Le livre d’Esther a un message étonnamment actuel. D’abord pour Israël qui en est le premier destinataire, ce qu’il ne faut jamais oublier. Ainsi, le shabbat qui précède Pourim se nomme Shabbat Zhor, c’est-à-dire « shabbat souviens-toi », car on lit le texte du Deutéronome où il est dit « souviens-toi d’Amalec ».
Chaque année, Israël doit donc se souvenir de cet ennemi qui « leva la main sur le trône de l’Eternel », selon ce que nous lisons en Exode 17, où le mot « trône » (kissé) s’écrit sans aleph final et devient kis. Rachi explique qu’aussi longtemps qu’Amalec n’est pas éliminé, le Royaume de Dieu, son trône, ne peut être complet : il est écrit kis et non kissé.
Mais le livre d’Esther enseigne aussi que le peuple juif est immortel. Aucun peuple, en dehors de lui, n’a une garantie de pérennité, aucun n’a un avenir assuré. Seul le peuple juif est éternel car il est devant toutes les nations le témoignage vivant de la puissance et de la gloire de Dieu.
Au même emplacement, en code, apparait l’année 1946, référence au procès de Nuremberg lors duquel 10 dignitaires nazis sont condamnés à mort et pendus.
Mais le livre d’Esther a aussi un message pour chaque croyant. La première leçon est que lorsque Dieu est oublié, méconnu, voire rejeté, il se tait et se cache. C’est la marque essentielle de notre temps où Dieu est absent, chassé de nos sociétés décadentes. Non seulement il est nié, mais il est même malaisant de prononcer son nom ou faire référence à Lui. Violer ce tabou crée immédiatement un malaise, comme si Dieu faisait peur !
Le plus grand danger qu’il dénonçait alors était celui du « divertissement », la « fête » d’Assuérus, réalité qui détournait les préoccupations des hommes de l’essentiel pour les tourner vers des futilités. Et Jacques Ellul de citer Pascal : « L’homme est si vain qu’un rien suffit à le divertir… N’ayant pu vaincre la souffrance et la mort, l’homme a choisi de n’y pas penser ! »
« Est-il triste ? Réussissez à le divertir et le voilà heureux ! » C’est, disait J. Ellul, ce qu’ont bien compris les pouvoirs publics dont la devise pourrait être : « Jouez, jouez, nous ferons le reste.
Alors la société décadente s’amuse…
Le monde moderne, tel l’empire Perse, est des plus ambigus. Il s’affirme libéral, attaché au bonheur du peuple, mais en réalité il est terriblement coercitif ! S’opposer à sa volonté, c’est s’exposer à se faire impitoyablement broyer. C’est ce qu’avait compris Mardochée qui, tel le sage d’Amos (5 v.13) a su se taire « car les temps sont mauvais », sans pour autant rien cacher sur l’essentiel. C’est en cela que son exemple et celui d’Esther sont importants pour nous aujourd’hui. Mieux vaut ne pas affronter de front les tyrans ! Et pourtant, il faut leur résister !
La première attitude juste est une attitude intérieure qui consiste au même désintérêt que Mardochée qui ne cherchait que le bien de son peuple et n’avait aucun goût pour la course à l’argent, au pouvoir, aux honneurs, à l’influence qui caractérisait les oligarchies dirigeantes.
Mardochée n’attendait rien d’elles et ne se laissait pas happer par cette frénésie, refusant même de se prosterner devant les pouvoirs !
Certes, il respecte le roi, lui est loyal, le sert, sans arrière-pensées, mais ne s’implique pas dans la course aux honneurs.
Le propre du pouvoir totalitaire, en effet, est de chercher à tout assimiler, tout passer dans le même moule. C’est le triomphe de la pensée unique. Or, le peuple juif est par essence inassimilable, d’où l’ire de tous les totalitarismes à son endroit et ensuite contre tous ceux qui se réclament de la pensée judéo-chrétienne. Cet enseignement fondamental du livre d’Esther doit être constamment gardé en mémoire !
Aujourd’hui, c’est l’avenir même du judéo-christianisme qui est en jeu dans nos pays.
Mais lorsque Dieu est chassé, nié, combattu en la personne de ceux qui se réclament de Lui, quand l’homme se vante de son autonomie par rapport à Lui, selon ce qui est écrit dans le psaume 2, nous avons le signe qui ne trompe pas d’une société décadente déjà sapée dans ses fondements. C’est ainsi qu’était l’empire perse, sous Xerxès, malgré tout ce que sa façade avait d’impressionnant. Les lois mêmes ne sont plus que le prétexte à l’arbitraire du pouvoir. Citons à nouveau J. Ellul qui affirmait : « L’excès des lois tue la loi ».
Mais l’enseignement fondamental du livre d’Esther est que, dans une telle situation, Dieu règne encore ! De façon mystérieuse et cachée, Il conduit les choses pour l’accomplissement de ses desseins. Alors seuls ceux qui le connaissent peuvent discerner sa présence, son action et son conseil. Mais, ce Dieu caché demeure plus réel que jamais car « Il sait délivrer de l’épreuve les hommes droits ».
Sur le plan littéraire, le livre d’Esther est un chef-d’œuvre. Il met en évidence le comportement juste « dans un temps comme celui-ci », temps où il ne faut pas désespérer car c’est un temps de tous les possibles. « Qui sait ? » (Esth. 4 v.14) est le mot clé du livre. Alors, comme le dit l’Ecclésiaste, il y a un temps pour parler, un temps pour se taire. Temps, pour Esther, de cacher son secret au roi, celui de sa race et de son origine, puis temps où tout soudain bascule de façon totalement imprévu et inattendue. Bien sûr, il ne faut pas se tromper, car toute erreur de jugement et de calcul pourrait être redoutable.
Aujourd’hui, de même pour le croyant, un certain incognito et une certaine retenue s’imposent pour l’heure. Cependant, cet incognito ne signifie par pour autant abandon du combat. La vie spirituelle doit rester ardente dans le discret, mais bien réelle, dans l’attente des bouleversements que Dieu manifestera en son temps, ne serait-ce que par le grand bouleversement que sera la parousie, si tel devait être le cas ! En attendant, il faut tenir !
« Pour que tu te souviennes des bienfaits de Dieu ! »
Le livre d’Esther met aussi l’accent sur la nécessité de se souvenir des tsidot Adonaï (bienfaits de l’Eternel), pour reprendre l’expression de Michée 6. Il s’agit des actes de délivrance de Dieu vis-à-vis de son peuple. Un des drames de notre temps est en effet la perte de la mémoire au nom de la formule « du passé faisons table rase ».
Seul ce qui est nouveau a de la valeur, le passé est qualifié de « ringard ». Notre société est basée sur l’idée que la Bible et le judéo-christianisme n’ont aucune solution à apporter aux problèmes de l’heure et ne peuvent plus participer à l’histoire. Les croyants, eux-mêmes, sont à la recherche de « nouveautés », des modes de plus en plus étranges se succèdent aussi vaines qu’éphémères.
Mardochée, pour sa part, a ordonné que l’on célèbre chaque année la fête de Pourim comme souvenir de la délivrance. C’est la même pensée que celle qui ordonne à Israël de célébrer la Pâque, souvenir de l’Exode. C’est ce qui conduit Josué à dresser les douze pierres au milieu du Jourdain, Jésus le Messie à instituer la Cène « en mémoire de lui » etc.
Quand surgissent de tels pouvoirs, ces minorités doivent alors rester vigilantes et avec l’aide de Dieu et de sa sagesse, agir, s’informer, ne pas demeurer passives quand ressurgissent les premiers signes d’intolérance.
Un temps pour rester vigilants
Le monde moderne, tel le royaume d’Assuérus, est aussi celui de la richesse, du luxe, de la démesure, de l’extravagance ; c’est un temps où le bon sens disparaît. Le croyant doit donc se situer aux antipodes de cette attitude et se souvenir que l’on ne peut servir deux maîtres : Dieu et le Mammon. Il faut citer cet avertissement de Paul qui dit : « Soyez sobres, veillez, votre adversaire le diable rôde comme un lion rugissant, cherchant qui il va dévorer, résistez-lui avec un foi ferme, sachant que les mêmes épreuves sont celles de vos frères. »
C’est pourquoi, tel Mardochée, le croyant ne peut pratiquer « ce qui se fait ». Sans ostentation ni forfanterie, il doit savoir prendre ses distances et savoir dire « non » quand il le faut.
Nous vivons dans un siècle de consensus, et dire « non » est de plus en plus difficile car mal vu et mal perçu. Mais Francis Schaeffer disait, peu avant sa mort : « les chrétiens doivent être convaincus de la nécessité d’une confrontation avec le monde qui les entoure : une confrontation certes dans l’amour, mais une confrontation quand même ! »
Une des dernières leçons que nous pouvons tirer du livre d’Esther est celle du Psaume 73 : « Dieu est bon pour Israël ». Il faut donc user de la même bonté envers les opprimés. Être miséricordieux comme Dieu est miséricordieux et ne pas limiter en cela le serviteur impitoyable de la parabole qui avait exigé de son ami le paiement immédiat d’une somme dérisoire alors qu’il venait d’être acquitté d’une dette considérable par son maître compatissant.
C’est ce qu’enseigne la fin du livre où la fête de Pourim est l’occasion d’envoyer des dons aux pauvres et d’échanger des cadeaux.
Enfin, après la crise, le peuple d’Israël retrouve son unité et sa solidarité et même de nombreux païens se joignent à lui car, comme l’avait dit le prophète Zacharie : « dans ce temps-là, dix hommes de toutes les nations saisiront un juif par le pan de son vêtement et diront : nous irons après vous, car nous avons vu que Dieu est avec vous ! »
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