Question: 2020 est l’année de la pandémie. A de telles périodes, les pays doivent s’unir et s’entraider. D’après vous, est-ce le cas? Ou les différends ont-ils empêché de consolider le monde même autour de l’infection de Covid-19?

Sergueï Lavrov: Nous sommes revenus au début de notre conversation. Il ne reste aucune idéologie. Mais la perception idéologisée et politisée du vaccin russe n’a pas été un très bon signal. Le vaccin Sputnik V a été annoncé en août 2020, plusieurs mois après le sommet du G20 (mars 2020) où Vladimir Poutine prônait activement la coopération dans la production du vaccin. A l’époque déjà nous étions prêts à former des brigades scientifiques conjointes. Réticents à aider les concurrents, les pays occidentaux et leurs compagnies n’ont pas répondu à cet appel. Voilà en ce qui concerne la cohésion dans le secteur purement médical.

Il existe également le secteur humanitaire. Le Secrétaire général de l’Onu Antonio Guterres et la Haute commissaire de l’Onu aux droits de l’homme Michelle Bachelet ont appelé à suspendre pendant la pandémie toutes les sanctions unilatérales dans les domaines impactant directement la nourriture, la fourniture de médicaments, d’équipements médicaux, afin de faciliter le sort de la population des pays frappés par les sanctions unilatérales (indépendamment des raisons). Les auteurs de ces sanctions (avant tout les États-Unis et l’UE) n’y ont aucunement réagi. Tout comme il n’y a eu aucune réaction à la proposition du Président russe Vladimir Poutine au sommet du G20 concernant la mise en place de « corridors verts » pendant la pandémie pour la circulation des marchandises dans le régime le plus souple possible – sans taxes, redevances, atermoiements et inspections douanières particulières.

Après tout, tout le monde est dans le même « bateau », qui n’est pas si grand. Il existe déjà des pronostics que cela durera, que ce sera une infection saisonnière mais pas comme la grippe ou d’autres maladies: qu’il faudra l’application permanente des mesures de précaution et le port de moyens de protection individuelle. Cette prise de conscience devrait inciter les pays à une plus franche coopération, notamment ceux qui en doutaient jusqu’à récemment.

Parmi les avantages constatés: le retour des États-Unis au sein de l’OMS. Certaines « têtes brûlées » de Washington pensent qu’à leur retour ils prendront le contrôle de tout. Le Secrétariat de l’OMS compte moins de 50 Chinois, nous sommes 25, les Américains sont plus de 200 et les membres de l’Otan dépassent 2.000 personnes. L’ancienne administration américaine disait que la Chine manipulait l’OMS. C’est faux. Ou alors il s’agit d’une impuissance totale des 2.000 otaniens qui doivent représenter la majorité au Secrétariat de l’OMS.

Il existe également des résultats positifs. Ce problème a été récemment soulevé à l’Assemblée générale des Nations unies et au Conseil de sécurité des Nations unies. Le plus important aujourd’hui est de se concentrer sur une coopération équitable dans le cadre de l’OMS. Outre les tentatives de « révolutions de palais » à l’intérieur de l’Organisation, d’établir ses propres règles qui ne s’appuient pas forcément sur le consensus, il existe l’idée de faire sortir les principales décisions sur la politique mondiale en matière de santé en dehors des structures universelles. Nous avons déjà beaucoup parlé de cette tendance: substituer au droit international un « ordre basé sur des règles ». Il s’avère en pratique que cela suppose une élaboration de toutes les décisions non pas dans un cercle à représentation universelle, car il faudrait y débattre, chercher un équilibre et des compromis, mais dans le cercle de ceux qui sont d’accord avec toi. Et ensuite le présenter comme la « vérité de dernière instance » et exiger de tout le monde de respecter cette entente.

Cela repose à la base de l’initiative franco-allemande sur le nouveau multilatéralisme, certains partenariats à composition limitée créés en Occident. Par exemple, les Français ont créé le Partenariat international contre l’impunité dans l’utilisation des armes chimiques. Pour ce partenariat non universel et non onusien, l’UE met en place un régime de sanctions « horizontales » qui seront décrétées contre ceux qui pointeraient du doigt le Partenariat créé par la France. Un tel régime de sanctions est également créé pour la cybersécurité. Au lieu d’en parler dans un cercle ouvert, les Français promeuvent un partenariat pour la protection de la liberté dans le cyberespace. Il s’agit clairement des « règles sur lesquelles sera basé l’ordre ».

Des tentatives sont également entreprises pour faire sortir une telle structure du cadre de l’OMS. Après tout, la santé des gens n’est pas un domaine où il faut « jouer » à la géopolitique. A moins que cela ne cache l’objectif conspirationniste de réduire la population de la Terre. Certains commencent aujourd’hui à avancer de tels concepts et théories.