https://fr.chabad.org/parshah/article_cdo/aid/1083243/jewish/Le-nom-et-le-nombre.htm

Tous les dimanches après-midi, le Rabbi se tenait devant la porte de son bureau pour saluer et bénir tous ceux qui venaient le voir. Souvent, il restait debout pendant des heures au cours desquelles des milliers de personnes passaient devant lui, beaucoup en quête d’une bénédiction ou d’un conseil pour un problème personnel ou un dilemme spirituel. On demanda un jour au Rabbi comment il avait la force de rester ainsi debout toute la journée, quelques fois pendant sept ou huit heures d’affilée, pour satisfaire chacun. Le Rabbi fit un grand sourire et répondit : « Quand on compte des diamants, on ne se fatigue pas ! »1

 La paracha de Chemot commence par un décompte de la famille de Jacob, ses fils et leurs familles soixante-dix personnes, en tout qui étaient descendues en Égypte2 : « Voici les noms des fils d’Israël, venus en Égypte avec Jacob, chacun avec sa famille. Ruben, Siméon, Lévi et Judah, Issachar, Zabulon et Benjamin, Dan et Nephtali, Gad et Acher. Toutes les âmes… étaient au nombre de soixante-dix. »

Le récit relate ensuite la façon dont « les Enfants d’Israël fructifièrent, s’accrurent énormément et étaient devenus très forts ».3 La population juive en Égypte, qui comptait soixante-dix âmes à son arrivée, connut une croissance extraordinaire et devint une nation si forte et puissante qu’elle menaçait la sécurité de l’Égypte de Pharaon. Ce verset justifie donc le décompte de ceux qui descendirent en Égypte qui démontrer le contraste frappant entre la modestie de leur nombre originel et la croissance remarquable qui suivit.

Rachi, dans son commentaire de ce verset, semble suggérer une raison supplémentaire à ce décompte4 : « Bien que [D.ieu] les ait comptés par leur nom de leur vivant,5 Il les a de nouveau comptés après leur mort, pour montrer combien ils sont précieux pour Lui. Car ils sont comparés aux étoiles, qu’Il fait sortir et rentrer par leurs nombres et par leurs noms, comme il est dit : “Lui qui fait sortir leurs multitudes par leurs nombres ; Il les appelle par leurs noms.”6 »

Ce qui étonne Rachi est le fait qu’il ait été nécessaire de répéter les noms des fils de Jacob qui avaient déjà été précédemment mentionnés à la fin du livre de la Genèse. Si la Torah désirait souligner leur croissance en nombre, il aurait été suffisant d’indiquer qu’ils étaient au nombre de 70. Or les noms des douze tribus sont mentionnés. Rachi affirme donc que les noms des fils de Jacob sont énoncés uniquement dans le but d’exprimer l’amour que D.ieu leur porte.

Si c’est ainsi, il apparaît que c’est la mention de leurs noms, plutôt que leur nombre, qui exprime l’amour de D.ieu, car le compte a été répété dans un autre but : celui de souligner leur immense accroissement. En fait, les seuls noms mentionnés ici sont ceux des douze tribus, alors que le nombre de 70 inclut aussi leurs enfants et petits-enfants. Cependant Rachi dit dans son commentaire que « Il les a comptés après leur mort, pour montrer combien ils sont précieux pour Lui ». Les soixante-dix descendants furent comptés « chaque homme et sa famille »7 en tant qu’extension des douze fils de Jacob, indiquant que le compte était en principalement concentré sur ces derniers. Rachi conclut donc que le compte et la mention des noms des fils de Jacob démontrent l’amour de D.ieu pour eux.

Le fait de compter et de nommer des objets leur confère une signification et une importance. Un enfant possédant une collection de timbres ou de pierres passera des heures à les contempler, les dénombrant sans cesse. Il pourra même attribuer un nom aux pièces particulièrement précieuses de sa collection. Donner un nom à un objet l’élève en effet à un niveau supérieur de considération. Le nom indique que l’objet possède des qualités si exceptionnelles qu’il mérite une reconnaissance particulière.

Le peuple juif est comparé aux étoiles, les joyaux célestes de D.ieu, qu’Il compte avec amour chaque soir en les appelant par leur nom. Le matin, elles sont rassemblées et une fois encore comptées par leur nom. Quand les étoiles sont dénombrées, c’est leur qualité commune qui est relevée : leur essence, leur nature d’étoile. Dans ce cas, chaque étoile ne compte ni plus ni moins qu’une autre étoile. En revanche, lorsque les étoiles sont nommées, les qualités spécifiques de chacune d’entre elles sont alors exprimées : son éclat et sa beauté, ainsi que les qualités spirituelles qui émanent d’elle.

De la même manière, chaque Juif possède une âme essentielle, son « étoile » intérieure, ce qui nous rend tous pareillement importants et précieux aux yeux de D.ieu. En même temps, chaque âme possède des qualités uniques, qui sont reflétées dans le nom de la personne. Le fait d’être comptés met l’accent sur la qualité essentielle, indivisible que nous partageons tous, alors que le fait d’être nommés souligne nos capacités et nos attributs personnels.

Être à la fois comptée et nommée révèle l’essence de la personne, au-delà de son apparence extérieure. Lorsque les Juifs sont dénombrés, les plus importants et les plus distingués valent autant que ceux qui sont bas et abjects. Car tous contiennent une âme, et toutes les âmes « sont égales, et elles ont un seul père. »8 Le nom d’un Juif a aussi une relation avec son âme. Un être humain porte le même nom tout au long de sa vie, depuis son état de nourrisson vulnérable jusqu’à ce qu’il devienne un adulte accompli. De fait, le nom d’une personne n’est pas lié avec sa personnalité extérieure, mais avec sa nature profonde, qui peut être encore latente en elle. Chaque personne a la mission de révéler cette force dormante et de l’utiliser à des fins positives. Dès lors, la beauté intérieure d’une personne doit lui être révélée, de sorte qu’elle puisse en utiliser le potentiel à cette fin. C’est ce qui est effectué en « comptant par le nom ». Grâce à cela, les forces cachées d’une personne se révèlent de sorte qu’elles puissent être utilisées pour le bien de la création tout entière.

Toutefois, bien que compter et nommer concernent tous deux l’essence de la personne, chacun touche à un niveau différent de l’âme. Le compte révèle l’essence de l’âme telle qu’elle existe dans les sphères célestes avant sa descente sur terre. Dans le royaume céleste, toutes les âmes sont en effet semblables, car elles n’ont pas encore revêtu le corps qui leur donnera leurs attributs spécifiques. Elles n’ont alors pas de nom. Celui-ci leur sera donné après leur descente ici-bas où il est un reflet de leur essence. Être « compté par le nom » permet à sa qualité essentielle – qui est au-dessus du corps et au-dessus du nom – d’illuminer la personne de l’intérieur de son corps.

Le livre de l’Exode commence par « Voici les noms des Enfants d’Israël qui sont descendus en Égypte ».9 L’Égypte est le symbole de la descente de l’âme sur terre. Le « Compte par le nom » est effectué préalablement à la descente de l’âme sur terre pour lui donner les forces de surmonter les limites imposées par l’obscurité du monde matériel. L’élément de l’âme qui est « compté » possède une supériorité sur celui qui est « nommé » dans le sens où il est transcendant, universel et indivisible. Pourtant, c’est grâce à l’élément « nommé » de son âme que la personne remplit sa mission dans ce monde : les énergies et les capacités uniques qui constituent sa contribution au monde. Par ces efforts, l’âme essentielle elle-même connaît une élévation.

C’est là le sens du dénombrement des fils de Jacob10 « de leur vivant et après leur mort ».11 Tout comme les étoiles sont comptées par leurs noms « lorsqu’elles sortent et lorsqu’elles rentrent », les âmes sont comptées à la naissance et après leur mort. Le premier compte, « lorsqu’elle sort » pour son voyage ici-bas, donne à l’âme, telle qu’elle est revêtue dans un corps, la capacité de résister aux forces négatives et mauvaises du monde matériel. C’est grâce à cet apport initial d’énergie de l’élément transcendant de l’âme que la personne peut s’engager dans sa mission. Puis le compte est réitéré « lorsqu’elle rentre », au moment de quitter ce monde. Cette fois-ci, c’est l’élément « nommé » – ou incarné – de l’âme qui élève son essence.

Que nous en soyons conscients ou non, D.ieu continue à compter chaque personne en l’appelant par son nom, nous imprégnant ainsi de l’énergie spirituelle nécessaire à la réalisation de notre mission personnelle dans ce monde. Chacun de nous ne compte ni plus ni moins que l’autre, mais chacun à quelque chose à partager que personne d’autre ne possède. Nous sommes tous des reflets d’une unique et indivisible âme essentielle. Mais nous sommes également tous dépendants les uns des autres pour réaliser l’élévation de cette âme essentielle. Une action positive d’une seule personne peut apporter la délivrance à l’univers entier.12

Basé sur un discours du Rabbi de Chabbat Chemot 5725 (1965)13