Soudainement, tous les débats paraissent dérisoires. En quelques semaines, ChatGPT a fait des progrès complètement fous. Il est moins partial, plus efficace, plus précis aussi. Ce n’est pas encore parfait, forcément, mais c’est nettement mieux déjà… en quelques semaines.
Le logiciel dont tout le monde se moquait a réussi le concours d’avocat aux Etats-Unis, et l’intelligence artificielle de Google a passé celui de médecin sans problème. Plus personne n’a vraiment envie de sourire, sans trop savoir exactement ce qu’il redoute. Ce monde est inconnu, semble surréaliste, on peine à y croire et pourtant : celui qui pose de bonnes questions à la machine obtient des réponses troublantes. Et la toile s’est déjà enflammée pour des photos façonnées de toute pièce par une intelligence qui n’en est pas une précisément.
Vrai et faux se confondent, réel et virtuel s’embrassent, l’Homme semble fatigué et bientôt dépassé, le travail une activité désormais superflue pour les hommes de chair et d’os. L’intelligence artificielle, c’est tout simplement nos travers poussés à l’extrême.
Il ne s’agit pas de se méprendre : évidemment que ces machines ne sont pas « intelligentes ». L’homme l’est, il pense, lit, construit, se trompe évidemment, parce qu’il perfectionne sa réflexion lecture après discussion, débat après enseignements… Si la machine nous fait si peur, c’est sans doute d’abord parce que nous avons considérablement affaibli nos propres intelligences. S’il est interdit de poser une question en dehors des clous, de contrevenir à l’idée majoritaire sans hurlements, d’inviter dans le débat des auteurs jugés infréquentables, de remettre en question des dogmes désormais laïcs, alors la machine peut nous atteindre évidemment. Si l’intelligence est bridée, précisément, elle s’étiole. Et si elle ne fait que répéter, elle se réifie.
La machine ne pense pas, elle ne crée pas non plus : elle analyse, retient comme aucun homme ne le fera, calcule plus rapidement aussi, mais elle ne pense pas. Et pourtant, elle n’en a pas besoin pour nous remplacer dans la tête de tant de contemporains. Si elle sait analyser une situation, passer un concours, pondre un article, qui subsistera ?
La machine n’a pas de langage, propre de l’homme, elle ne fait que copier. Mais si le Français est massacré, l’orthographe méprisée, la langue assaillie de délires idéologiques jusqu’à se détruire elle-même, ne faut-il pas se poser la question de la valeur ajoutée d’un homme qui ne parvient plus à s’exprimer justement ?
Personne ne s’en préoccupe, sauf les pompiers pyromanes justement. Ces derniers jours, des centaines d’experts du milieu – plus ou moins investis – ont réclamé une pause de six mois dans la recherche pour avoir le temps d’établir des garde-fous à ces machines qui pourraient nous échapper.
Pompiers pyromanes parce que nombre d’entre eux financent l’intelligence artificielle, d’autres développent ces logiciels, d’autres encore appellent de leurs vœux ce qu’ils semblent craindre. Parmi les signataires, on trouve par exemple Elon Musk, qui a certes quitté l’OpenAI (qui développe ChatGPT) en 2018, mais qui détient en revanche Neuralink qui développe des implants connectés en vue… d’augmenter l’homme.
Pompiers pyromanes parce que nombre d’entre eux financent l’intelligence artificielle, d’autres développent ces logiciels, d’autres encore appellent de leurs vœux ce qu’ils semblent craindre. Parmi les signataires, on trouve par exemple Elon Musk, qui a certes quitté l’OpenAI (qui développe ChatGPT) en 2018, mais qui détient en revanche Neuralink qui développe des implants connectés en vue… d’augmenter l’homme.
Parce que cette question-là vient directement derrière : la tentation sera grande, une fois que l’homme devra céder son métier et partager le langage avec la machine de vouloir « s’augmenter » selon le vieux rêve transhumaniste.
Ils demandent une pause pendant que la Chine continue à travailler, alors personne n’a trop envie de céder. Mais ils soulèvent, malgré la schizophrénie de certains, quelques questions pertinentes. Ils réclament une réflexion sur la sécurité par rapport à ces machines : des méthodes pour aider à distinguer le réel de l’artificiel, la surveillance de l’épanouissement de ces systèmes, des institutions capables de gérer les « perturbations économiques et politiques dramatiques (en particulier pour la démocratie) que l’IA provoquera ».
À quoi ressemblera, en effet, notre débat public quand les volontés amollies que nous sommes, les intelligences abruties d’écrans, de culpabilisation permanente, de relativisme, de pornographie, d’injonctions contradictoires… se retrouveront en face d’images fausses mais bien réelles, de discours non-tenus mais pourtant écrits, de vidéos sans réalité et pourtant virales ?
Il serait bon de cesser de voir du complotisme partout où se manifeste l’esprit critique, et de s’atteler à l’imaginer lorsque nos systèmes politiques seront soumis à l’empire de ces machines programmées par des esprits plus ou moins bienveillants.
Ces programmes existent, les milliards qui les financent aussi, et les entrepreneurs sont légions. Le monde entier y travaille et la réalité nous l’impose. La pause est peut-être nécessaire, la réflexion urgente, et l’entreprise de musculation des cerveaux humains, les seules vraies intelligences, absolument primordiales. Décidemment, c’est bien à l’école qu’une contre-révolution devrait enfin se faire.
Charlotte d’Ornellas
Journaliste à Valeurs actuelles
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