Photo : Sameer Al-Doumy / AFP : Tracteurs sur l’autoroute A16 à hauteur de L’Isle-Adam, 30 janvier.

Malgré les premières promesses de Gabriel Attal, les paysans sont « montés à Paris » avec leurs tracteurs. « Les agriculteurs protestent (…) contre la hausse des coûts de production et les obligations environnementales croissantes, sur fond d’inflation et de concurrence des importations » résume Ouest-France (23 janvier). Cultivateurs et éleveurs sont confrontés à une avalanche de problèmes énumérés par l’émission « Le vrai du faux sur le malaise paysan » sur LCI (22 janvier à partir de 1’38).

1) Le dénominateur commun aux revendications, c’est le revenu, donc la survie  : « Selon l’Insee, les revenus ont baissé de 40 % en 30 ans. Et un agriculteur sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. » (Le Figaro, 23 janvier). Ces dix dernières années, 100 000 exploitations ont disparu en France. Et le pire est à venir : pour trois agriculteurs qui partent à la retraite, un jeune seulement s’installe.

2) Les paysans font les frais des exigences contradictoires de l’UE : sous la pression des lobbies écologistes, elle veut faire des paysans européens des jardiniers de la nature, mais sous la pression des lobbies industriels et de la grande distribution, pour attirer les consommateurs avec des produits pas chers, elle présente une ouverture béante au libre-échange … L’UE est enfermée dans « la logique folle du Pacte vert européen » qui prétend organiser la décroissance en Europe pour sauver la nature, dénonce Vincent Trémolet de Villers dans son éditorial d’Europe 1 (29 janvier). Concernant l’agriculture, la feuille de route établie par la Commission européenne s’intitule « Farm to fork » ( « De la ferme à la fourchette »). Elle joue contre la production agricole européenne en multipliant les normes et en obligeant les agriculteurs à mettre en jachère 4 % de leurs terres cette année.

3) Nos agriculteurs ploient sous un empilement de normes européennes moulinées par la pesante administration française. Elle s’en régale et en rajoute jusqu’à l’absurde. Exemples : le règlement concernant les poules pondeuses comporte 167 pages ; les haies sont soumises à 14 réglementations issues des codes de l’environnement, de l’urbanisme, du patrimoine ; un fossé qui borde un champs est à entretenir s’il appartient à la catégorie « fossé à curer », non si c’est un « cours d’eau incurable », distinguo subtil à géométrie variable… Autre exemple ubuesque : les produits phytosanitaires. Les arboriculteurs n’ont le droit de traiter que deux heures avant le coucher du soleil et trois heures après, pour protéger les abeilles. Excellente cause, louable intention car sans abeilles, pas de pollinisation, et pas de fruits ! Sauf que ces créneaux horaires sont inadaptés aux régions où le vent se renforce souvent en fin de journée…Mais les arboriculteurs qui passent outre en traitant plus tôt ou plus tard pour ne pas disperser le produit et polluer l’environnement, sont impitoyablement mis à l’amende ! S’ajoutent à ces tracasseries, les délais hexagonaux : pour installer un méthaniseur en Allemagne, il faut 18 mois, en France, il faut 5 ans… Le tout accompagné du traditionnel climat de défiance de l’administration française envers ses administrés…

4) Les produits importés, y compris de pays membres de l’UE, ne sont pas soumis aux mêmes exigences sociales et environnementales.Conséquences : les exportations baissent, les importations explosent, et la France perd son autosuffisance alimentaire. La France importe 50 % de la viande de mouton et des poulets qu’elle consomme. L’UE a levé temporairement les droits de douane sur les importations d’Ukraine pour la soutenir contre la Russie. Cette mesure a conduit à une hausse des importations en Europe de sucre, d’œufs ou de poulets ukrainiens. Le poulet français coûte entre 7 et 11 €/kg contre 3 €/kg pour un poulet ukrainien. Les cerises françaises sont soumises à la concurrence déloyale des cerises importées de Turquie ou d’Espagne, traitées avec des produits interdits en France. Une poire sur deux est importée. Les tomates marocaines sont vendues 2,49/kg, les françaises, plus du double.La courgette d’Espagne est à 3,49 €/kg, contre 4,69 €/kg la courgette française. Et nos pizzas sont généreusement enduites de coulis de tomate chinois. « On pousse nos agriculteurs à faire du haut de gamme. Avec la crise inflationniste, le consommateur arbitre de plus en plus souvent en choisissant le produit le moins cher…très souvent importé et ne respectant pas les règles imposées aux producteurs locaux. » résume le journaliste économiste François Lenglet sur LCI, Qu’importe ! La France doit donner l’exemple ! » disent les écologistes. Et tant pis si nos paysans en meurent ? « Un suicide d’agriculteur tous les 2 jours en France, soit 180 personnes par an », rappelle France 3.

Conclusion. Que va faire Emmanuel Macron ? Dénoncer à Paris la politique qu’il soutient à Bruxelles ? « Confronté à l’une des plus graves crises du secteur agricole de ces dernières années, l’exécutif l’est également à ses contradictions » observe Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire (en lien ci-dessous).

Philippe Oswald