» Quand tu pries, entre dans ta chambre intime, ferme la porte et prie ton Père qui est dans le secret, et ton Père qui voit dans le secret, te le rendra » Matthieu 6 : 6.
Nous vivons au siècle de la communication et même de la télécommunication ; une communication à distance, sans frontière, sans tabou, sans limite.
Le monde des médias est aujourd’hui stupéfiant et toujours plus performant, et cependant il y a vraiment peu de changement dans la société et dans nos vies personnelles.
On a beau être informé, qu’est-ce que cela change ? On serait en droit d’attendre l’avènement d’une civilisation plus juste, plus équitable, plus intelligente, plus ouverte, plus efficace, en meilleure santé… où l’évolution se mesure à l’aune de l’information diffusée. Il n’en est rien. On sent donc bien qu’il y a une faille dans le système.
» Trop d’information tue l’information « , le slogan est connu tant il est vrai que l’excès nuit en tout.
Il n’offre plus de recul suffisant pour réfléchir et on se perd rapidement dans la boulimie de l’hyper consommation.
Alors, que faire ? Sinon apprendre à filtrer les informations en refusant d’être envahi par le brouhaha incessant des diffusions tous azimuts. En d’autres termes, savoir faire le tri et n’avoir d’ouïe que pour l’essentiel, savoir réentendre La Parole.
Pour cela, il faut se résoudre au sevrage, au silence, pour redécouvrir le sens et la portée des mots. Ne pas rester à la surface du flot des paroles superficielles et des émotions successives, mais se laisser pénétrer en profondeur par une parole salutaire.
Après la libération hors d’Égypte, lorsque Dieu s’adresse à son peuple, dans le désert du Sinaï, pour lui faire connaître la charte de la vraie liberté, il commence par exiger le silence :
Écoute Israël, fais silence si tu veux entendre ce que Dieu veut te dire.
Écouter est donc crucial mais comment écouter sans d’abord faire silence ? Oui, il est urgent de redécouvrir la dimension et la profondeur du silence qui seul peut nous guérir des multiples intoxications verbales.
Savoir garder le silence, non seulement dans la vie quotidienne, dans nos relations, dans nos offices, nos célébrations, mais également dans nos études bibliques qui tournent si facilement aux parlotes, faute de se mettre réellement à l’écoute du texte et rien que du texte.
Ce ne sont pas nos sentiments qui doivent prendre le dessus, mais cette Parole qui nous interpelle si on prend la peine de l’écouter, de la laisser grandir et mûrir en soi.
Silence et écoute par respect pour cette Parole qui nous est adressée mais aussi par respect pour ceux qui la découvrent peut-être pour la première fois.
Dieu n’a que faire de nos certitudes et autres affirmations patiemment élaborées, ce n’est pas à nous de lui dire comment nous comprenons le texte et encore moins comment les autres doivent le comprendre ; mais c’est bien à lui de nous dire personnellement ce qu’il attend de chacun de nous.
Et comment accueillir la nouveauté de toute parole de Dieu si nous ne savons faire silence en nous-mêmes pour la laisser pénétrer au plus profond de notre être, dans le secret de notre intimité avec Dieu ?
Ceci nous conduit à une méditation sur le verset 7a du Psaume 37 :
» Garde le silence devant l’Eternel, et espère en lui « .
Ce verset est tiré d’un psaume alphabétique dans lequel chaque strophe commence par la succession des 22 lettres de l’alphabet hébraïque. C’est là un moyen pédagogique d’enseignement et mnémotechnique d’apprentissage. Chaque lettre est ainsi le point d’appui d’une nouvelle réflexion.
Tout le psaume est un enseignement de sagesse pour qui craint Dieu, c’est-à-dire pour celui qui le cherche de tout son cœur et espère en lui.
Il s’agit d’un ensemble de conseils de prudence et d’exhortations à la patience, car la rétribution est évidente, elle surviendra !
Ne nous fions pas aux apparences, le succès des impies n’est que provisoire, la justice divine s’exercera tôt ou tard. Pour l’heure, le croyant qui veut persévérer dans la foi et être agréable à Dieu doit se tenir devant lui dans le calme et la confiance, dans le silence en attendant son intervention, sa réponse.
Le bonheur spirituel dépasse infiniment la satisfaction que peut procurer la possession des biens matériels. N’êtes-vous jamais sorti d’un grand magasin sans vous être laissé séduire par telle ou telle tentation en vous disant que c’est effarant tout ce dont, finalement, on peut très bien se passer et qui est là exposé à la vente et dont la publicité, pourtant, prétend que nul ne peut s’en priver ?
Le marketing n’hésite pas à avoir recours au langage religieux pour séduire les crédules. Et le procédé n’est pas neuf, voyez le récit de la tentation de Jésus au désert en Matthieu 4 : 1-11 où le tentateur n’hésite pas à recourir à la Parole de Dieu pour le faire tomber.
Il y a un bonheur qui comble l’âme et qui n’a rien à voir avec un quelconque savoir ou avec ce que l’on possède. Ce bonheur résulte de l’intimité vécue avec Dieu. Voilà un temps qui n’est jamais perdu. Au contraire, c’est lui, ce temps consacré à la prière, qui nous en fait gagner beaucoup ne serait-ce qu’en évitant d’en perdre trop.
Ce temps consacré à Dieu est un pur bonheur.
Les hébraïsants chevronnés contesteront peut-être la traduction de notre verset. Il est vrai que traduire c’est toujours trahir un peu. En parcourant différentes traductions nous voyons la difficulté qu’il y a souvent à rendre dans une langue ce qui est exprimé dans une autre. La traduction au mot à mot n’est pas toujours évidente.
Voici quelques exemples :
» Reste calme près du SEIGNEUR, espère en lui » (TOB) ;
» Repose-toi sur le Seigneur et compte sur lui » (Psautier œcuménique) ;
» Reste en silence devant le Seigneur, attends-le avec patience » (BFC) ;
» Garde le silence devant le Seigneur, et attends-le » (NBS) ;
» Sois calme devant Yahvé et attends-le » (BJ) ;
» Fais silence pour YHWH, attends-le » (A. Chouraqui).
En note l’auteur ajoute : » Le silence conditionne l’écoute de YHWH et de sa Torah » (de son enseignement). Autre traduction encore possible, qui explicite au mieux le verbe hébreu, est celle des moines de Saint-Lambert-des-Bois, dont il convient de souligner la beauté poétique de leur psautier :
» Garde le silence devant lui, reste calme, attends son heure « .
C’est aussi le sens que donne la Bible Bayard à ce verset :
» Calme. Sois-le en YHWH, attends en lui « .
L’ancienne Bible de Pirot et Clamer allait également dans le même sens :
» Tiens-toi en silence devant YHWH et tourne-toi vers lui « .
Idem pour Pierre de Beaumont :
» Dans le silence, apaise-toi : attends-le ! »
La traduction latine de Thomas d’Aquin est moins heureuse :
» Sois soumis et prie-le « .
Elle s’inspire de la traduction grecque des Septante
» Soumets-toi au Seigneur et prie-le « .
Ceci ressemble plus à un ordre qu’à un appel à la sagesse spirituelle.
Notons que la notion d’attente et d’espérance revient cinq fois dans le Psaume (v.3, 5, 9, 34, 40).
Il est vrai que l’attente est quelquefois bien longue à supporter et qu’elle mérite quelques encouragements.
Mais pourquoi le calme et le silence ? Sinon pour prendre du recul, se déconnecter des réalités tapageuses et absorbantes du quotidien, qui nous accaparent, nous égarent et occultent le sens même de la vie.
Sans compter que l’agitation intérieure est bien plus stressante et usante que les bruits extérieurs et ruine la santé physique et psychologique.
Toutes ces perturbations qui nous assaillent en permanence ressemblent à l’ivraie (en grec zizanie) qui concurrence le blé de la parabole et cherche à l’étouffer.
Il faut oser opter pour le silence, se retirer dans sa chambre, dans la profondeur de son être intérieur, pour se voir tel que Dieu nous voit et écouter la voix qui ne nous condamne pas, mais nous appelle à la vraie vie, celle avec Dieu.
Ce silence n’est pas une fermeture aux autres, un repli sur soi, un refus d’entendre, de voir ou de comprendre, c’est au contraire rechercher l’occasion d’être soi dans la simplicité de l’écoute et du don de soi.
Ce silence-là n’est pas une punition mais l’attrait irrésistible d’une Parole qui donne sens à la vie.
Puissions-nous acquérir cette discipline du silence, non par méfiance des autres mais par désir d’entendre Celui qui est capable de parler au fond des cœurs. Toute vraie parole ne peut naître que du silence et cette parole-là donne la vie à celui qui s’accorde à la volonté de Dieu. S’accorder, c’est mettre ses cordes, paroles et actes, au diapason de celles de Dieu pour vibrer ensemble en une subtile et merveilleuse harmonie.
Dieu lui aussi se tient dans le silence de notre cœur, il attend et écoute sans rien dire, par crainte de blesser et lorsqu’il rompt le silence c’est pour donner une parole de guérison.
Comme le dit encore Ésaïe :
» c’est dans le calme et la confiance que sera votre force » (És 30 : 15).
Le silence intérieur est le lieu de notre rencontre avec Dieu ; c’est dans le silence, la sérénité et la confiance que nous puisons les forces du renouvellement de notre être. Car dans le silence, ce n’est pas seulement nous qui cherchons Dieu mais c’est lui qui nous attend pour nous parler, nous redire sa tendresse, sa patience et son amour.
Prier, ce n’est donc pas tant parler à Dieu et lui faire connaître nos desideratas ou nos besoins – il les connaît mieux que nous-mêmes – mais se tenir en sa présence, en silence dans l’attente qu’il nous parle.
Cela, nous le découvrons à travers l’aventure d’Élie au Sinaï (1 Rois 19) où il apprend que Dieu n’est ni dans le feu, ni dans le tonnerre, ni dans le tremblement de terre, mais dans le fin silence d’une brise légère qui vient le rassurer et le renvoyer vers la mission qui l’attend. Oui, Dieu se tient dans le silence, il n’est que dans le silence. Et c’est dans le silence que nous pouvons seulement nous rendre présents à Dieu. Il faut donc être avec lui dans le silence, le rejoindre où il est vraiment pour entendre clairement sa voix.
Quoi qu’il en soit, ce psaume et bien d’autres textes du Premier et du Nouveau Testament, nous invitent au silence, au calme, à la sérénité, à la confiance, parce que c’est là que nous renouvelons nos forces, dans le repos qui nous est physiquement nécessaire, mais aussi que nous sommes susceptibles de rencontrer Dieu et de l’entendre.
Dieu lui-même nous y invite et nous y attend. Allons-nous le décevoir, ou nous empresser de le rejoindre dans le secret du silence pour nous mettre à son écoute et le laisser conduire notre existence à la source de la vie éternelle ?
Jean-Joseph HUGÉ
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