L’euthanasie, c’est la mort aseptisée et solitaire, la mort déshumanisée.
Faut-il légaliser l’euthanasie en France ? Pour la présidente du Mouvement conservateur, ce mot recouvre une réalité insupportable et nous évite de regarder la mort en face. Tribune libre.
« Je n’aime pas le mot d’euthanasie », a déclaré Emmanuel Macron. Une manière de dire qu’après tout, qu’importe le flacon, c’est l’ivresse qu’il veut pouvoir graver dans le marbre de son quinquennat – ou devrions-nous dire, l’étourdissement irréversible.
Car, à vrai dire, même au pays des héros de Molière, où les Purgon et Diafoirus n’avaient pas la prétention d’achever à heure dite le Malade à eux confié, les coquetteries littéraires du Président nous passent assez loin au-dessus du claque-merde. En revanche, nous commençons à être nombreux à nous demander ce qu’écrira dans son agenda celui ou celle qui demain emmènera sa grand-mère à l’injection finale : un pudique « RDV hosto » ? un factuel « mort de Mamie à 10h20 » ? un technique « piqûre létale de Jacqueline chambre 34 » ? un poétique « rappel à Dieu » (aux bons soins du facteur) ? Eh oui, la réalité est dure à formuler et à s’avouer pour ceux qui prônent un joli « droit à mourir dans la dignité ». Cette réalité est tout autre : il s’agit de provoquer la mort, c’est-à-dire de tuer, et pas n’importe qui, mais précisément ma grand-mère. Celle qui me berçait au son des comptines du pays quand j’avais deux ans, qui me racontait « les contes et légendes des contrées disparues » et celle qui m’a prêté sa voiture le jour où j’ai eu le permis. Ou parfois, celle avec laquelle on n’a plus échangé depuis sa séparation d’avec grand-père, mais à qui je dois quand même d’être là aujourd’hui.
On va piquer Mamie, mais qui est ce « on » indéterminé ? Parce que créer un droit à mourir, c’est nécessairement créer un devoir de tuer : il faudra désigner un homme de main pour la basse besogne, avec blouse blanche ou sans. On mettra une musique joyeuse, pour les plus optimistes le « I will survive » de Gloria Gaynor et pour les autres un supersonique « Don’t stop me now » de Queen. On allumera une bougie parfumée rappelant l’odeur du pain d’épice de Mamie. Mais tout ça, c’est facile et ça ne dit pas qui tendra le verre de ciguë ou qui injectera le barbiturique dans la perfusion. C’est le jeu du mistigri qui faisait beaucoup rire Mamie, mais cette fois, c’est pour de vrai.
Les médecins ne se voient pas en James Bond. Ce n’est pas un permis de tuer qu’Hippocrate leur a laissé mais un serment : « Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément ». C’est clair : soulager, mais pas tuer, « que je sois déshonoré et méprisé si j’y manque ». Forcément, ça pose problème. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’Ordre des médecins a déclaré le 15 septembre, par la voix de son Président, n’être « pas favorable à l’euthanasie » et demandé, si la loi s’engouffrait dans cette voie, une clause de conscience pour les médecins.
Sa fille Adèle alors ? Ou son mari, c’est moins proche, une belle-mère. Mon père, non, c’est sa mère quand même, elle lui a donné la vie. Je déteste vraiment le mistigri. Et puis, après tout, c’est le choix de Mamie.
Alors ? alors un marché va se créer, lucratif – car suffisamment onéreux pour que la dignité se paie au prix qu’elle vaut bien : celui des assurances all-inclusive souscrites pour partir l’esprit tranquille pour le dernier voyage. Pour la prestation Platine, vous aurez tout : la clinique privée spécialisée, le disque et le parfum (quand ce n’est pas la navette « Sarco », déjà commercialisée par Exit International en Suisse), et le binôme de professionnels qui mettra fin à vos jours en double aveugle aléatoire, de manière à ce que nul ne se sente coupable au moment où tous se recueillent, l’air tartuffe. D’ailleurs, le projet de loi proposé par l’ADMD prévoit une nouvelle présomption de « mort naturelle » qui « résulte de la mise en œuvre d’une aide active à mourir », étrange aveu qui revient à créer une nouvelle clause d’irresponsabilité pénale pour le fait de donner la mort. Voilà qui laisse un vaste champ aux auteurs de romans policiers.
Mais si Mamie n’était pas assurée chez Interstellaire Goodbye, et que l’on n’a pas le premier sou vaillant ? Eh bien, après tout, en attendant que le suicide soit remboursé par la Sécu, Mamie peut aussi faire ça toute seule. Depuis le temps, elle doit bien sentir qu’elle nous coûte. Elle si gentille, si discrète. Il suffit qu’on lui dise la veille qu’on l’aime très fort, on mettra la pilule sur la table de nuit. La mort, les morts qu’on ne veut pas voir, pas sentir, pas entendre. La mort aseptisée et solitaire. La mort déshumanisée. Les mots s’envolent, les faits restent les faits : je n’aime pas la réalité de l’euthanasie.
Ils le font déjà, officieusement, et veulent égaliser, comme l’avortement, se donner une légitimité… envers qui ?
Leur conscience déjà altérée ou leur dieu, le Prince de ce monde ?
Nous connaissons la réponse.