Nahum : Chroniques de guerre. Ninive ou Berlin ? L’Histoire ne cesse de se répéter. La modernité, contrairement à ce qu’avaient prédit certains penseurs et philosophes, n’a pu rendre l’homme meilleur, et encore moins endiguer la bestialité dont il est capable de faire preuve lorsqu’il laisse monter en lui les pulsions les plus violentes qui l’habitent.

Les Assyriens étaient réputés pour leur cruauté. Ils étaient redoutés pour cela, plus encore que pour leur puissance militaire. D’autres peuples, à travers les âges, les ont imités. Certains les ont même surpassés en cruauté. L’Histoire en témoigne.

Le message de Nahum (prononcer Nahoum) s’adresse, encore aujourd’hui, à toutes les Ninive de la Terre et la Parole de Dieu demeure pour tout homme un message actuel quel que soit son âge, quels que soient l’époque et le lieu dans lesquels il est né. À la fin de la première partie du vingtième Siècle, ses lecteurs auraient pu trouver dans ses écrits une description saisissante de ce qui était en train de se produire sous leurs yeux. Il aurait pu sembler à certains que la « quatrième bête » prophétisée par Daniel s’était incarnée dans une idéologie aussi cruelle que destructrice, génocidaire et froidement organisée. Dans ces années « quarante » du siècle dernier, l’Europe vit les rues de ses villes envahies par des armées étrangères, aux uniformes kakis et noirs. Pour les populations qui voyaient défiler ces hordes de guerriers, ils apportaient avec eux la destruction, la faim, la peur, la déportation, la terreur et la mort. Le Monde se relevait d’une première guerre mondiale qui avait fait des millions de victimes. Vingt ans plus tard, le sifflement des bombes se faisait à nouveau entendre. En 1940, les champs n’étaient plus que de batailles. Les pluies d’automne ne venaient plus amollir la terre. Le ciel la mouillait de ses larmes et la lavait du sang qui en abreuvait les sillons. En fait, en guise de sillons, des tranchées où mouraient des paysans qui avaient troqué leurs fourches contre des baïonnettes. La terre n’était désormais plus labourée que par l’explosion des obus. Ils la connaissaient, la terre. Ils la cultivaient de génération en génération. Ils avaient appris à en délimiter les contours. Mais d’autres cherchaient des territoires plus vastes dont les frontières seraient tracées avec le sang des hommes.

Selon Jérôme de Strabon (le traducteur de la bible dite de « la Vulgate »), Nahum serait né en Galilée, mais il aurait tout aussi bien pu naître ailleurs. À Oran, en Algérie. Dans un shtetl de Pologne, au fin fond de la Russie tsariste ou à Thessalonique. Et peut-être est-ce le cas ? Car, au travers des siècles, il y eut d’autres Nahoum pour porter un message identique. D’autres voix se sont élevées après lui jusqu’à ce que…

Ninive, ville moderne et antique

Le livre de Nahum débute par ces mots : « Massa Ninevè », que l’on a traduit par « Proclamation, message, charge, oracle, prophétie… sur Ninive ». Il est effectivement difficile de trancher. Quel est le mot le plus approprié pour traduire « Massa » ? On pourrait également le traduire (selon les divers usages dans les Écritures) par : « une charge, ce qui est imposé, un fardeau lourd à porter ». Ce peut être aussi une fonction à remplir, une instruction sous forme de sentence (comme dans les Proverbes). Pour les Prophètes, c’était avant tout une Parole de Dieu qu’il leur fallait délivrer ou une déclaration prophétique sur une nation ou un pays. Pour Nahum, c’était probablement tout cela à la fois. « Massa Ninevè ». En deux mots, tout était dit. Dieu a parlé. On a là le message et le destinataire. Envoyé en Recommandé avec « Accusé de réception » et ce, sur papier à en-tête. Pourtant, personne ne le connait, ce Nahum. On ne sait rien de ce village dont il est originaire. Il était celui que Dieu avait choisi pour porter son message dans cette grande cité. Et ce message dont il était porteur ne cesse de résonner à travers les siècles, chargé de la même autorité, revêtu de la même onction que lorsqu’il l’a délivré, pour la première fois, aux portes de cette cité orgueilleuse. Et si ce message nous était destiné, à nous, aujourd’hui ? Mais le bruit assourdissant de nos cités modernes couvre bien souvent la voix de ceux qui cherchent à s’y faire entendre. Qui prêterait attention à la voix d’un antique prophète hébreu ? Si encore il ne s’agissait que de la sienne ! Mais la parole prophétique est porteuse d’un message divin. Cette Parole transcende les époques et s’adresse à l’homme d’hier et d’aujourd’hui.

L’un des mots par lesquels le texte biblique désigne la « ville » est « ar ». Ainsi, il est écrit : « Plus d’ennemis ! Des ruines éternelles ! Des villes (ar) que tu as renversées ! Leur souvenir est anéanti » (Psaume 9:7). « Préparez le massacre des fils, à cause de l’iniquité de leurs pères ! Qu’ils ne se relèvent pas pour reconquérir la Terre et remplir le monde d’ennemis (ar) » (Esaïe 14:21). On disait alors : « Plus jamais ça ! » L’Allemagne de 1919 croulait sous les dettes. Les redevances qui lui étaient imposées par le traité de Versailles (« plus d’ennemis… des villes que tu as renversées ») provoquèrent une telle dévaluation de la monnaie que celle-ci ne valait à peine que le prix du papier sur lequel on l’imprimait. L’économie était chancelante et mise à genoux par une inflation galopante (« des ruines éternelles »). La décadence de sa bourgeoisie dans les années ’20 va favoriser la montée d’un parti nationaliste qui veut venger l’honneur de la nation et redresser le pays : « Qu’ils ne se relèvent pas pour reconquérir la Terre et remplir le monde d’ennemis ». Une fois de plus, « la bête allait monter de la terre » (Apocalypse 13:11). Chaque bête est une résurgence de la précédente. « Elle n’est plus, elle doit monter de l’abîme et aller à la perdition. Et les habitants de la terre… s’étonneront en voyant la bête parce qu’elle était et qu’elle n’est plus et qu’elle réapparaîtra » (Apocalypse 17:8). Une deuxième Guerre Mondiale se profilait ainsi à l’horizon et, vingt ans plus tard, tel un Phoenix qui renaît de ses cendres, l’aigle du Reich couvrit à nouveau de ses ailes une Europe à peine reconstruite.

La ville cruelle

Ninive. Sa cruauté était proverbiale. Les chroniques de la cité, découvertes au sein de ses ruines, en témoignent. Jonas parle d’ailleurs des « actes de violence dont leurs mains sont coupables » (Jonas 3:8). Littéralement : « la violence de leurs paumes ». Mais ne retrouve-t-on pas celle-ci dans toutes ces villes déshumanisées par leur gigantisme ? « De toi est sorti celui qui méditait le mal contre l’Eternel, celui qui avait de méchants desseins » (Nahum 1:11). Littéralement : « Celui qui projette contre IHVH Adonaï le mal conseiller de Bélial ».  Le prophète annonce la venue de « l’impie, celui qui doit venir ». L’hydre est un mutant qui s’adapte au milieu dans lequel il s’intègre. À chaque génération, il se revêt d’un nouveau déguisement. À l’époque d’Esther,  il prit la forme d’Haman. De lieu en lieu, d’époque en époque, il porte en lui le désir de détruire la postérité de Jacob.

Nahum utilise, dans son livre, une formulation quelque peu étrange : « Ainsi parle l’Eternel : Quoique intacts et nombreux ils seront moissonnés et disparaîtront » (Nahum 1:12). Littéralement : « We kên rabbim we kên na gozzu ». De très nombreuses tablettes découvertes à Ninive, lors des fouilles, portaient cette inscription qui exprimait, selon Scofield, « la responsabilité de la collectivité dans l’exécution d’un devoir ». La population était donc entièrement impliquée dans la réalisation d’un projet collectif. Elle en portait, toute entière, la responsabilité. Personne ne pouvait prétendre ne pas être concerné. Lorsqu’après que les Américains et les Russes aient libéré les camps de concentration, la population environnante soutint, de concert, ne pas avoir su, ne pas avoir été au courant de ce qui s’y faisait. Mais le procès de Nuremberg et les études ultérieures prouvèrent que la population environnante savait pertinemment ce qui se passait dans ces camps. Bien loin de cette cité assyrienne, les tablettes ninivites affleuraient, là aussi, à même le sol. « Le conseiller de Bélial, l’impie qui doit venir » avait étendu son pouvoir sur les peuples et les nations asservies. L’éradication systématique d’un peuple était plus qu’un projet. Plus qu’un objectif à atteindre, c’était une philosophie. Un génocide à l’échelle industrielle. La foule, dans les villes libérées, était en liesse pour accueillir les colonnes de blindés et les jeeps des GI’s, mais un spectacle désolant, presque inimaginable pour l’époque, allait marquer pour longtemps les soldats, américains et russes, qui pénétrèrent dans les camps de concentration, vidés de toute présence militaire. Une fois encore, Nahum utilise un mot qui, dans un certain contexte, prend un sens particulier. « Voici, sur les montagnes, les pieds du messager qui annonce la paix ! Célèbre tes fêtes, Juda, accomplis tes vœux ! Car le méchant ne passera plus au milieu de toi, il est entièrement exterminé… » (2:1). Israël pouvait à nouveau revivre, pratiquer ses rites, ses fêtes, en toute sécurité. Nahum passe ensuite à la description détaillée de la destruction de Ninive. Le même sort échut à la capitale du Reich. « Le destructeur marche contre toi, garde la forteresse ! » (2:2). Il poursuit en disant : « Veille sur la route ! Affermis tes reins ! Recueille toute ta force !… Car l’Eternel rétablit la gloire de Jacob et la gloire d’Israël » (2:2, 3). Trois ans plus tard, l’État d’Israël était fondé. Une autre guerre allait commencer.

La chute de « Ninive » 

Le nom de Nahum signifie « consolation de Dieu ». Il a la même racine que celui de Néhémie. Ce prophète galiléen a exercé son ministère au septième siècle avant notre ère, environ un siècle après qu’un autre prophète, Jonas, soit venu à Ninive pour y annoncer sa destruction prochaine. Ce qui nous permet de constater que la repentance, pourtant profondément sincère, des habitants de cette ville n’eut pas de réelle incidence sur les générations qui suivirent. Comme le disent les Sages d’Israël : « Si l’on n’apprend pas les leçons du passé, on est amené à répéter les mêmes erreurs ». La prédication de Nahum précède probablement de quelques années la destruction de Ninive, en l’an 612 avant notre ère, par les armées babyloniennes. Et si le prophétique transcende l’Histoire, les récits bibliques énoncent des principes universels qui s’appliquent à toutes les époques de celle-ci. Il est fort probable que, en cette fin de la première partie du vingtième siècle, peu aient su discerner, dans cet antique oracle, la voix du prophète qui annonçait, une fois de plus, la chute d’un empire et la destruction de sa capitale.

Quel est le message dont Nahum est porteur ? Premièrement, révéler le caractère de Dieu. Il révèle sa colère : « L’Eternel se venge, il est plein de fureur, l’Eternel se venge de ses adversaires, il garde rancune à ses ennemis » (Nahum 1:2), mais également sa bonté : « L’Eternel est bon, il est un refuge au jour de la détresse, il connait ceux qui se confient en lui » (Nahum 1:7). Nahum décrit d’abord le châtiment qui attend ses ennemis (1:9 à 2:1), puis détaille la destruction de Ninive (2:2 à 14), pour ensuite donner les raisons et les causes de cette destruction (3:1 à 19). Et j’en reviens ici au titre de cet article : Ninive ou Berlin ? Se pourrait-il que cet antique prophète ait annoncé la chute de la capitale de l’empire germanique ? « La terre se soulève devant sa face, le monde et tous ses habitants, qui résistera devant sa fureur (celle de Dieu)? Qui tiendra contre son ardente colère ? Sa fureur se répand comme le feu » (Nahum 1:5, 6). Oui, qui résistera à l’Eternel ? Par un étrange jeu de mots, c’est par le mot de « Führer » que l’on a désigné celui qui mit l’Europe à feu et à sang.

« De toi est sorti celui qui méditait le mal contre l’Eternel, celui qui avait de méchants desseins » (1:11). La haine que cet homme vouait au peuple juif visait, à travers lui, le Dieu qui l’avait choisi. À ce peuple, il opposait une idéologie. Face à l’élection, il revendiquait une soi-disant supériorité raciale. « Mais avec des flots qui déborderont, il (Dieu) détruira la ville (de Ninive) et il poursuivra ses ennemis jusque dans les ténèbres » (Nahum 1:8). Et de même que Ninive fut détruite, Berlin fut quasiment rasée par les bombardements. Quant au responsable de ce désastre sans précédent, il se suicida à l’âge de cinquante-six ans, après s’être rendu coupable de la mort de millions de personnes, dont beaucoup de civils. Mais même la mort ne pourra le préserver du courroux de Celui dont il est dit qu’il « poursuivra ses ennemis jusque dans les ténèbres ». « Tu n’auras plus de descendants qui portent ton nom » (1:14). « L’impie » mourut sans enfant, bien qu’il y en ait encore aujourd’hui pour se revendiquer de sa postérité spirituelle. « Je veux t’humilier pour ne plus avoir à t’humilier » (1:12). Berlin ne dut pas seulement subir les conséquences désastreuses de sa défaite, elle fut également divisée en deux pendant une trentaine d’années. L’armée soviétique ayant érigé un mur de séparation au sein même de la capitale de l’ancien Reich. Une nation moderne et prospère devait s’élever sur les ruines de son passé. « Que méditez-vous contre l’Eternel ? C’est lui qui détruit. La détresse ne paraîtra pas deux fois » (1:9). Jamais, depuis, un tel désastre ne s’est reproduit. Les nations ont tout fait pour s’en prémunir. Mais il se produira cependant encore un conflit mondial à la fin des temps. Un conflit que la Bible appelle « la guerre de Gog », réunissant une coalition de nations. la Germanie sera parmi elles.

« Parce que des pillards les ont pillés et ont détruit leurs ceps » (2:3).J’avais déjà abordé ce sujet dans un article sur le prophète Abdias qui traitait d’un sujet similaire. « Parce que des pillards les ont pillés ». Des tableaux de maîtres aux dents en or arrachées sur les cadavres dans les camps de la mort, on leur a tout pris, jusqu’à leur dignité. « Et ont détruit leurs ceps ». La vigne est l’un des symboles d’Israël, de son identité, de sa force, de sa vigueur, mais chaque fils qui a disparu dans la Shoah est un cep de vigne qui a été arraché à sa terre. Mais s’il est écrit : « La détresse ne paraîtra pas deux fois », c’est également pour témoigner que jamais plus un tel génocide n’aura lieu pour le peuple hébreu. Cependant, une telle menace se fait malgré tout sentir et certains craignent que cela ne puisse se reproduire si le peuple juif ne tenait compte des avertissements de son Histoire.

« Les boucliers de ses héros sont rouges, les guerriers sont vêtus de pourpre » (Nahum 2:4). Ce verset ferait plus facilement penser aux légionnaires romains et, prophétiquement, cela se pourrait bien car le message de Nahum, dans son intemporalité, pourrait tout aussi bien s’adresser à Rome. Mais la couleur rouge identifie plutôt ici, dans ce contexte, l’armée du même nom. « Avec le fer qui étincelle apparaissent les chars » (2:4). Ceux qui pénétrèrent dans Berlin, dévastée par les bombardements, affichaient, sur les flancs de leurs chars d’assaut, une étoile rouge. Rouge comme le sang qui n’avait cessé de couler durant ces cinq années de guerre. Mais quelle que soit la couleur des uniformes, le sang qui les teinte est le même pour tous les hommes.

« Au jour qu’il a fixé pour la bataille (selon le plan déterminé par l’Etat-Major). Et les lances sont agitées. Les chars s’élancent dans la campagne, se précipitent sur les places » (2:4b, 5a). Les canons des blindés pointaient leurs cibles comme des lances de fer. Leur progression était rapide et ils furent bientôt au cœur même de la capitale de l’Allemagne. « À les voir, on dirait des flambeaux, ils courent comme des éclairs » (2:5b). La vitesse à laquelle les flammes sortaient des lance-flammes pouvait faire penser que celles-ci allaient à la « vitesse de l’éclair ». La flamme sortant du canon des tanks et l’impact qui s’en suivait est parfaitement illustré par ces mots.

« Le roi de Ninive se souvient de ses vaillants hommes, mais ils chancellent dans leur marche, on se hâte vers les murs (pour se mettre à l’abri), on se prépare à la défense » (2:6). Les dernières lignes de défense de la Wehrmacht étaient constituées de vieillards et d’enfants berlinois, recrutés de force pour donner l’illusion au « fou furieux » d’une résistance valide. Les civils se hâtaient pour trouver un abri. Quelques soldats blessés titubaient dans les rues envahies de débris d’immeubles. « Les portes des fleuves sont ouvertes et le palais s’écroule » (2:7). Les troupes russes arrivèrent les premières. Hitler craignit de tomber entre leurs mains, ce qui précipitera sa décision de se donner la mort. Il s’était réfugié dans son dernier bunker, le haut lieu du commandement d’où il donnait ses ordres infâmes avait été détruit. L’étau se resserrait. Ézéchiel, prophétisant sur la ville phénicienne de Tyr, prononça des mots qui pouvaient s’avérer, alors, d’une brûlante actualité : « Ils prononcent sur toi une complainte et te disent : Eh quoi ! Tu es détruite. Ville célèbre qui était puissante, elle est détruite avec ses habitants, qui inspiraient la terreur à tous ceux d’alentour » (Ézéchiel 26:17). Esaïe, dans une perspective messianique, prononcera, lui aussi, des paroles de circonstance : « Car tu as réduit la ville en un monceau de pierres. La cité forte en un tas de ruines. La forteresse des barbares est détruite. Jamais elle ne sera rebâtie » (Esaïe 25:2). Ninive demeurera une ruine. Jamais plus Berlin ne sera National-socialiste.

Le repaire du lion  

 « C’en est fait : Ninive est mise à nu, elle est emmenée ». Nahum se laisse aller à une sorte d’envolée lyrique : « Les voilà qui fuient ! Arrêtez ! Arrêtez !… Mais nul ne se retourne… Pillez l’or ! Pillez l’argent ! Il y a des trésors sans fin, des richesses en objets précieux de toute espèce, on pille, on dévaste, on ravage ! Et les cœurs sont abattus, les genoux chancellent, tous les reins souffrent, tous les visages pâlissent » (2:9 à 11). Lorsque les Juifs furent arrêtés chez eux, tous leurs biens furent confisqués. Certains possédaient des objets de valeur (tableaux de maîtres, bijoux, argenterie et autres choses). Tout cela fut confisqué et emmené à Berlin pour grossir le « trésor de guerre ». Pendant ce temps, les camps d’extermination recevaient, de partout en Europe, de ces Juifs dont l’Allemagne voulait se débarrasser au plus vite. Combien y sont morts de faim, de maladies, de mauvais traitements, d’épuisement, de tortures et de meurtres sordides ? « Une multitude de blessés… une foule de cadavres !… Des morts innombrables !… On tombe sur les morts !… » (3:3). 

« Qu’est devenu ce repaire de lions, ce pâturage de lionceaux, où se retirait le lion (Hitler), la lionne (sa compagne Eva Braun), le petit du lion (Goering, Goebbels et les autres éminences grises du Reich), sans qu’il n’y ait personne pour les troubler ? » (2:12). C’était alors un temps heureux pour le monstre sanguinaire. Son règne qui devait durer mille ans touchait pourtant à sa fin. « Le lion déchirait pour ses petits (la génération montante de la « race » aryenne), étranglait pour ses lionnes. Il remplissait de proies ses antres, de dépouilles ses repaires » (2:13). Nahum ajoute, un peu plus loin : « Malheur à la ville sanguinaire, pleine de mensonge (de propagande), pleine de violence, et qui ne cesse de se livrer à la rapine » (3:1). Berlin se retrouva exsangue. Un lourd tribut lui sera imposé pour financer la reconstruction de ce désastre dont elle s’était rendue coupable. Ses chars ont été réduits en fumée et, lors du procès de Nuremberg, en 1946,  l’épée de la justice militaire a tranché et a condamné certains de ses dirigeants criminels à la pendaison ou à la prison.

« Malheur à la ville sanguinaire, pleine de mensonge, pleine de violence, et qui ne cesse de se livrer à la rapine… » (3:1). C’était de Berlin que partaient les ordres d’invasions ainsi que les plans sur la base desquels seront construits Auschwitz ou Ravensbrück. « Qui ne cesse de se livrer à la rapine », car les biens de tous ceux qui furent envoyés vers une mort immédiate ou différée (selon qu’ils étaient en mesure de travailler ou non) leur furent dérobés. Derrière cette idéologie maléfique, une administration corrompue pratiquait le vol, le pillage et la spoliation, pendant que ses victimes étaient exploitées, plus maltraitées que le seraient des esclaves. « On entend le bruit du fouet » (Nahum 3:2), mais également le bruit des côtes brisées par les coups de crosse de fusil. Le bruit du fouet lacère l’air comme les coups de cravache, les chairs. « On entend le bruit du fouet, le bruit des roues, le galop des chevaux, le roulement des chars » (3:2). Il m’est arrivé d’entendre le bruit des chars d’assaut avant de les voir paraître. De sentir le sol trembler alors que le bruit allait en augmentant. C’est une expérience inoubliable. Nahum décrit une scène de guerre. « Les cavaliers s’élancent, l’épée étincelle, la lance brille » (3:3a). Baïonnette au fusil, les armes sont bien graissées. Mais un autre spectacle s’ensuivra. « Une multitude de blessés…. une foule de cadavres. Des morts innombrables… on tombe sur les morts… » (3:3b). C’est le spectacle navrant qu’offrent les champs de bataille après que les hommes les aient couverts de leur sang. Beaucoup gisent encore, inertes ou agonisants, à jamais immobiles ou appelant à l’aide. Quelques uns, encore valides, traînant leur fatigue et leur détresse sur les routes, soutenant un camarade blessé. Les victoires sont à ce prix. Seuls quelques uns s’en félicitent. Les hommes de troupe ne se réjouissent plus que d’être encore en vie. « On tombe sur les morts » car quelques valides ou ambulanciers dévoués se pressent, guettant un râle qui témoigne encore, par la douleur, de la présence d’un survivant. Pour celui dont le corps est meurtri, la seule victoire est d’avoir survécu. La défaite est d’avoir vu mourir, à côté de soi, un ami, un camarade. Des villes et des vies furent détruites. Des femmes pleurèrent leurs morts. Pire encore, des disparus qui ne reviendront jamais, mais dont, toujours, on espérera le retour. Un peu moins chaque jour, mais avec un espoir qui ne pourra jamais s’éteindre tout à fait.

Nahum poursuit sa diatribe contre Ninive en se faisant l’écho de Celui qui l’envoie : « Voici, j’en veux à toi, dit l’Eternel des armées… je montrerai ta nudité aux nations, et ta honte aux royaumes. Je jetterai sur toi des impuretés, je t’avilirai et je te donnerai en spectacle. Tous ceux qui te verront fuiront loin de toi, et l’on dira : Ninive est détruite ! Qui la plaindra ? Où te chercherai-je des consolateurs ? (Nahum 3:5 à 7). 

« Je montrerai ta nudité aux nations ». Le règne de mille ans que promettait le Reich s’est effondré après quelques années et sa honte est apparue aux nations auxquelles il s’était attaqué. Sa ruine et la destitution de son pouvoir despotique ont été données « en spectacle » aux nations du Monde, et l’on a dit : « Ninive/Berlin est détruite ».  Elle a voulu attirer à elle toute la gloire, il ne lui restera que la honte, la défaite et l’ignominie.

« Tous ceux qui te verront fuiront loin de toi ». Berlin était à l’agonie, « avilie, et couverte par ses impuretés ». Sa gloire fanée n’attirera plus ses alliés, vaincus eux aussi.

« Qui te plaindra ? ». Qui ? Ceux qu’elle a dépouillée de ses forces vives, de ses biens et de sa liberté ? « Où chercheras-tu des consolateurs ? ». Qui viendrait la plaindre, hormis quelque dictateur d’Amérique du Sud où se réfugieront quelques uns de ses criminels de guerre ? « Toi aussi, tu te cacheras, tu chercheras un refuge contre l’ennemi. Toutes tes forteresses sont des figuiers avec des figues mûres » (Nahum 3:11, 12). Le fruit était mûr et allait tomber de l’arbre. Hitler savait que que son temps était compté. Acculé, réfugié dans son dernier bunker, la raison obscurcie, guetté par la folie, « le Furieux » déplaçait, sur ses cartes d’État-major, des divisions vaincues, anéanties. Il refusait l’évidence d’une infâmante défaite. Le peu de raison qui lui restait encore lui faisait craindre de tomber aux mains des Soviétiques qui ne pouvaient lui pardonner l’invasion de la Russie. Quelques complices de ses atrocités réussirent à s’enfuir sous d’autres latitudes. Sous une fausse identité, aidés par des comparses extracontinentaux, ils furent quelques-uns à se réfugier sous des cieux plus propices. Bien des années plus tard, l’un d’entre eux fut retrouvé mort d’une crise cardiaque sur une plage. Un autre fut kidnappé par le Mossad. Ramené en Israël, il fut jugé pour des crimes qu’il refusait de reconnaître. D’autres moururent de vieillesse, sous une autre identité, avec un passé d’emprunt mais vivant toujours avec la peur que la vérité n’éclate au grand jour. Et Nahum poursuit : « Voici, ton peuple, ce sont des femmes au milieu de toi » (Nahum 3:13a). L’Allemagne avait été dépouillée de sa gent masculine. Tous ses hommes avaient péri ou avaient été fait prisonniers. Affectés à des tâches de reconstructions dans les nations autrefois conquises, ils ne purent immédiatement retrouver leurs foyers. Les quelques ombres qui se déplaçaient au milieu des décombres étaient des femmes et des enfants, cherchant un peu de charbon pour se chauffer, un peu de nourriture pour ne pas mourir de faim.

« Les portes de ton pays s’ouvrent à tes ennemis. Le feu consume tes verrous » (Nahum 3:13b). La progression des armées russes et américaines fut rapide. Les « portes du pays » étaient désormais ouvertes. La Wehrmacht n’était plus en capacité de freiner la progression des Alliés. « Le feu » des tirs d’artillerie consumait ses « verrous », les dernières unités teutonnes n’opposaient, aux armées en marche, qu’une résistance sans conviction. Comme cela se produit bien souvent, la chute d’un pouvoir fort laisse la place à la corruption et aux conflits internes. Les armées en présence s’approprièrent chacune un territoire qu’elles occupèrent et délimitèrent jalousement. Alors que Berlin-Ouest était occupée principalement par les Américains, Berlin-Est l’était, elle, par les Russes. Voyant que beaucoup de Berlinois se réfugiaient à l’Ouest, fuyant le despotisme communiste, les Russes firent ériger un mur tout au long de la concession qui leur était attribuée par le Conseil allié des armées, défigurant ainsi, une fois de plus, la capitale germanique. Ce mur fut comme une balafre à la face des Berlinois. Une offense aux yeux du conseil militaire des armées occidentales. De ceux qui tentèrent de braver cette frontière inique, plusieurs le payèrent de leur vie. Les gardes soviétiques tiraient à balle réelle. Des corps sans vie demeuraient couchés là, à quelques mètres de la liberté. « Le feu consumait les verrous » d’une capitale désormais coupée en deux. Une nouvelle guerre, « froide » celle-là, allait commencer. « Froide » comme les camps d’internement de Sibérie où s’entassèrent les opposants d’un régime qui n’avait cessé de se durcir sous la main d’un dictateur sanguinaire. Ce même dictateur qui avait, il y a peu encore, participé aux accords de Yalta.

« Tes marchands, plus nombreux que les étoiles du ciel, sont comme la sauterelle qui ouvre les ailes et s’envole » (Nahum 3:16). L’Histoire n’est pas une science exacte. Son récit exalte souvent le vainqueur en rabaissant le vaincu. Avec le temps, des teintes de gris vinrent atténuer les couleurs chatoyantes de cette victoire trop lisse. On découvrit alors que l’Allemagne nazie fut en partie financée par de riches et puissants industriels américains. Ford, le fameux constructeur de voitures qui portaient son nom, entretenait, avec le nouveau maître de l’Allemagne nazie, des relations amicales mais aussi idéologiques. Ces « étoiles du ciel » pouvant ainsi rappeler, de loin, celles qu’arbore le « Stars & Stripes »*. La mécanisation promut la production industrielle américaine à l’échelle nationale, mais très vite cette production dépassa largement la demande. Les chefs d’entreprise se devaient de trouver rapidement de nouveaux marchés pour écouler les stocks qu’ils ne pouvaient désormais plus endiguer. L’Europe était susceptible de leur fournir une clientèle potentielle. Mais celle-ci se relevait péniblement d’une première guerre mondiale et sa relance peinait à démarrer. Lorsque Hitler monta au pouvoir, dans les « années trente », les industriels américains virent en lui un partenaire commercial potentiel pour l’Europe. L’émergence d’un nouveau pouvoir, en Allemagne, permettait d’entrevoir une nouvelle économie de marché. Celui de l’armement. L’industrialisation de l’Amérique était en mesure de fournir, à ce pouvoir naissant, le matériel dont celui-ci avait besoin, tout en maintenant ainsi son taux de productivité. Le Reich s’endetta à nouveau sur la promesse de juteux bénéfices à venir. Mais lorsque la défaite de l’Allemagne fut décidée comme irrévocable, les « marchands se firent les ailes ». « La sauterelle » a ouvert ses ailes et s’est envolée. L’évocation de cet insecte est des plus éloquente car il dévore tout sur son passage. Il se déplace en très grand nombre et ne laisse, après son passage, qu’un espace désolé, dépourvu de toute végétation. Tout est dévoré, jusqu’aux vêtements en fibres naturelles, tout ce qui peut satisfaire l’appétit vorace de cette espèce animale à laquelle faisaient référence les Prophètes lorsqu’ils annonçaient l’invasion d’une armée ennemie.

« Tes bergers sommeillent, roi d’Assyrie, tes vaillants hommes reposent, ton peuple est dispersés sur les montagnes et nul ne le rassemble » (Nahum 3:18). Oui, ses « bergers » sommeillaient pour toujours. Les foules en liesse qui buvaient avidement les paroles de ce « guide » n’entendront plus la voix du « Furieux » éructer devant ces micros qu’un auteur de l’antiquité, au bas de l’estrade, aurait pu comparer à des « dents de fer » (Daniel 7:7). « Tes vaillants hommes reposent (pour toujours) ». D’autres générations se lèveront dans un pays occupé. Il faudra attendre 1990 pour voir l’Allemagne se réunifier. Un processus qui a vu le retrait des Russes, des Américains, des Français et des Anglais.

« Ton peuple est dispersé sur les montagnes et nul ne le rassemble » (Nahum 3:18). Pendant plus de quarante ans, l’Allemagne fut divisée en deux. Les membres de certaines familles se saluaient par la fenêtre, de part et d’autre du Mur qui les avait séparés. « Les montagnes », dans la symboliques biblique, peuvent représenter des empires, un pouvoir en place. Disséminés sur ces « montagnes », soumis à l’autorité des armées occupantes, les nouvelles générations apprenaient la raison de leur présence. Sans qu’ils l’aient voulu, leur histoire était entrée dans l’Histoire.

« Il n’y a pas de remède à ta blessure. Ta plaie est mortelle. Tous ceux qui entendront parler de toi battront des mains sur toi car quel est celui que ta méchanceté n’a pas atteint ? » (Nahum 3:19). Ailleurs, au delà de ses frontières, d’autres générations se levèrent également. Sur les bancs de l’école, on leur apprit pourquoi, au sein de l’Europe, un pays était coupé en deux. Les anciens leur racontèrent ce qui, à leurs yeux d’enfants, était déjà l’histoire d’un autre temps. « Car quel est celui que ta méchanceté n’a pas atteint ? » (Nahum 3:19). Le temps passant, d’autres conflits allaient mobiliser les forces vives des nations. L’Algérie, l’Indochine, partout ailleurs s’allumaient d’autres feux. D’autres conflits naissaient entre des peuples. La télévision arrivait dans les foyers. Elle se fera l’écho de guerres lointaines où des hommes tuent d’autres hommes, où des femmes pleurent leurs maris, des enfants leurs pères.

Un message pour aujourd’hui

Le livre de Nahum ne parle pas que de Ninive. Il s’adresse à « la ville sanguinaire, pleine de mensonge, pleine de violence et qui ne cesse de se livrer à la rapine » (Nahum 3:1). À toutes ces « villes » qui, d’une quelconque façon que ce soit, excitent à la guerre et poussent à la ruine d’autres nations, d’autres peuples. Si le message du prophète Nahum est aujourd’hui oublié de beaucoup, il a cependant encore quelque chose à nous dire sur ces conflits dont nos écrans nous renvoient les images. Saurons-nous l’écouter ? Car nous sommes nous aussi impactés par ces conflits d’hier et d’aujourd’hui. Même ceux dont il ne nous parvient qu’un son assourdi. Car nous ne pouvons raisonnablement demeurer insensibles à la misère humaine. De tous temps et en bien des lieux, des Ninive sont sorties de terre et se sont élevées au-dessus des nations pour imposer leurs lois. Que faut-il en penser ? À cette question, il se peut que les écrits de ces antiques prophètes hébreux aient encore quelque chose à nous dire. Alors, tout à nouveau, une parole pourra se faire entendre. « Oracle sur Ninive. Malheur à la ville sanguinaire… ».

Si la date du 11 Septembre est, pour beaucoup, significative, à l’inverse, celle du 11 Novembre n’évoque plus qu’un lointain événement d’un passé révolu. Elle fut pourtant, pour nos pères, la fin d’un long cauchemar. Et si le message des Prophètes s’adresse encore aujourd’hui à notre génération, celui-ci pourrait se résumer en quelques mots lourds de sens : « L’Eternel est le Dieu des nations. Il est Dieu de toute la Terre ».

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