mat. 26 :52). Ces hommes, qui persécutaient les protestants en France, soudoyaient des monarques protestants, le Roi de Danemark, puis le Roi de Suède, pour ravager des régions de confession catholique romaine en France orientale et dans ce qui restait de la France médiane.  Plus de la moitié de la population mourut en Lorraine, en Alsace, au Luxembourg … et ailleurs ! « A ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jean 13.35). De qui de tels gens sans foi ni loi étaient-ils donc les disciples ?

 

La guerre de 30 ans se termina par le traité de Münster. Comme il s’agissait d’un traité entre le Saint-Empire et le Royaume de France, il put juridiquement modifier les frontières de celui-ci d’une manière indisputable.

 

Le traité officialisait le rattachement à la France des Évêchés de Metz, de Verdun et de Toul qui étaient militairement occupés depuis pratiquement un siècle. Les Habsburg cédèrent à la France les fiefs qu’ils tenaient sur la rive gauche du Rhin, le Sundgau, mais aussi la forteresse de Breisach sur la rive droite.  Ce n’est pas toute l’Alsace qui passa à la Couronne de France. Strasbourg et Mulhouse restèrent dans l’Empire ainsi que maints autres petits territoires.

 

Pourtant, Mazarin continua la guerre pendant 11 ans en la dirigeant contre des territoires de la France moyenne appartenant au Royaume d’Espagne. Cette guerre-ci se termina, bien provisoirement, avec le traité des Pyrénées. Par celui-ci, la France s’empara du Comté d’Artois ainsi que de divers territoires luxembourgeois autour de Thionville ainsi que de Montmédy, Carignan et Damvillers. Au sud, la France se vit rattacher le Roussillon. Toutefois, cette région avait bien fait partie du Royaume de France occidentale créé au traité de Verdun de 843. Elle avait toutefois été cédée au Roi d’Aragon par Louis IX au traité de Corbeil de 1258.

 

  1. M) Louis XIV

 

Ce Roi de France mérite certainement une mention toute particulière. Son arrogant orgueil, confinant à la mégalomanie, n’avait d’égal que son libertinage. Son château de Versailles grouillait de bâtards du Roi « très chrétien ». « Ne savez-vous pas que les injustes n’hériteront point le royaume de Dieu ? Ne vous y trompez pas : ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes, ni les voleurs, ni les cupides, ni les ivrognes, ni les outrageux, ni les ravisseurs, n’hériteront le royaume de Dieu » (1 Corinthiens 6 :9-10).

 

Par sa mère Anne d’Autriche, il était incontestablement un Habsburg. Mais pour le reste, le doute est nourri par plusieurs éléments. Quelque macabre que cela soit, il est intéressant de se pencher sur le récit que fit Henri Martin Manteau de l’exhumation des dépouilles des Rois de France à laquelle Dom Druon lui avait permis d’assister au mois d’octobre 1793. De Henri IV, il dit que l’homme était de stature moyenne et avait les épaules larges. En revanche, son fils Louis XIII « était mince de corps et de taille médiocre ».  C’est donc avec une certaine surprise qu’on lit la relation de l’ouverture du cercueil de Louis XIV « A l’ouverture de ce cercueil, on reconnut ce monarque, sa haute taille, son âge au temps de sa mort et ces mêmes traits caractéristiques que les arts ont fait revivre; le corps, bien conservé, était d’une couleur d’ébène ». En règle générale et en moyenne, les humains de sexe masculin sont plus grands que les humains de sexe féminin, ce qui implique que le chromosome spécifique du sexe masculin, le chromosome Y, joue un rôle important à cet égard. Certes, il y a des sœurs plus grandes que leurs frères. Mais il est a priori singulier qu’un homme de taille médiocre ait enfanté un fils de haute taille.

 

Il est aussi établi que Louis XIII n’approchait que fort rarement son épouse Anne d’Autriche. On lui connaît, par contre, de vives affections pour Charles de Luynes puis pour le marquis de Cinq-Mars, au point d’accréditer la suspicion de bougrerie. C’est fort tard, après 23 ans de mariage, qu’Anne d’Autriche mit au monde le futur Louis XIV. Ce fut à cette occasion que Louis XIII décida le 10 février 1638 de consacrer le Royaume de France à la « Vierge Marie ». Comme chacun sait, Joseph n’était pas le père génétique de Jésus. Cela rend donc les circonstances de cette « consécration » d’emblée singulières.

 

Si, vu son jeune âge, Louis XIV n’avait pas eu la responsabilité des ravages terribles dont s’étaient rendu coupables de Richelieu et Mazarin, c’est bien lui qui avait fait main basse sur la Franche-Comté de Bourgogne rattachée au Royaume de France par le traité de Nimègue de 1678, dans la foulée duquel il spoliera le Duché de Lorraine de la ville de Longwy.

 

Après l’avoir assiégée, Louis XIV s’empara de Strasbourg le 24 octobre 1681, ce qui sera juridiquement acté 16 ans plus tard au traité de Ryswick. Enhardi, le Roi s’engagea dans l’inique politique dite des « réunions » qui ne furent que des spoliations de territoires indépendants de la Couronne de France. Toutefois, une coalition de souverains européens y mettra bon ordre et le Roi fut finalement contraint à la restitution de la plupart de ce qu’il avait vilement friponné.

 

« L’Éternel, l’Éternel, Dieu miséricordieux et compatissant, lent à la colère, riche en bonté et en fidélité, qui conserve son amour jusqu’à mille générations, qui pardonne l’iniquité, la rébellion et le péché, mais qui ne tient point le coupable pour innocent, et qui punit l’iniquité des pères sur les enfants et sur les enfants des enfants jusqu’à la troisième et à la quatrième génération! » (Exode 34 :6-7). Aucun des fils, ni même des petits-fils de Louis XIV ne lui succéda. Louis XV était son arrière-petit-fils. On n’y voit guère la bénédiction du Tout-puissant. Et, sachant que, en fait de « vierge Marie », c’est sous le nom de « reine du ciel », comme au chapitre 44 de Jérémie, qu’est vénérée celle à laquelle le Royaume de France fut consacré en 1638, les conditions de bien lourdes malédictions étaient réunies et l’on ne s’étonne dès lors guère qu’un tel patronage ait accouché d’un « Roi soleil » de l’immoralité.

 

  1. N) Le Duché de Lorraine et la pragmatique sanction

 

Le Duc François de Lorraine se maria avec l’Archiduchesse Marie-Thérèse le 12 février 1736. La perspective d’une Lorraine intégrant l’héritage des Habsbourg ne suscita guère l’enthousiasme à l’ouest de la Meuse. Aussi, le Duc François fût-il contraint d’échanger la Lorraine contre la Toscane tandis que, pour ménager une annexion en douceur, le roi Louis XV confia les Duchés à titre viager à son beau-père, l’ex-Roi de Pologne Stanislas Leszczynski. Le Duc François partira à Florence avec l’essentiel de sa Cour et de l’élite lorraine, très attachée à l’Empire.

 

Par une pirouette de l’histoire, il ne s’écoulera pas quarante ans et l’une de ses filles deviendra Reine de France. Celle qui brillera d’un si grand éclat à Versailles avait donc le français pour langue paternelle, de sorte que la vile populace parisienne qui beuglait sa haine de l' »Autrichienne » le triste matin du 16 octobre 1793 niait au fond tout autant la « francité » de la Lorraine.

 

Notons également que Marie-Thérèse devint Impératrice du Saint-Empire, c’est à dire fut couronnée de la Couronne impériale qui avait été celle de Charles le grand, de Louis le pieux et de Lothaire, ce qui confirme le caractère d’affabulation juridique de l’application de la prétendue « loi salique » à la transmission de la Couronne de France occidentale.

 

  1. O) Le Comté de Charolais

 

Bien que le traité des Pyrénées confirmât la souveraineté des Rois d’Espagne sur le Comté de Charolais, son caractère d’enclave favorisa la prise de pouvoir progressive de la France jusqu’au rattachement officiel à la Couronne en 1761.

 

  1. P) La fin de la Couronne de France

Sans qu’il soit nécessaire de s’attarder sur l’achat de l’Ile de Corse à la République de Gênes, le territoire qui est appelé en Europe « Royaume de France » à la veille de la révolution de 1789 n’est pas un État unitaire mais, comme le demeure la Couronne d’Angleterre jusqu’aujourd’hui, un conglomérat d’États placés sous une même Couronne. Au Royaume de France occidentale sont juxtaposés, notamment, un Duché de Bretagne et un Comté de Provence qui conservent leurs propres institutions, leurs propres lois et coutumes. Il est significatif que, jusqu’en 1789, seuls des territoires qui faisaient partie du Royaume de France occidentale au traité de Verdun sont des pays d’élection, à la seule exception du Lyonnais. Du point de vue fiscal, la Bretagne, la Provence, le Dauphiné, le Lyonnais, la Franche-Comté, l’Artois, la Flandre française constituent des « provinces réputées étrangères » tandis que l’Alsace, la Lorraine et le Luxembourg français sont même considérés comme « étranger effectif ».

Comme on le sait, la réunion des États généraux devait être le premier acte de la révolution française. Le 17 juin 1789, le tiers état refusa le vote par ordre et se proclama « Assemblée nationale ». Après que le clergé et, de mauvais gré, la noblesse, l’auront rejointe, elle s’autoproclame « Assemblée nationale constituante » le 9 juillet.

 

Après la prise de la forteresse de la Bastille, un climat insurrectionnel gagne tout le pays. C’est la grande peur et son cortège d’émeutes, de pillages, d’exécutions sommaires caractéristique de toutes les périodes où l’ordre public n’est plus assuré.

 

Et c’est dans ce climat que survint la fameuse nuit du 4 août 1789.  Pour bien comprendre l’énormité de l’illégalité qui s’y produisit alors que, dans une exaltation fébrile, des députés sans mandats renoncèrent à des droits et privilèges dont personne ne leur avait donné la disposition, il suffirait d’imaginer que les députés au Parlement européen se missent à décider de la dissolution de la France et des autres États membres, de la suppression de leur constitution, de la disparition de leur ordre juridique.

 

Il y avait cependant encore quelques têtes douées de raison dans cette assemblée fanatisée. Je reproduis, à cause de sa rigueur juridique, le discours de l’abbé Maury.

 

« Le fait que vous allez examiner dans ce moment est extrêmement simple. Onze magistrats qui formaient la Chambre des vacations de Rennes ont refusé, après l’expiration de leurs pouvoirs, d’enregistrer les lettres patentes rendues sur votre décret du 3 novembre pour protéger indéfiniment leur commission et les vacances du Parlement. Ce refus vous est dénoncé comme un crime de lèse-nation. Je n’ai l’honneur d’être ni Breton, ni magistrat ; mais, revêtu du caractère de représentant de la nation, je dirai la vérité avec tout le courage du patriotisme. J’invoquerai la justice en faveur de ces mêmes sénateurs qui, après en avoir été si longtemps les fidèles ministres, semblent menacés aujourd’hui d’en devenir les victimes. Je considérerai cette grande question sous trois rapports  : relativement à la province de Bretagne dont j’approfondirai les droits ; relativement à la conduite des magistrats qui formaient la Chambre des vacations à Rennes, dont je discuterai les motifs ; relativement enfin aux divers décrets qui vous sont proposés dont je développerai les conséquences.

Un principe fondamental qu’il ne faudra jamais perdre de vue dans cette cause, et qui n’est même pas contesté, c’est que la province de Bretagne jouit, par sa constitution, du droit de consentir dans ses États la loi, l’impôt et tous les changements relatifs à l’administration de la justice  : cette belle prérogative est la condition littérale et dirimante de la réunion de ce Duché à la Couronne de France.

Ce principe étant généralement reconnu dans cette assemblée, j’observe, d’abord, messieurs, que la différence du droit public qui régit plusieurs de nos provinces, n’est point particulier à l’organisation de la France. Depuis qu’un petit nombre de familles s’est partagé la souveraineté de l’Europe, les grands États se sont successivement étendus, et à des conditions toujours inégales, par des alliances, par des successions, par des traités ou par des conquêtes. Nous ne connaissons aucune puissance du premier ordre dont les sujets sont soumis à des lois uniformes. L’Irlande et l’Ecosse ne jouissent pas des mêmes droits que l’Angleterre. L’Autriche, la Hongrie et la Bohème diffèrent autant par la législation que par la langue des peuples qui les habitent. Je n’étends pas plus loin cette énumération qu’il me suffit de vous indiquer. Je remarque seulement que, quelque désirable que soit l’unité de gouvernement, aucune monarchie en Europe n’a pu parvenir encore à cette identité de droit public dans toutes ses provinces.

Mais cette différence de prérogatives ne doit pas exciter plus de jalousie entre les provinces que l’inégalité de fortunes entre les citoyens. L’intérêt commun est que la justice soit respectée. Tous les droits particuliers reposent sous la sauvegarde de la foi publique. Ce sont des barrières élevées contre le despotisme, qu’il faut accoutumer à s’arrêter devant les contrats qui le repoussent, pour l’avertir souvent que le pouvoir a ses limites. Il a besoin que ces conventions toujours réclamées lui rappellent que les peuples ont des droits, et c’est ainsi que les privilèges particuliers d’une province deviennent le bouclier de tout un royaume.

Les prérogatives de la Bretagne n’ont par conséquent rien d’odieux pour la nation française, si elles émanent d’une convention libre et inviolable. Cette convention que M. le Comte de Mirabeau a paru dédaigner avec tant de hauteur, comme l’une de ces fables de l’antiquité que des législateurs doivent reléguer philosophiquement dans la poussière des bibliothèques, cette convention, Messieurs, n’est pas éloignée de nous de plus de deux siècles et demi.

Je ne dirai donc pas, comme cet orateur, que la Bretagne mériterait d’être écoutée si elle produisait des titres anciens comme le temps et sacrés comme la nature, parce qu’en parlant ainsi je ne dirais rien ; mais je vais tâcher de prouver que la Bretagne a des droits aussi anciens que la monarchie et aussi sacrés que les contrats ; et si je démontre qu’en vertu de ces droits on ne peut faire aucun changement dans l’administration de la justice en Bretagne sans le consentement des États de cette province, je n’aurai pas sans doute la gloire de vous avoir proposé un système philosophique, mais je croirai avoir bien raisonné en prenant la défense des magistrats bretons.

L’Armorique ou la Bretagne fut démembrée de la monarchie française dès la première race de nos rois. (…) et elle continua d’être indépendante de la nation française sous l’empire des Ducs de Bretagne.

La réunion de la Bretagne à la France avait été, pendant plusieurs siècles, le grand objet de la politique de nos Rois. Le dernier Duc de Bretagne, François II, étant mort sans enfants mâles, Anne de Bretagne, sa fille unique et son héritière, était déjà fiancée à l’Empereur Maximilien, mais le Roi Charles VIII parvint à faire rompre ce projet de mariage et épousa lui-même Anne de Bretagne en 1491.

Je ne m’arrête point dans ce moment aux clauses de ce contrat de mariage. On le cite souvent comme la véritable origine des privilèges de la Bretagne ; mais nous verrons bientôt que les droits de cette province sont fondés sur un contrat plus récent, dans lequel les Bretons eux-mêmes ont transigé avec le représentant souverain de la nation française.

Charles VIII qui, pour épouser Anne de Bretagne, avait renvoyé Marguerite, fille de l’Empereur Maximilien, quoiqu’elle eût déjà porté le titre de Dauphine, mourut sans postérité à l’âge de vingt-sept ans.

… Pour assurer la réunion de cette grande province à la Couronne, le successeur de Charles VIII, le bon père du peuple Louis XII, épousa Anne de Bretagne lorsqu’il eut fait déclarer nul son mariage avec Jeanne de Valois, qu’il avait épousée depuis vingt ans et qui, après son divorce, alla fonder les Annonciades à Bourges.

Louis XII n’eut de son mariage avec Anne de Bretagne que deux filles, Madame Claude et Madame Renée de France. La loi salique n’ayant jamais été admise en Bretagne, les filles héritaient de ce Duché comme des autres grands fiefs du Royaume. Ce fut pour en prévenir une seconde fois le démembrement que Louis XII fit épouser sa fille Claude au Duc d’Angoulême, son héritier présomptif.

Ce dernier prince, devenu si célèbre sous le nom de François Ier, eut deux enfants mâles de son mariage avec la fille de Louis XII. L’aîné de ces princes, Henri II, était appelé par droit de primogéniture au trône de France, et le cadet, Duc d’Angoulême, devait hériter du Duché souverain de Bretagne, en vertu du contrat de mariage d’Anne, son aïeule, avec Louis XII.

La France, alarmée de ce nouveau démembrement de la Bretagne dont elle ne voyait plus le terme, pressa François Ier de consommer, par un contrat synallagmatique et irrévocable, la réunion de cette province à la Couronne. Pressé par les vœux de tout son peuple, François Ier alla tenir lui-même les États de Bretagne à Vannes en 1532. Ces États de Bretagne, dont on trouve aujourd’hui l’organisation si vicieuse, conclurent le traité au nom de tout le peuple breton  : les deux nations transigèrent ensemble. La Bretagne fut unie à jamais à la Couronne de France ; et le contrat qui en renferme les conditions a été ratifié, depuis cette époque, de deux ans en deux ans, par tous les successeurs de François Ier jusqu’en 1789.

C’est l’exécution littérale de ce traité de Vannes en 1532 que réclament les Bretons. Il n’y a plus rien de sacré parmi les hommes si un pareil titre n’est pas respecté. La propriété individuelle de chaque citoyen, fondée sur l’autorité des contrats, n’a point d’autre base que les droits de cette province, qu’on appelle si improprement ses privilèges. Le peuple breton n’en jouit qu’à titre onéreux puisqu’il ne se les a assurés qu’en renonçant à la plus belle de toutes les prérogatives, je veux dire au droit d’avoir son souverain particulier. J’avertis les membres de l’Assemblée nationale, qui nous parlent avec dédain des franchises de la Bretagne, que s’ils veulent nous réfuter, c’est à ce raisonnement surtout que nous les invitons, ou plutôt que nous les défions de répondre jamais.

Le danger du démembrement prévu par François Ier était plus réel qu’il ne se l’imaginait lui-même. Outre la séparation de la Bretagne, qui était annoncée par la succession collatérale de son fils cadet, cette province aurait été dévolue ensuite à d’autres princes qui en seraient devenus les héritiers naturels. Car la loi salique, je le répète, n’a jamais été admise en Bretagne  : la représentation même y a toujours eu lieu ; et, par conséquent, les filles pouvaient en hériter comme la Reine Anne elle-même. Or, Messieurs, la branche masculine des Valois fut éteinte à la mort de Henri III en 1589 ; mais la postérité féminine des Valois existe encore aujourd’hui dans les maisons de Lorraine et de Savoie, qui régneraient en Bretagne sans l’exclusion du traité de Vannes en 1532.

Tous les engagements des contrats sont réciproques. Il est donc démontré, et je ne crains pas de le publier en présence des représentants de la nation française, que la Bretagne est libre, et que nous n’avons plus aucun droit sur cette province si nous ne voulons pas remplir fidèlement les conditions du traité qui l’a réunie à la Couronne.

Cette conséquence découle de tous les principes sur lesquels l’ordre social est établi, et vous voudrez bien ne pas oublier, Messieurs, que l’une des clauses de ce contrat porte formellement que la Bretagne aura un Parlement, une chancellerie, une Chambre des comptes, et qu’il ne sera fait aucun changement à l’administration de la justice dans cette province sans le consentement de ses États.

… Lorsque, dans la fameuse nuit du 4 août dernier, les représentants des provinces ont souscrit à l’abrogation de leurs privilèges, les soixante-dix députés de la Bretagne nous ont déclaré qu’ils étaient sans mission et sans pouvoirs pour faire un pareil sacrifice au nom de leurs commettants. Ils nous ont promis de les solliciter et nous ont annoncé l’espérance de l’obtenir ; mais la défense que vous avez faite aux provinces de s’assembler n’a pas encore permis à la Bretagne de délibérer sur cette renonciation. Inutilement prétendrait-on remplacer ce vœu d’une province par les adresses des villes qui adhèrent à tous nos décrets. Qui ne sait, Messieurs, que ces signatures souvent mendiées ou extorquées, ou même contraintes, n’ont aucune force dirimante pour anéantir un contrat ?

… Non, l’unanimité de ces vœux individuels ne saurait jamais former un vœu collectif, parce que les contrats doivent être révoqués de la même manière qu’ils ont été sanctionnés. Ce principe de droit public nous indique le degré d’autorité de toutes les adresses que nous recevons des provinces. C’est donc avec les États constitutionnels de la Bretagne que nous devons traiter la grande question des droits qui appartiennent à cette province. Quand je dis les États de Bretagne, Messieurs, je n’oublie point toutes les plaintes qui se sont élevées contre leur organisation. Déjà cette assemblée a déclaré elle-même qu’elle consentirait à une répartition d’impôts plus égale, mais on ne peut pas en innover le mode par provision. Il est de toute justice d’améliorer la composition de ces États ; comme il est de toute évidence que c’est avec les États qu’il faut en concerter la réforme, et transiger sur les droits constitutionnels que la France a stipulés avec les Bretons.

… A l’époque de la convocation des États généraux, tous les cahiers du clergé et des communes de Bretagne demandent unanimement la conservation des droits, franchises et privilèges de la province. Les mandats qui n’énoncent à cet égard que des réserves constitutionnelles, et par conséquent inattaquables, sont tellement impératifs ou plutôt tellement résolutoires, que les Bretons déclarent ne vouloir se soumettre à aucune décision de l’Assemblée nationale, à moins que nos décrets n’aient été librement adoptés par les États particuliers de la province. Ce n’est qu’à cette condition que la Bretagne nous a envoyé des députés, en se réservant ses franchises que la nation française n’a pas le droit, et par conséquent le pouvoir de lui enlever … »

 

Ceux qui allèrent bientôt instituer le culte à la déesse « Raison » n’écoutèrent pas la voix de la raison.

 

Quelque chose d’une essence toute différente allait être fondé, mélange de rousseauisme et de maçonnisme. Si l’État qui devait en résulter fut encore un royaume jusqu’au 21 septembre 1792, il ne s’agissait plus de la Couronne qui avait été créée au traité de Verdun.

 

Pour la troisième fois, trois frères allaient encore se succéder sans qu’une postérité prît leur relève, Louis XVI, Louis XVIII et Charles X, avec lequel prit fin ce qui avait encore subsisté d’un pouvoir tenu d’en haut, de la grâce de Dieu. A nouveau, les peuples de France allaient passer par une longue et ténébreuse période de troubles sociaux, de violence, de guerre civile et de guerre tout court, de disette, d’iniquité …

 

Il ne faut pas embellir ce qu’avait été la royauté capétienne. Elle rappelle plus souvent les rois d’Israël que ceux de Juda. On cherche à grand peine un roi qui n’ait pas été adultère, débauché, voire même bougre, intrigant, parjure, cauteleux, ennemi du Droit et de la Justice, faux monnayeur, persécuteur inique de ses sujets Juifs, de ses sujets protestants, idolâtre. Une telle engeance ne pouvait tomber que sous le jugement. Dieu ne put sans doute trouver d’innocence qu’en Jean 1er et Francois II n’eut guère le temps de suivre les voies criminelles de ses pères. Louis XVI et Louis XVIII furent certainement de bien meilleurs hommes que leurs prédécesseurs mais la coupe d’iniquité était pleine. Quant à l’exhumation des rois qui eut lieu en octobre 1793, ne rappelle-t-elle pas ce qui se produisit sous le Roi Josias  ? « Le roi souilla les hauts lieux qui étaient en face de Jérusalem, sur la droite de la montagne de perdition, et que Salomon, roi d’Israël, avait bâtis à Astarté, l’abomination des Sidoniens, à Kemosch, l’abomination de Moab, et à Milcom, l’abomination des fils d’Ammon. Il brisa les statues et abattit les idoles, et il remplit d’ossements d’hommes la place qu’elles occupaient. Il renversa aussi l’autel qui était à Béthel, et le haut lieu qu’avait fait Jéroboam, fils de Nebath, qui avait fait pécher Israël; il brûla le haut lieu et le réduisit en poussière, et il brûla l’idole. Josias, s’étant tourné et ayant vu les sépulcres qui étaient là dans la montagne, envoya prendre les ossements des sépulcres, et il les brûla sur l’autel et le souilla, selon la parole de l’Éternel prononcée par l’homme de Dieu qui avait annoncé ces choses. Il dit : Quel est ce monument que je vois ? Les gens de la ville lui répondirent : C’est le sépulcre de l’homme de Dieu, qui est venu de Juda, et qui a crié contre l’autel de Béthel ces choses que tu as accomplies. Et il dit : Laissez-le; que personne ne remue ses os! On conserva ainsi ses os avec les os du prophète qui était venu de Samarie » (2 Rois 23 :14-18).

 

Quoi qu’il en soit, la manière dont fut constituée la France, par des voies de fait, des violations répétées du Droit des gents, est aussi éloignée de ce passage de la Torah (Deutéronome 2 :4-19) que l’ouest l’est de l’est  : « Donne cet ordre au peuple : Vous allez passer à la frontière de vos frères, les enfants d’Ésaü, qui habitent en Séir. Ils vous craindront; mais soyez bien sur vos gardes. Ne les attaquez pas; car je ne vous donnerai dans leur pays pas même de quoi poser la plante du pied : j’ai donné la montagne de Séir en propriété à Ésaü. Vous achèterez d’eux à prix d’argent la nourriture que vous mangerez, et vous achèterez d’eux à prix d’argent même l’eau que vous boirez.  Car l’Éternel, ton Dieu, t’a béni dans tout le travail de tes mains, il a connu ta marche dans ce grand désert. Voilà quarante années que l’Éternel, ton Dieu, est avec toi : tu n’as manqué de rien. Nous passâmes à distance de nos frères, les enfants d’Ésaü, qui habitent en Séir, et à distance du chemin de la plaine, d’Élath et d’Etsjon Guéber, puis nous nous tournâmes, et nous prîmes la direction du désert de Moab. L’Éternel me dit : N’attaque pas Moab, et ne t’engage pas dans un combat avec lui; car je ne te donnerai rien à posséder dans son pays : c’est aux enfants de Lot que j’ai donné Ar en propriété. (Les Émim y habitaient auparavant; c’était un peuple grand, nombreux et de haute taille, comme les Anakim. Ils passaient aussi pour être des Rephaïm, de même que les Anakim; mais les Moabites les appelaient Émim. Séir était habité autrefois par les Horiens; les enfants d’Ésaü les chassèrent, les détruisirent devant eux, et s’établirent à leur place, comme l’a fait Israël dans le pays qu’il possède et que l’Éternel lui a donné.) Maintenant levez-vous, et passez le torrent de Zéred. Nous passâmes le torrent de Zéred. Le temps que durèrent nos marches de Kadès Barnéa au passage du torrent de Zéred fut de trente-huit ans, jusqu’à ce que toute la génération des hommes de guerre eût disparu du milieu du camp, comme l’Éternel le leur avait juré. La main de l’Éternel fut aussi sur eux pour les détruire du milieu du camp, jusqu’à ce qu’ils eussent disparu. Lorsque tous les hommes de guerre eurent disparu par la mort du milieu du peuple, l’Éternel me parla, et dit : Tu passeras aujourd’hui la frontière de Moab, à Ar, et tu approcheras des enfants d’Ammon. Ne les attaque pas, et ne t’engage pas dans un combat avec eux; car je ne te donnerai rien à posséder dans le pays des enfants d’Ammon : c’est aux enfants de Lot que je l’ai donné en propriété. ».

 

Proverbe de Salomon  : « Ne déplace point la borne ancienne que tes pères ont posée » (22 :28).

 

 

 

 

 

 

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