D’après des extraits du livre « Les blessures psychiques », de Fisher

Le pardon est l’une des questions les plus cruciales et les plus déroutantes pour beaucoup de victimes.

Note: Les textes écrit en retrait, italique et rouge sont des commentaires ou des citations bibliques qui ne font pas partie du livre.

C’est en fait une question centrale si on la considère sous l’angle de sa valeur thérapeutique, c’est-à-dire comme un facteur de guérison pour les blessés.

J’ai souvent été frappé par les réactions des victimes, chaque fois que la question du pardon était abordée  ; certaines s’enfermaient dans le mutisme  ; d’autres exprimaient leur exaspération  ; beaucoup évitaient le sujet.

Pardonner, pour la plupart, est réellement quelque chose qui relève de l’impensable.

Que reste-t-il à pardonner lorsqu’on a été détruit au plus intime de soi ?

À quoi sert de pardonner lorsque la vie est brisée ?

 Le fait de ne pas pardonner peut même être pris aujourd’hui comme une affirmation de soi qui permet de préserver sa dignité offensée.

Beaucoup de victimes invoquent leur impossibilité de pardonner par le fait que les agresseurs, les criminels, n’ont jamais demandé pardon.

Cela déplace le véritable problème, car le caractère conditionnel du pardon est une exigence qui s’adresse aux criminels et qui ne peut être invoquée par les victimes comme leur condition préalable;

celles-ci sont exclusivement concernées par le fait de pardonner de manière inconditionnelle, que les coupables leur aient demandé pardon ou non.

En d’autres termes, reconnaître sa faute et demander pardon, c’est le problème du coupable :

S’il ne demande pas à être pardonné, il n’y aura pas de pardon pour lui.

Mais les conditions du pardon ne peuvent en aucun cas être fixées par les victimes; la demande de pardon ne peut être posée par elles comme exigence préalable ;

la question essentielle pour elles, c’est uniquement le pardon.

Par conséquent, même si le coupable n’a pas demandé pardon, c’est le fait de pardonner qui reste leur problèm.

L’impossibilité de pardonner est essentiellement relié à la haine et au ressentiment. Toute haine est une énergie affective retournée, qui pousse à  vouloir du mal à  celui qui nous en a fait. Chez le blessé, elle est l’expression même du pardon impossible.

Romains 12:19 Ne vous vengez point vous-mêmes, bien-aimés, mais laissez agir la colère ; car il est écrit  : A moi la vengeance, à moi la rétribution, dit le Seigneur.

La haine enferme le blessé dans le sentiment que sa vie est invivable et que le mal ne peut être défait…

Comme l’apôtre Jean l’écrivait, celui qui hait ne peut avoir la vie en lui-même, cf. 1Jn.3:14-15

Nous savons que nous sommes passés de la mort à  la vie, parce que nous aimons les frères. Celui qui n’aime pas demeure dans la mort. Quiconque hait son frère est un meurtrier, et vous savez qu’aucun meurtrier n’a la vie éternelle demeurant en lui.

Par conséquent, la haine obture toute ouverture vers la vie. Elle empêche de sortir du cycle infernal de l’inoubliable. C’est pourquoi haine et impossibilité de pardonner s’alimentent mutuellement et constituent un verrou par rapport à  toute guérison psychique.

Dire que le mal est impardonnable, c’est laisser son doigt sur la plaie.

Qu’est-ce que pardonner ?   Le pardon ne se réduit pas à  la réconciliation ; en même temps il est au-delà  de la justice. Il se situe à  un autre niveau, dans cette zone obscure du mal impardonnable.

 »  Le pardon ne demande pas si le crime est digne d’être pardonné. Le pardon est là  précisément pour pardonner… car il n’y a pas de faute si grave qu’on ne puisse, en dernier recours, pardonner… S’il y a des crimes monstrueux que le criminel de ces crimes ne peut même pas les expier, il reste toujours la ressource de les pardonner, le pardon étant précisément pour ces cas désespérés ou incurables «  – Jankélévitch, 1967

Autrement dit, c’est le mal impardonnable qui est la seule chose qui doit être pardonnée. la question du pardon surgit donc au coeur de ce qui apparaît humainement impensable  : cette impossibilité même de pardonner. Mais si le pardon n’existe en définitive que pour pardonner l’impardonnable, alors il faut admettre qu’il n’est plus lié à des conditions préalables, ni à  une contrepartie quelconque ; il ne se justifie que par ce qu’il est : la part métaphysique qu’il révèle de l’humain comme capacité d’effacer l’offense et qui transcende toute justice et toute réparation.


En tant que processus psychique, le pardon s’inscrit dans une dynamique spécifique qui s’énonce comme une inversion des forces destructrices à  l’oeuvre chez les blessés.

Il est fondamentalement le retournement du sentiment de haine.

En d’autres termes, pardonner, c’est un processus psychique par lequel on cesse de haïr, c’est-à -dire d’être enchaîné à  son état victimaire;

mais cela ne signifie pas que la haine va s’arrêter d’un seul coup;Cesser de haïr peut durer des années, voire toute une vie.

Pardonner correspond donc à une expérience spécifique du survivant, à un travail intérieur qui est un combat avec soi-même, combat contre la haine qui est en soi.

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C’est effectivement le cas sans Christ. Mais avec Christ, quelque chose de surnaturel intervient : on ne pardonne plus seulement parce que le manque de pardon nous détruit nous-mêmes, mais parce que le pardon libère la puissance de guérison du Seigneur. On pardonne parce que l’on a foi dans la justice parfaite de Dieu, et qu’on abandonne notre propre justice, souillée, partial, toujours entachée de partialité.

Ce n’est pas l’oubli qui est déclenché, c’est la guérison de la souffrance.

Cette guérison peut être immédiate, quand, avec la conviction de nos propres péchés et des offenses horribles que nous avons infligées nous-mêmes à Christ, vient l’émerveillement de Son pardon total envers nous, alors que nous-mêmes nous ne pouvions en aucun cas réparer les torts que nous avions causés tant à  Dieu qu’à  d’autres !

 » PÈRE, PARDONNE-NOUS COMME NOUS PARDONNONS À CEUX QUI NOUS ONT OFFENSÉS ! »

…Nous avons souvent d’une expérience tragique, la vision d’un malheur irréversible. Si un événement est irrévocable et si les faits passés sont ineffaçables, en revanche, ce qu’on en fait et ce qu’on vit par rapport à ce qui est arrivé, n’est pas nécessairement irréversible. Cela dépend de ce que chacun fait de sa vie. Le pardon correspond précisément à  un retournement des dispositions intérieures et à une nouvelle attitude face à son mal et face au criminel.

(…) Le fait de pardonner correspond en effet à  une libération de sa propre haine. Cela se passe tout au fond de soi, comme un travail de deuil de l’irréparable.

(…) La psychologie du pardon ne s’inscrit pas dans une vision logique des relations humaines ; elle n’a pas vraiment de justification rationnelle ; elle correspond à l’émergence d’une attitude singulière par laquelle le blessé arrête de réclamer vengeance ou justice et ne cherche plus indéfiniment, et parfois désespérément, à faire payer au coupable le tribut de sa survie  !

Pensons au film Ben Hur, celui-ci laisse tomber le désir de vengeance le jour où il rencontre le Christ.

Pensons surtout à la Samaritaine, cette rejetée, répudiée par cinq maris, honte de son village, qui se faufilait aux heures torrides pour prendre de l’eau dans un puits hors du village.

Quand elle rencontre le regard de Christ, quand elle entend Ses paroles qui ne la condamnent pas mais lui annoncent que Celui qui se tient devant elle est Celui qui va endosser tous les péchés de l’humanité, son coeur brisé est instantanément guéri. Sa honte s’envole. L’opprobre de son état est pulvérisé.

Il ne reste que la Lumière qu’elle a reçue, et qui lui permet de traverser le village en clamant que Celui qui sait tout et qui voit tout est LÀ, au milieu d’eux !

Esaïe 61:1 : L’esprit du Seigneur, l’Éternel, est sur moi, Car l’Éternel m’a oint pour porter de bonnes nouvelles aux malheureux  ; Il m’a envoyé pour guérir ceux qui ont le coeur brisé, Pour proclamer aux captifs la liberté, Et aux prisonniers la délivrance.

Le pardon ne se situe plus dans le registre comptable ; il s’adresse justement à quelqu’un d’insolvable, c’est-à-dire dont la dette est inexpiable et donc impardonnable

Comme dans le parabole du serviteur qui avait une dette impossible à rembourser et à qui son maître avait fait grâce (Matthieu 18,21-35.). Cette capacité-là a ceci d’humain, à savoir qu’elle possède ce pouvoir si fragile d’effacer la dette infinie d’un criminel.

 

Matthieu 6  : 6:14 Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi ; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos offenses.

 

Nous qui sommes faits à l’image de Dieu, sommes appelés à pardonner ainsi  :

Colossiens 3:13 Supportez-vous les uns les autres, et, si l’un a sujet de se plaindre de l’autre, pardonnez-vous réciproquement. De même que Christ vous a pardonné, pardonnez-vous aussi..

Mais l’effacement de la dette n’est pas l’effacement des actes commis.

En pardonnant, on ne règle pas ses comptes en exigeant réparation, ni a fortiori vengeance, mais on solde ses comptes par une remise de dette à un criminel insolvable.

Le pardon n’est plus dans le registre de la transaction ; il ne relève plus des normes de l’échange social ; il s’inscrit dans l’ordre du don, c’est-à -dire un mode de relation qui, par définition, n’est pas monayable, car il n’a pas de prix. Il n’a pas de justification rationnelle, car il est gratuit.

Dans sa terminologie même, le pardon, comporte ce sens du don absolu exprimé par l’annulation de toute dette.

Il est la remise d’une dette inexpiable pour un dommage irréparable.

Ce faisant, le pardon déverrouille la mémoire blessée et l’ouvre à nouveau sur la vie : en sortant la victime de sa haine, il donne une autre orientation à son existence en devenant le vecteur d’une nouvelle relation à autrui : une relation qui peut redevenir fraternelle ;

Il réinscrit dans l’humain une relation à nouveau vivable. Dans le pardon, est restaurée la vie entre les humains, ni plus, ni moins.

Pour Arendt (1983), le pardon est un élément structurel de la condition humaine ; il est  »  la seule réaction qui ne se borne pas à réagir, mais qui agit de façon nouvelle et inattendue  ; non conditionnée par l’acte qui l’a provoqué et qui libère des conséquences de l’acte à la fois celui qui pardonne et celui qui est pardonné.  »

Il sort la personne blessée de la situation d’irréversibilité dans laquelle elle était enfermée.

Autrement dit, le pardon délivre le blessé d’un enchaînement infernal dont la haine est l’un des maillons. Il n’est pas seulement la condition préalable d’une vie à nouveau possible, il en est un de ses éléments essentiels.

Mais le pardon ne se réduit pas à une expérience purement intérieure ; il doit s’extérioriser dans une conduite objective ; il n’y a pas de pardon sans expression concrète de pardon. (…)

Le pardon est indissociable d’une relation, d’un face à  face personnel qui met en présence le bourreau et la victime. Il n’y a pas de pardon sans cette confrontation inouïe.

Elle n’est pas faite pour que les victimes et les bourreaux se mettent d’accord; elle est faite pour pardonner;

il n’est donc pas nécessaire de chercher à  comprendre, mais seulement de pardonner.

Une telle confrontation est d’une importance capitale pour que le pardon se réalise.

La victime, qui a parfois pardonné après beaucoup de combats, se sent une fois de plus trahie… mais trahie non seulement par le bourreau, mais par Dieu (de fait, parfois par manque de sagesse des conseillers chrétiens !).

Pardon et guérison sont deux étapes différentes. Le premier est la part de l’homme, la seconde est la part de Dieu, un véritable miracle ! La confrontation ne peut avoir lieu que lorsque la guérison est solide, pour ne pas exposer la victime à ce que ses blessures de l’âme, mal cicatrisées, s’ouvrent à  nouveau. Mais, rappelons-le, la confrontation n’est pas la réconciliation. La réconciliation implique un acte réciproque. La confrontation peut-être effectivement bénéfique quand l’offensé a le courage de dire à l’offenseur qu’il lui a pardonné; Ce peut même être un sésame pour que l’offenseur prenne soudain la mesure du mal qu’il avait fait. Dans tous les cas, il faut avoir une conviction qui vient de Dieu pour faire ce type de démarche. Il y a un temps pour tout !

 

Le pardon est donc une relation singulière entre deux pôles irréductibles, la victime et le bourreau ; et selon qu’il s’agit de l’un ou de l’autre, le problème ne se pose pas du tout dans les mêmes termes, même si les deux restent indissociables.

Ainsi comme on l’a observé, la demande de pardon doit être considérée comme une CONDITION POSÉE AU COUPABLE ET NON COMME UNE EXIGENCE ADRESSÉE PAR LA VICTIME AU BOURREAU. CAR LA CONDITION POUR QUE LE COUPABLE AIT LUI-MÊME ACCÈS À CE PARDON DONNÉ GRATUITEMENT, C’EST SON PROPRE REPENTIR !

Pour qu’il puisse vivre RÉELLEMENT le pardon, le coupable doit reconnaître sa faute: c’est une exigence pour une réconciliation qui tienne, et pour la propre guérison de vie du coupable  ! Faute de quoi, la puissance du pardon n’est au bénéfice que de celui qui pardonne.

Le bon vouloir de la victime et son désir d’offrir un pardon résolu dans son âme, NI MÊME L’OFFRE DE CE PARDON,ne peuvent suffire pour octroyer le bénéfice du pardon à  l’agresseur, sans que celui-ci ne fasse son bout de chemin dans la repentance.

La victime sera libre de SA haine en pardonnant mais l’agresseur demeurera prisonnier de sa faute. Seule SA repentance pourra le libérer. On pourrait ainsi dire que bien que la victime ait cessé sa haine envers son agresseur par son pardon, l’agresseur vit encore dans sa culpabilité.

En d’autres termes, pour le coupable, la demande de pardon doit être l’expression concrète de sa propre transformation, de son repentir, autant de signes qui montrent qu’il a reconnu sa faute et qu’il a changé sa relation avec celui qu’il a offensé.

(C’EST LE PRINCIPE MÊME DE LA CONVERSION !)

MAIS L’ABSENCE DE CES CONDITIONS NE PEUT ÊTRE INVOQUÉE PAR LES VICTIMES COMME RAISON POUR REFUSER DE PARDONNER; Les conditions du repentir concernent le coupable, pas l’offensé.

Le pardon se situe donc dans une zone de l’expérience humaine qui concerne autant le coupable que la victime; il touche chacun au noyau même de sa relation à autrui ; son enjeu fondamental est la transformation de l’hostilité (colère, amertume) destructive envers l’autre, le semblable, le prochain.

Le pardon tranche dans le cycle de la répétition haineuse et lui met un terme.

Pardonner, ce n’est donc pas effacer le mal ; ses traces sont ineffaçables. Pardonner, c’est s’en libérer en effaçant la dette insolvable du criminel pour le mal qu’il nous a fait.

« Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à  ceux qui nous ont offensés  » (Mt 6,12)