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Après avoir fréquenté pendant treize ans de nombreuses Églises et organisations para ecclésiastiques, je pris la décision audacieuse de sortir de l’Église institutionnelle. C’était en 1988. Depuis ce temps, je ne suis jamais retourné au christianisme institutionnel. Au lieu de cela, je me suis tourné vers ce que j’appelle « les Églises organiques. »

Pourquoi ai-je quitté l’Église institutionnelle? Pour commencer, j’en étais arrivé à  m’ennuyer douloureusement pendant les services religieux du dimanche matin. Cela était vrai sur tout le tableau des Églises que je fréquentais, quelle que soit leur dénomination (ou absence de dénomination). Je voyais également très peu de transformation spirituelle dans les personnes qui formaient ces Églises. Et la croissance spirituelle que j’ai moi-même connue m’a semblé se produire en dehors des milieux religieux traditionnels.

En outre, quelque chose de profond en moi désirait une expérience de l’Église correspondant à  ce que je lisais dans mon Nouveau Testament. Et je n’arrivais pas à  la trouver dans n’importe laquelle des Églises traditionnelles auxquelles je me joignais. En fait, plus je lisais la Bible, plus je devenais persuadé que l’Église contemporaine s’était éloignée de ses racines bibliques. Le résultat fut que je mis fin à  mon expérience du christianisme institutionnel, et commençai à  rencontrer avec un groupe de chrétiens d’une manière organique.

Après avoir franchi cette étape, amis et connaissances me demandaient souvent :

« Alors, où vas-tu à  l’Église ? »

Donner une réponse était toujours un moment d’embarras. « J’appartiens à  une Église qui n’a pas de pasteur ou de bâtiment d’église ; nous nous réunissons vraiment comme les premiers chrétiens le faisaient, et nous sommes consumés par Jésus-Christ » était ma réponse courante. Mais dès que ces mots sortaient de ma bouche, la personne m’interrogeant me regardait singulièrement comme si je venais de Mars !

Aujourd’hui, on me pose toujours la question :

« Alors, où vas-tu à  l’Église ? »

Mais j’ai une meilleure façon d’articuler la réponse que je ne le faisais il y a vingt ans (même si je reconnais que ma réplique est encore maladroite et imparfaite).

C’est là  que réside le but de ce livre* : articuler une réponse biblique, spirituelle, théologique et pratique à  la question. Y a-t-il un moyen viable de vivre l’Église en dehors de l’expérience d’Église institutionnelle, et si oui, à  quoi cela ressemble ?

Si les vingt dernières années m’ont appris quelque chose, c’est bien qu’il y aura deux grandes réponses à  ce livre. L’une s’entendra comme ceci : « Dieu merci, je ne suis pas fou ! J’ai pensé que j’avais perdu la tête. Je suis ravi qu’il existe d’autres personnes qui partagent mes sentiments sur l’Église. Ce livre a donné la parole à  des sentiments et des croyances que j’ai entretenus pendant des années. Et il m’a donné d’espérer qu’il y a vraiment une expérience de vie d’Église au-delà  de ce qui est généralement connu et accepté. »

L’autre s’entendra à  peu près comme ceci : « Comment osez-vous remettre en question nos pratiques d’Église ! Dieu aime l’Église. De quel droit la critiquez-vous ? Et qui vous donne le droit de dire que votre façon de vivre l’Église est la seule valable ? »

Je serai le premier à  admettre que je peux m’amender dans mes propres opinions. Je continue de croître et d’apprendre. Cependant, le souci avec cette objection particulière, c’est qu’elle dévoile le problème-même auquel ce livre tente de répondre. A savoir, nous, chrétiens, sommes très confus sur ce qu’est l’Église. En aucun cas je ne critique l’Église. En fait, j’écris ce volume parce que j’aime beaucoup l’Église. Et c’est à  cause de cet amour que je veux voir le corps de Christ lui-même s’exprimer de la façon que je crois, Dieu a prévu à  l’origine. L’Église, par conséquent, ne doit pas être confondue avec une organisation, une dénomination, un mouvement, ou une structure de direction. L’Église est le peuple de Dieu, l’épouse-même de Jésus-Christ. Et comme je vais l’expliquer dans ce livre, Dieu n’a pas gardé le silence sur la façon dont l’Église doit naturellement s’exprimer sur la terre. Par conséquent, ce sont les pratiques actuelles de l’Église que je cherche à  réimaginer, pas l’Église elle- même.

En outre, je ne prétendrai jamais qu’il y ait une « bonne » façon de vivre l’Église. Et je ne prétends certainement pas que je l’ai trouvée. Ce livre réinvente l’Église d’une façon neuve, façon que je crois être en harmonie avec les enseignements de Jésus et des apôtres. Et pour moi, et pour quantité d’autres croyants, nous avons trouvé cette façon de répondre à  nos aspirations les plus profondes en tant que chrétiens.

Deux livres ont précédé celui-ci. Le premier est intitulé The Untold Story of the New Testament Church [L’histoire jamais racontée de l’Église du Nouveau Testament]. Dans The Untold Story, je passe en revue toute la saga de l’Église du premier siècle dans l’ordre chronologique. Le livre des Actes et les Épîtres sont mélangés pour créer un récit ininterrompu de l’Église primitive. Réimaginer l’Église est basé sur cette histoire au flux libre. La différence est que Réimaginer prend certaines images de ce récit magnifique et les divise en catégories spécifiques. Ensemble, les deux livres brossent un portrait fascinant de la vie de l’Église du Nouveau Testament.

Le second livre, intitulé Pagan Christianity (Le christianisme paganisé) démontre que, historiquement, l’Église contemporaine s’est éloignée de ses racines originelles. L’Église telle que nous la connaissons aujourd’hui a évolué (ou plus exactement, a dévalué) partant d’une expression vivante, haletante, dynamique, organique de Jésus-Christ, pour une organisation hiérarchique trop lourde dont la structure de base est calquée sur l’ancien Empire romain. Fait révélateur, la plupart des Églises aujourd’hui conservent encore cette structure.

Ce livre est divisé en deux parties. La première partie est intitulée « Communauté et rassemblements. » J’y explore comment l’Église primitive a vécu sa vie et comment elle se réunissait. Par la suite je compare et contraste ces éléments avec les pratiques de l’Église contemporaine.

La deuxième partie du livre est intitulée « Direction et redevabilité. » J’y présente un nouveau modèle pour comprendre la direction, l’autorité et la redevabilité. Ce modèle est autant contre-culturel qu’enraciné dans les principes bibliques. Mais il est également pratique. Je l’ai vu fonctionner au cours des vingt dernières années. J’ai également conçu un appendice pour fournir des réponses aux objections courantes.

Vous voudrez bien prendre en compte que mon but dans l’écriture de cet ouvrage est davantage l’édification que la controverse. Néanmoins, parce que beaucoup des idées que je présente sont si radicalement éloignées de la compréhension traditionnelle, elles vont probablement susciter des froncements de sourcils et, dans certains cas, l’hostilité.

Mon espoir est que vous porterez avec moi et envisagerez chacun de mes arguments à  la lumière de l’Écriture et sous le contrôle de votre propre conscience. Ma posture dans l’écriture est mieux rendue par C.S. Lewis: « Pensez à  moi comme à  un voisin de chambre dans le même hôpital qui, pour avoir été admis un peu plus tôt, pourrait donner quelques conseils. » Le désir de mon cœur, c’est de voir le peuple de Dieu libéré de la tyrannie du statu quo ainsi que des structures de direction écrasantes. Tout ceci pour une raison : afin que Jésus-Christ redevienne central et suprême dans Son Église.

Frank Viola Gainesville, Floride Octobre 2007

 

INTRODUCTION

VERS UN GENRE NOUVEAU D’ÉGLISE
Nous vivons à  une époque désespérément en-dessous du modèle du Nouveau Testament,

dans le confort d’une gentille petite religion. -Martyn Lloyd-Jones

La plupart des chrétiens ne se rendent pas compte que les concepts centraux et les pratiques associées à  ce que nous appelons ‘Église’ ne sont pas ancrés dans le Nouveau Testament, mais dans les modèles établis dans l’âge postapostolique. -Jon Zens

Une révolution à  la fois dans la théologie et la pratique de l’Église est à  nos portes. D’innombrables chrétiens, y compris des théologiens, des ministres du culte et universitaires, sont à  la recherche de nouvelles façons de renouveler et de réformer l’Église. D’autres ont complètement renoncé à  la notion traditionnelle de l’Église. Ils ont acquis la conviction que l’Église institutionnelle telle que nous la connaissons aujourd’hui est non seulement inefficace, mais elle est également sans fondement biblique. Pour cette raison, ils pensent que ce serait une erreur de réformer ou de renouveler la structure actuelle de l’Église. Parce que la structure est la racine du problème.

Je suis arrivé à  cette conclusion troublante il y a vingt ans, quand peu de gens que je connaissais osaient remettre en question les pratiques de l’Église institutionnelle. Pour cette raison, je connus la solitude. Et certains jours, honnêtement, je me demandais si je n’avais pas perdu la tête.

Les choses ont changé. Aujourd’hui, le nombre de ceux qui s’interrogent sur l’Église institutionnelle est sans cesse grandissant3. Leur clan est en augmentation chaque année. Un grand nombre d’entre eux est sorti de l’Église institutionnelle. Et ils sont en quête d’une expérience d’Église qui réponde le mieux aux aspirations les plus profondes de leur cœur.

En effet, une révolution se prépare aujourd’hui. Et cette révolution va au-delà  de la réforme et du renouveau de l’Église. Au lieu de cela, elle va directement à  la racine de la pratique et la théologie de l’Église elle-même. Peut-être un exemple historique permettra d’expliquer ce phénomène.

Pendant des siècles, les astronomes de l’Occident ont cherché à  comprendre la rotation des étoiles et des planètes. Pourtant, peu importe combien de fois ils ont cherché à  modifier les données qu’ils possédaient, ils ne pouvaient pas effectuer leur travail de calcul. La raison en était simple. Leur point de référence était vicié. Ils travaillaient avec un modèle géocentrique de l’univers. Ils croyaient que les étoiles et les planètes tournaient autour d’une terre immobile. Et sur cette prémisse, ils avaient construit leur compréhension complète de l’univers.

Un iconoclaste nommé Copernic arriva et remit en question cette prémisse. Il postula l’idée révolutionnaire que les planètes et les étoiles tournaient autour du soleil. La perspective héliocentrique de l’univers de Copernic fut vivement contestée dans un premier temps. Mais nul ne pouvait contester le fait que ce nouveau modèle faisait fonctionner les données beaucoup mieux que le point de vue géocentrique. Pour cette raison, le point de référence héliocentrique fut finalement accepté4.

Dans le même esprit, ce livre est une tentative fervente de présenter un nouveau paradigme pour l’Église. Un qui est construit sur le concept du Nouveau Testament selon lequel l’Église de Jésus- Christ est un organisme spirituel, et non une organisation institutionnelle.

3Voir George Barna, Revolution (Carol Stream: Tyndale, 2005), 9, 39, 65, 107-108.
4La publication de Copernic: « Sur les révolutions des sphères célestes », est souvent considérée comme le marqueur du début de la révolution scientifique.

J’ai rencontré peu de chrétiens qui remettraient en question cette dernière phrase. En fait, j’ai rencontré d’innombrables croyants qui disaient : « l’Église est un organisme, et non une organisation. » Pourtant, bien qu’ils aient proféré ces mêmes mots, ils ont continué à  être des membres pieux d’Églises à  l’organisation inspirée de General Motors et Microsoft.

Dans ce livre, je soulèverai des questions pointues sur ce sujet. Plus précisément, que veut vraiment dire l’expression « l’Église est un organisme » ? Et comment une « Église organique » se conduit-elle et fonctionne au XXIe siècle ?

Tout au long du livre, je vais utiliser des termes tels que « Église du Nouveau Testament », « Église primitive », et  » Église du premier siècle » comme des synonymes. Tous ces termes font référence à  l’Église primitive du Premier Siècle telle que dépeinte dans le Nouveau Testament.

Je vais aussi faire allusion à  ces Églises dont la plupart des gens sont familiers comme des « Églises institutionnelles. » J’aurais pu tout aussi facilement les appeler « Églises de l’establishment », « Églises basiliques », « Églises traditionnelles », « Églises organisées », « Églises à  clergé », « Églises contemporaines », « Églises auditoires », « Églises de spectateurs », « Églises auditorium », « Églises héritées », « Églises patrimoniales », ou « Églises programmées ». Tous ces outils linguistiques sont inadéquats. Pourtant, à  mon avis, « l’Église institutionnelle » illustre le mieux l’essence de la plupart des Églises aujourd’hui.

Vous voudrez bien garder à  l’esprit que lorsque j’utilise l’expression « Église institutionnelle » je ne parle pas du peuple de Dieu. Je parle d’un système. L' »Église institutionnelle » est un système, une façon de vivre « l’Église. » Et nullement les gens qui la peuplent. Cette distinction est importante, et c’est elle qui doit être gardée à  l’esprit pendant la lecture de ce livre.

Un sociologue peut s’opposer à  mon utilisation du mot « institutionnel ». Sociologiquement parlant, une institution est une activité humaine à  motifs. Par conséquent, une poignée de main et une accolade de salutation sont des institutions. J’admets volontiers que toutes les Églises (même les Églises organiques) ont un côté institutionnel.

Mais j’utilise l’expression « Église institutionnelle » dans un sens beaucoup plus étroit. En effet, je me réfère à  ces Églises qui fonctionnent essentiellement comme des institutions existant au-dessus, au-delà , et indépendamment des membres qui les peuplent. Ces Églises sont davantage construites sur des programmes et des rituels que sur des relations. Elles sont très structurées, généralement des organisations centrées sur un bâtiment et régies par des professionnels dévolus (les « ministres du culte » et « clergé ») qui sont aidés par des bénévoles (des laïcs). Ils ont besoin de personnel, de locaux, de salaires, et d’administration. Dans l’Église institutionnelle, les fidèles assistent une ou deux fois par semaine à  un spectacle religieux mené principalement par une personne (le pasteur ou ministre du culte), puis se retirent chez eux pour vivre leurs propres vies de chrétiens et chrétiennes.

En revanche, je désigne par « Église organique » ces assemblées qui fonctionnent selon les mêmes principes spirituels que l’Église dont l’histoire est narrée dans le Nouveau Testament. L’Église du Nouveau Testament était d’abord et avant tout organique, comme le sont toutes les Églises qui se dressent dans sa lignée. Nous devons l’expression « Église organique » à  T. Austin-Sparks. Il écrit :

La voie et la loi de plénitude de Dieu est celle d’une vie organique. Dans l’ordre divin, la vie produit son propre organisme, qu’il soit végétal, animal, humain ou spirituel. Cela signifie que tout vient de l’intérieur. Fonction, ordre et fruit proviennent de cette loi de la vie intérieure. C’est uniquement sur ce principe que ce que nous avons dans le Nouveau Testament a vu le jour. Le christianisme organisé a complètement renversé cet ordre5.

Allant plus loin avec cette idée, mon ami Hal Miller a comparé avec brio l’Église institutionnelle avec l’Église organique en utilisant une simple métaphore. Il écrit :

(  T. Austin-Sparks, Words of Wisdom and Revelation (Corinna, ME: Three Brothers, 2000), 49.

Les Églises institutionnelles sont un peu comme des trains. Elles vont dans une certaine direction, et elles vont continuer dans cette direction pour un bon bout de temps, même si toutes les mains essayent de les en empêcher. Comme avec les trains, les possibilités pour faire changer de direction aux Églises institutionnelles sont au mieux limitées. Si un commutateur ou une voie de garage est disponible, le train pourrait tourner. Sinon, il suit simplement les rails. Et tout le monde à  bord a bon espoir d’être sur le bon train, allant dans la bonne direction.