C’était au cours de l’hiver 1996. Deux ans auparavant, j’avais obtenu ma mutation de Bruxelles sur un poste à Luxembourg. Depuis lors, j’habitais la maison que j’avais achetée au printemps 1992 pour y passer mes week-ends, une maison sise dans l’Ardenne du Luxembourg belge à cinq kilomètres de la frontière avec le Grand-Duché et à dix kilomètres de la première gare grand-ducale.

Je travaillais depuis 1994 à la Direction générale des Affaires sociales de la Commission européenne. Une partie importante de mon travail consistait à contrôler la transposition de directives relatives à la santé et à la sécurité des travailleurs au travail par certains États membres de la ci-devant Communauté européenne dans leur ordre juridique national. Une directive est un acte normatif qui oblige les États à atteindre les objectifs qu’elle fixe mais qui leur laisse le soin de le faire au travers d’actes juridiques nationaux. L’avantage de la directive est qu’elle permet d’insérer le droit européen dans les droits nationaux d’une manière qui respecte leurs spécificités juridiques et qui donne l’occasion aux États de rendre tout leur ordre juridique compatible en retirant les actes de droit national qui pourraient faire obstacle aux objectifs de ladite directive. (A partir du traité de Lisbonne, l’Union européenne a recouru davantage au règlement, qui a l’avantage d’être directement applicable, mais qui a aussi l’inconvénient de pouvoir aboutir à des situations complexes de superposition de normes européennes et de normes nationales contradictoires que je ne vais pas développer ici).

Ce jour-là, je devais aller à Copenhague en compagnie d’une autre collègue juriste pour discuter avec les Autorités danoises de leur transposition de directives. Comme elles allaient vraisemblablement produire des textes juridiques au fur et à mesure que nous leur poserions des questions, il était capital de comprendre le danois, ce qui était mon cas mais pas celui de ma collègue. Le succès de la réunion requérait ma présence. J’avais une lourde responsabilité.

Pour des raisons personnelles, ma collègue souhaitait que nous fassions l’aller et retour au cours de la même journée. Nous devions prendre le vol SAS Findel – Kastrup tôt le matin et rentrer par le vol SAS du soir.

J’avais vérifié. Cela n’était possible que si je prenais le premier train CFL à Troisvierges, qui partait juste à 30.

D’habitude, je partais avec ma voiture un quart d’heure avant le départ de mon train. Cette fois-ci, par sécurité, j’avais prévu de partir une demi-heure plus tôt pour parer à tout impondérable.

Je croyais avoir tout prévu …

Mais je n’avais pas prévu qu’il y aurait une tempête de neige. Arrivé à la route directe du plateau. Je me rendis compte qu’elle était impraticable car, avec la vigueur du vent, des congères se formaient. Avec angoisse, je retournai sur la route principale belge. Je savais qu’il allait me falloir faire un très grand détour !

Chérapont … Gouvy … Ourthe … Mon avance fondait inexorablement comme neige au soleil … Impossible de rouler vite. Il faisait nuit. Je ne voyais pas grand-chose. Quand les essuie-glaces partaient sur la gauche, la droite était déjà recouverte tant la neige était abondante … Je franchis la frontière à Schmëtt … Buergplatz … Impossible de prendre le raccourci impraticable par temps de neige. Il fallut passer par le carrefour Wemperhardt. La situation était critique …Wilwerdange, Drinklange… Arrivé au lieu dit Pasterknapp, la pendule de la voiture était sur 29.

Dans mon désespoir, j’ai crié à Dieu « Fais quelque chose ! ». A partir de Pasterknapp, il y a une descente en courbe très pentue puis une longue descente en ligne droite jusqu’à une courbe sur la droite dans Troisvierges. Il y a ensuite une autre descente en ligne droite avant d’arriver sur la gauche à la voie d’accès à la gare et à son parking. Quand le temps est parfaitement sec, en respectant la limite de 50 km/h, il est tout juste possible d’aller de Pasterknapp au parking de la gare en une minute. Vraiment tout juste. Je n’en suis même pas sûr …

A ce moment-là, je ne pouvais rouler qu’à 10 km/h. Si j’accélérais, la voiture se déportait tant la chaussée était glissante. De toute façon, il y avait des voitures devant moi qui roulaient au pas et, les doubler, il ne fallait même pas y songer.

Je me rendis compte que l’aiguille de la pendule de la voiture ne bougeait plus. Elle restait sur 29. Je n’en étais que plus stressé et angoissé, redoutant que la batterie lâche.

Rouler à 10 km/h sur un trajet qui prend au moins une minute à 50 km/h, il ne faut pas être Pythagore pour calculer que cela prend au moins cinq fois plus longtemps.

Arrivé sur le parking, je vis que le train était encore là. Ce que je pensais pouvoir espérer du Seigneur, c’est qu’il retarderait le train. Je me garai sur le premier espace libre, courus vers le train, y entrai. A ce moment-même, les portes se fermèrent juste derrière moi et le train partit.

Je m’affalai sur la banquette. Mon coeur battait la chamade. Je mis longtemps à me calmer … (Je dois préciser que je ne porte jamais de montre-bracelet, une de mes phobies. Je ne sais l’heure qu’en regardant des pendules).

Ensuite, tout se passa comme prévu. J’allai en autobus à l’aéroport de Findel où je retrouvai ma collègue L’avion pour Copenhague était à l’heure. Elle préféra que nous prenions un taxi pour aller de Kastrup à notre lieu de réunion. Celle-ci fut cordiale et fructueuse avec les Autorités danoises. Puis nous fîmes le trajet dans l’autre sens. Et j’arrivai, tard le soir, dans la gare où m’attendait ma voiture.

Je m’assis. Avec une extrême surprise, je constatai que la pendule de la voiture était à l’heure, rigoureusement à l’heure.

Je restai interdit, presque pétrifié … Je commençai, non pas à comprendre, c’est rationnellement incompréhensible, … à me rendre compte de ce que le Seigneur avait fait.

Lorsque je Lui avais crié de faire quelque chose au Pasterknapp, eh bien, Il avait arrêté le temps pour moi jusqu’à ce que je sois arrivé dans le train. Voilà pourquoi l’aiguille de la pendule de la voiture n’avait plus bougé !

J’y ai pensé et repensé pendant des années. Comment cela pouvait-il se faire ? Il y avait des gens autour de moi, des voitures devant moi. Pour leurs conducteurs, les minutes continuaient à durer ce que dure une minute !

Cette expérience, et d’autres que je partagerai à d’autres occasions, m’ont conduit à conclure que la réalité est relative. Elle n’est que ce que Dieu veut à un moment donné pour une personne donnée. Quand Il veut qu’un grand nombre de personnes, voire toute l’humanité, vivent la même réalité au même moment, celle-ci croit à une réalité objective. Mais c’est une illusion collective d’y voir quelque chose qui limiterait Dieu. Non ! Il conserve intégralement Sa souveraineté et Il intervient comme Il veut, quand Il veut. C’est bien pourquoi notre science matérialiste athée n’est que folie pour Lui (1 Corinthiens 3:19) puisqu’elle ignore fondamentalement, opiniâtrement, obstinément et, pour tout dire, stupidement, que rien n’existe ni ne subsiste en dehors de Lui et de Sa volonté.

Voici pourquoi, quand Jésus dit :   « Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à ce sycomore: Déracine-toi, et plante-toi dans la mer; et il vous obéirait » (Luc 17:6). Ce N’EST PAS de l’exagération méditerranéenne. C’est ce qui arrive quand, par la foi, on a enfin compris que la réalité du moment n’est pas une limite à l’action de Dieu et qu’Il peut chambouler tout l’univers en un battement de cil, s’Il en a envie. En Lui, il n’y a PAS DE LIMITES !

 

J’ai vécu cette extension du temps quelques autres fois mais dans des contextes beaucoup moins stressants. Ce jour de l’hiver 1996, le Seigneur voulait visiblement me donner une leçon : « Jésus lui dit: Si tu peux!… Tout est possible à celui qui croit » (Marc 9:23).

 

Il y a un autre aspect de la puissance de Dieu sur le temps que je vais partager aujourd’hui.

 

L’année suivante, le 7 juillet 1997, ma mère mourait d’un cancer du sein qui n’avait pas été jugulé. Après son enterrement à Villiers-sur-Marne, de retour au Luxembourg où j’avais entre-temps acheté la maison qui est désormais mon domicile (aussi pour ne plus avoir à revivre la situation  que j’ai racontée ci-avant), j’eus un rêve qui s’imprima en moi et qui me troubla. Dans ce rêve, je rencontrais mon père dans le quartier du cimetière de Villiers-sur-Marne et je lui disais, en parlant de ma mère : « que sa mort soit ta malédiction et que son sang retombe sur ta tête ». Dans ma bouche, ces paroles avaient un ton biblique qui n’est pas le mien dans mes conversations courantes.

Je fus si troublé que j’en parlai à une collègue chrétienne, Brigitte. Elle me dit que, probablement, je n’avais pas pardonné à mon père et elle me prêta une cassette où Carol Arnott, l’épouse du pasteur de l’église de l’aéroport de Toronto, témoignait de son parcours de pardon de sa mère.

Ma mère s’était séparée de mon père en 1980 et, assez vite, il était ensuite sorti de ma vie. Je crois que la dernière « rencontre » remontait à 1986 où je l’avais croisé par hasard à la gare de Villiers-sur-Marne et j’avais passé mon chemin. Comme je ne ressentais plus rien à son égard, j’étais certain de lui avoir pardonné tous les sévices dont j’avais été témoin pendant mon enfance.

Mais il y avait ce drôle de rêve …

Alors, dans mon oratoire, je m’adressai avec honnêteté à Dieu en lui disant : « Papa, je crois vraiment lui avoir pardonné mais, s’il reste encore du non-pardon dans mon coeur, montre-moi ».

 

Ce fut immédiat …

 

Je me retrouvai à Maison-Carrée en septembre 1965. J’avais quatre ans et demi. Ce n’était pas que j’avais oublié ce souvenir mais ce que le Seigneur allait faire était d’un tout autre ordre. Il me fit littéralement revivre le souvenir. Je ne peux pas expliquer une chose pareille. J’ai l’impression qu’il m’a ramené en septembre 1965. C’était dans la cuisine de l’appartement où mes parents vécurent jusqu’à l’été 1966 (mon père avait la « déménageotte ». Je ne sais pas combien de fois il a déménagé et nous a fait déménager, outre qu’il changeait les meubles de place à peu près tous les mois). Je voyais avec netteté cette cuisine que j’avais oubliée, jusqu’aux couverts sur la table, ma petite taille et l’angle de vue que j’avais encore si petit. C’était stupéfiant !

 

Ma mère cherchait une certaine petite cuiller en argent à laquelle elle tenait parce qu’elle lui avait été offerte par un grand-oncle et une grande-tante qu’elle aimait beaucoup. Elle interrogeait mon père. « Je l’avais mise dans le confiturier. Ne l’as-tu pas vue ? » Il ne répondait pas. Elle insista. Il lui rétorqua alors d’un ton cinglant avec un visage exprimant la perversité qui l’habitait : »Je l’ai jetée ». « Pourquoi as-tu fait cela ? » lui demanda ma mère avec indignation. Il lui administra en réponse une gifle avec une telle force qu’elle tomba sur le sol de la cuisine.

Je me sentais comme une pile électrique. Cela fusa. Je m’écriai « Alors, ça, je ne lui pardonnerai jamais ! ».

Je mis du temps à me calmer, une bonne demi-heure. Puis, je compris bien que le Seigneur m’avait fait revivre tout cela d’une façon aussi incroyable pour me montrer que, non, je ne lui avais pas pardonné … dans le passé ! Je dis au Seigneur « Papa, je suis incapable de lui pardonner ça mais, Toi, viens en moi. Viens pardonner en moi ». Et, dans beaucoup d’émotion et de larmes, alors que je Lui remettais ce souvenir si blessant, Dieu venait cautériser mon coeur.

 

Et ce n’était qu’un début. Les mois qui suivirent, mais d’une façon moins spectaculaire, Dieu me remettait en mémoire des souvenirs traumatiques les uns après les autres. Cela se passait de la même façon. Je retrouvais la douleur liée à ce souvenir et je le Lui remettais avec tous mes sentiments liés à lui en le laissant mettre la paix dans mon cœur.

 

C’est là que je compris à quel point le pardon est quelque chose de spirituel et de surnaturel. Il faut remonter dans le passé, pardonner dans le passé. Cela ne peut se faire qu’avec Dieu. A défaut, on confond oubli (bien superficiel) et pardon.

 

« Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu » (Romains 8:28). Je pense que c’est aussi à cause de mon vécu que, plus tard, le Seigneur m’impliqua tellement dans le suivi des situations de harcèlement au Parlement européen car c’est alors que je mesurai combien mon enfance, que j’avais crue si extraordinairement éprouvée par la perversité de mon père, n’était que l’illustration de ce que souffrent toutes les personnes qui se retrouvent dans l’entourage d’un pervers narcissique … et il y en a dans tous les coins ! Cela a encore plus pacifié mon passé : « L’esprit du Seigneur, l’Eternel, est sur moi, Car l’Eternel m’a oint pour porter de bonnes nouvelles aux malheureux; Il m’a envoyé pour guérir ceux qui ont LE COEUR BRISÉ, Pour proclamer aux captifs la liberté, Et aux prisonniers la délivrance » (Esaïe 61:1).