À l’heure où l’homme augmenté est le Graal de notre société, revenir à la pensée raisonnable des Grecs ne ferait pas de mal: Aristote et la médiété, Hippocrate et son serment…
L’euthanasie est un sujet difficile.
Il faut n’avoir jamais vu les souffrances de certains patients en phase terminale pour écarter d’un revers de la main ce que sur un champ de bataille on appelle le coup de grâce – et dont on sait depuis des millénaires qu’il est une miséricorde, un acte de compassion et de respect. Mais il faut ne rien avoir compris de notre société, et peut-être de la nature humaine, pour ne pas voir les risques de dérives qu’entraînerait inévitablement une légalisation de l’euthanasie, la pression qui serait mise sur certains – trop compliqués ou trop chers à traiter, pensez donc un peu aux autres, vous n’apportez plus rien à la société, votre famille souffre tant de vous voir décliner, on manque de place dans l’hôpital pour accueillir des gens plus jeunes, vous avez déjà eu une belle vie et avec ce que coûte votre traitement on pourrait nourrir des dizaines d’enfants du tiers-monde, et ainsi de suite.
La sagesse d’Hippocrate
Je me méfie toujours de l’argument d’autorité, mais il n’est peut-être pas inutile d’écouter plus sage que nous. L’homme à qui nous devons de savoir que les maladies ne sont pas des châtiments divins mais des phénomènes naturels, l’homme qui a défini l’éthique médicale, Hippocrate, refusait l’euthanasie. « Je jure par Apollon médecin, par Asclépios, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses… Je ne remettrai à personne une drogue mortelle si on me la demande, ni ne prendrai l’initiative d’une telle suggestion. »
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Qu’on me permette de considérer qu’il ne faut pas envisager sans trembler de modifier un point essentiel d’un serment qui a traversé 25 siècles. On l’a déjà fait: Hippocrate refusait également l’avortement, que nous avons légalisé. Et c’est justement un exemple à méditer.
Simone Veil doit se retourner dans sa tombe
Je suis favorable à loi Veil, sa lettre comme son esprit. C’est une loi d’équilibre, une loi de compassion et d’humanité. Mais ce n’est en aucun cas une loi visant à banaliser l’avortement, comme s’il s’agissait d’un simple moyen de contraception. Souvenons-nous des propos de cette femme admirable qu’était Simone Veil: « Je le dis avec toute ma conviction : l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue. Mais comment le tolérer sans qu’il perde ce caractère d’exception, sans que la société paraisse l’encourager ? »
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Et que voyons-nous aujourd’hui, moins d’un demi-siècle plus tard, c’est-à-dire presque rien à l’échelle anthropologique ? On autorise l’avortement à neuf mois de grossesse, en clair l’infanticide, certes dans le cadre théoriquement médical d’une IMG et non d’une IVG mais pour « détresse psychosociale », notion floue s’il en est, et très éloignée de la situation d’urgence médicale où il faudrait choisir entre la vie de la mère et celle de l’enfant.
Comment ne pas comprendre qu’il s’agit là de quelque chose de radicalement différent de ce que défendait Simone Veil ?
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Maintenant que nos élus envisagent de faire tomber un autre des interdits fixés par Hippocrate, et à la lumière de cette expérience, je vous le demande: voulez-vous que dans un demi-siècle il soit légal d’euthanasier vos enfants devenus adultes au nom de la « détresse psychosociale » que leur vie prolongée serait susceptible d’infliger à leur entourage ? Faites-vous confiance à une corporation, à des médecins ou à des juristes, ou à l’État, ou à je ne sais qui, pour décider ainsi des critères fixant le droit de vivre ou le devoir de mourir lorsque les autres l’estimeront préférable ? Pour ma part, la réponse est non, résolument.
Les dégâts d’une science sans conscience
Mais alors que faire ? Peut-être tout simplement renoncer à l’illusion d’une loi toute-puissante, qui régulerait à la perfection chaque aspect de l’existence et chaque cas particulier possible. Continuer à interdire l’euthanasie, non pour l’empêcher, mais pour qu’elle reste exceptionnelle. Et lorsque des souffrances seront trop grandes, lorsque des médecins ou des proches sentiront en leur âme et conscience qu’ils sont confrontés à l’un de ces cas où la loi ne peut plus s’appliquer, il faudra, sans jamais oublier qu’il s’agit là de l’exception et non de la règle, que la règle cède devant l’exception, et qu’un geste de miséricorde soit jugé avec miséricorde.
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