Une prédication de Matthias Helmlinger

Le retour du fils prodigue (Luc 15/1-3 et 11-32)


Il serait facile de parler de la repentance à  partir de ce texte tellement connu. La déchéance dans laquelle est tombé le fils cadet, obligé de garder des porcs et de les regarder se goinfrer quand son propre ventre crie famine, le comble, le comble pour un Juif, le comble pour un être humain ! Et puis cet éclair de lucidité chez cet homme qui retourne vers son Père.

Oui, il serait facile de parler de repentance, pourtant, ce n’est pas de cela que je voudrais vous parler ce matin. Il serait facile également d’ironiser sur le fils aîné, rabât-joie au possible, incapable d’entrer dans la maison paternelle pour faire la teuf, la fête comme disent les jeunes. Jésus grossit vraiment les traits autour de cette fête: le plus beau veston cravate ou tenue de soirée, bague, sandales, veau gras ou foie gras selon les goûts. Et en avant la soirée disco avec danse et musique ! Oui, il serait facile d’ironiser sur ce fils aîné qui est constipé, qui ne sait pas faire la fête, et qui ressemble aux interlocuteurs de Jésus, tellement surpris de le voir festoyer avec des collecteurs d’impôts et des pécheurs, on dirait aujourd’hui : avec ceux qui s’y connaissent en détournements de fonds, réseaux occultes de circulation d’argent sale et commerce du sexe. Il serait facile d’ironiser sur ces propres justes, mais ce n’est pas de cela que je voudrais vous parler ce matin.

Il serait facile aussi de reprendre l’expression  » fils aîné « , devenue classique depuis Vatican II, par laquelle on identifie Israël. L’Eglise serait le fils cadet, qui a retrouvé le chemin de la maison paternelle. Israël obéit à  Dieu par légalisme. Ce serait facile, mais faux.

Bien sûr, c’est déjà  un progrès que des autorités religieuses chrétiennes qualifient Israël de  » fils aîné « , et non pas de  » suppôts de Satan « , de Juifs perfides, d’assassins du Christ, de peuple déicide, de truie, comme ce fut le cas pendant 2000 ans de chrétienté en Europe, et comme cela est illustré par les sculptures qui demeurent toujours en place sur nos églises anciennes, notamment à  Notre Dame de Paris.

Quand on interroge les Juifs, on découvre qu’ils connaissent eux aussi la joie de servir Dieu, parce qu’ils le connaissent comme un Dieu qui fait grâce, qui est miséricordieux. D’autre part, il est dangereux de qualifier Israël de fils aîné du Père et l’Eglise de fils cadet, car dans la Genèse, les patriarches comme Abraham et Isaac, ont chacun eu deux fils, et c’est le cadet qui a été choisi par Dieu pour poursuivre son plan de salut. Jacob a eu douze fils, et c’est l’avant-dernier Joseph, qui a été choisi pour sauver tous les autres.

Les pères de l’Eglise ont d’ailleurs largement exploité ces histoires patriarcales, pour prouver que l’Eglise est élue à  la place d’Israël, le fils cadet à  la place du fils aîné, comme on le voit entre Caïn et Abel, entre Ismaël et Isaac, entre Jacob et Esaü. Avec la Shoah, nous voyons où a conduit ce genre d’enseignement généralisé dans toute la chrétienté. Ce n’est donc pas de cela que je veux vous parler ce matin.

Alors, de quoi veux-je vous parler, puisque je ne veux parler ni de la repentance, ni des propres justes, ni d’Israël et de l’Eglise ?

Eh bien, tout simplement de Jésus. Car c’est Lui qui se décrit Lui-même à  travers les deux fils. Du fils cadet, le Père dit :  » il est mort et il est revenu à  la vie  » (v.24) et du fils aîné, le Père dit :  » Tout ce qui est à  moi est à  toi  » (v.31). Ce sont les deux affirmations essentielles que nous donnent les évangiles à  propos de Jésus : il est mort et ressuscité, et Jésus peut dire dans sa dernière prière au Père :  » tout ce qui est à  Toi est à  moi  » (Jean 17/10)

« Mon fils était mort et il est revenu à  la vie »,… « mon fils, tout ce qui est à  moi est à  toi » : ces deux phrases concernent Jésus. Le Père n’a qu’un Fils et c’est dans ce Fils unique qu’il voit les différentes personnes que nous sommes, pécheurs proches ou pécheurs lointains, pécheurs honorables ou pécheurs dépravés. Et jusqu’à  ce que nous acceptions cela, il y a du chemin à  faire. Avez-vous remarqué qu’il n’y a pas de conclusion à  la parabole ? On ne sait pas si ça se termine par un  » happy end « , on ne sait pas si le fils aîné est finalement rentré pour faire la fête, on ne sait pas si la fraternité va se renouer.

Le seul qui fait le lien entre les deux fils, c’est le Père, qui se comporte de manière complètement extravagante. Il court à  la rencontre du fils cadet – quiconque connaît le Moyen-Orient où les hommes s’habillent en djellabahs, comprend qu’il s’agit là  d’un comportement extravagant, car on ne peut pas courir, habillé comme cela, sauf si on soulève les pans de sa djellabah pour les mettre dans la ceinture, mais c’est d’un ridicule complet ! Le Père sort de la fête pour aller parler au fils qui reste dehors en train de bouder. Cela aussi ne se voit pas au Moyen-Orient ; on ne moufte pas en présence de son père, on obéit, c’est tout ; mais un père qui sort discuter avec un fils qui boude, cela ne s’est jamais vu.

Jésus n’hésite donc pas à  présenter le Père, le Père céleste, le Dieu saint d’Israël sous les traits que lui-même leur présente : Jésus ne reste pas chez lui, il va au-devant des pécheurs, il va chez eux, il mange avec eux. N’oublions pas les deux autres paraboles qui précèdent la nôtre : la brebis retrouvée, la pièce d’argent retrouvée. L’insistance est sur celui qui cherche l’homme perdu jusqu’à  ce qu’il le trouve, et non pas sur les méandres psychologiques de la personne qui se repent ou qui boude. L’insistance est sur le Fils Jésus. Son comportement est déconcertant, parce que le comportement de notre Père céleste est déconcertant. Sa grâce incommensurable fait problème. Il ne peut donc pas y avoir de conclusion. Dans la parabole que Jésus raconte, on ne sait pas comment répondra le fils aîné, parce que c’est à  nous de donner la réponse. La seule chose sûre, c’est que le Père lui, est bien déterminé à  faire la fête, et qu’il ouvre toujours le dialogue. Amen.