Pour l’entendre en audio: source : https://hebreubiblique.com/2021/01/08/parashat-shemot-desobeissance-au-nom-du-devoir-moral/
«Le fait que l’accusé a agi conformément aux instructions de son Gouvernement ou d’un supérieur hiérarchique ne le dégagera pas de sa responsabilité, mais pourra être considéré comme un motif de diminution de la peine, si le Tribunal décide que la justice l’exige». (Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l’Axe et statut du tribunal international militaire. Londres, 8 août 1945).
Les deux sages-femmes ShIPhRaH et Pou’Ah[1] sont les deux grandes figures du livre de Shémot (Exode). En effet, ce sont elles qui ouvrent la voie à la liberté d’Israël :
יז וַתִּירֶאןָ הַמְיַלְּדֹת אֶת-הָאֱלֹהִים וְלֹא עָשׂוּ כַּאֲשֶׁר דִּבֶּר אֲלֵיהֶן מֶלֶךְ מִצְרָיִם וַתְּחַיֶּיןָ אֶת-הַיְלָדִים. (שמות א: יז).ש |
17 Mais les sages-femmes craignaient le Seigneur : elles ne firent point ce que leur avait dit le roi d’Égypte, elles laissèrent vivre les garçons. (Exode 1 : 17). |
Par leur acte de désobéissance civile et leur refus d’appliquer le décret génocidaire de Pharaon, elles posent le fondement de la future Sortie d’Egypte et plus généralement de toute Libération future. Fidèles à la voix de leur conscience, elles s’insurgent et se rebellent contre la barbarie du pouvoir totalitaire pharaonique, paradigme de tous les despotismes et de toutes les tyrannies. Seules à être mentionnées, la Torah révèle par la négative que ShIPhRaH et Pou’Ah furent les seules sages-femmes d’Israël à avoir osé résister avec bravoure contre Pharaon. Si, certes, ShIPhRaH et Pou’Ah ne dérogent point à leur vocation de sages-femmes, celle de donner et de protéger la vie, elles agissent, toutefois, selon le principe d’hétéronomie, principe selon lequel l’origine suprême de la Morale universelle réside en la volonté de l’Eternel. La source biblique précise que la crainte révérencielle éprouvée à l’égard de l’Eternel les amena à agir avec bonté et miséricorde. Ce passage biblique n’est point sans rappeler l’histoire héroïque de la doctoresse Adelaïde Hautval, protestante de confession, qui au « Block 10 » d’Auschwitz reçut l’ordre de pratiquer des expériences mutilantes visant à stériliser des femmes prisonnières juives. Refusant catégoriquement de porter atteinte à l’intégrité physique et morale de ces femmes, Adelaïde Hautval s’applique à soigner ces dernières du typhus, défiant son bourreau, le médecin en chef d’Auschwitz, Eduard Wirths ! Prête à mourir pour ses convictions, elle écrit :
« Il est impossible que nous sortions vivantes du camp. Les Allemands ne permettront pas aux gens qui savent ce qui se passe ici de reprendre contact avec le monde extérieur ; donc, pour le peu de temps que nous avons encore à vivre, la seule chose qui nous reste à faire est de nous comporter en êtres humains. »
En 1965, Adelaïde Hautval se voit attribuer le titre honorifique de Juste des Nations par Yad VaShem.
Le TaNaKh met en avant la liberté individuelle, à savoir ne jamais se soumettre volontairement aux iniquités de la puissance dominante ni se plier au pouvoir absolu de la loi instaurée par le despote. MoRDeKhaï, l’oncle d’ESThER, témoigne parfaitement de cette liberté en refusant de se prosterner face au tyran Aman (Esther 3 : 2). L’individu ne doit jamais être sacrifié au nom du collectif, sur l’autel de l’intérêt d’état comme en Allemagne nazie, en Russie communiste ou encore aujourd’hui en Corée du Nord. Le plus célèbre des refuzniks russes, Nathan Sharanski, emprisonné pour avoir requis un visa d’Alya aux autorités russes, dans des conditions si difficiles dans lesquelles tout autre homme aurait succombé, résiste avec force et sans violence contre la dictature de la machine russe. Considérant comme immoral de réparer les barbelés de sa propre captivité, il subit le cruel châtiment de la machine communiste qui le jette au cachot. Puis après que ses geôliers lui aient confisqué le minuscule psautier que sa chère épouse Avital avait pris soin de lui confier, il entame une grève de la faim à l’issue de laquelle il finit par obtenir gain de cause. Après douze ans d’une âpre résistance non-violente, la dignité et l’honneur de l’Homme l’emportent sur l’écrasante tyrannie communiste. Nathan Sharanski triomphe de cette tyrannie et monte en 1986 en Israël où il est reçu comme un héros national. Reconnu comme le symbole de la résistance, de la liberté d’expression et de mouvement, Nathan Sharanski enseigne par son exemple que rien ni personne ne peut enfermer la conscience humaine.
Le plus grand des prophètes, MoSheH (Moïse), a pu montrer la voie de la désobéissance face à l’empire de Pharaon parce qu’il était lui-même issu de cette révolte civile. Sauvé par sa mère Yokheved (Exode 2 : 2) et sa sœur Myriam (Exode 2 : 4), toutes deux résistantes au décret ignominieux de Pharaon, il doit également la vie grâce à la propre fille de ce dernier (Exode 2 : 5). Aucune puissance ne peut s’emparer de la liberté d’autrui. L’Homme demeure au-dessus de toute force institutionnelle coercitive. Les principes de résistance au pouvoir et de désobéissance à toute forme d’injonction inique sont inhérents à la tradition hébraïque. Le Patriarche Avraham, avant la destruction de Sodome et Gomorrhe, défend la cause du juste en interpellant l’Eternel (Genèse 18 : 25), Yaakov lutte contre les forces obscures du fatalisme et Moïse se déclare disposé à disparaître de l’Histoire (Exode 32 : 32) si l’Eternel détruit les Hébreux après l’édification du veau d’or.
Le TaNaKh (Bible) voit en la désobéissance civile le principe fondamental du droit d’agir en pleine conscience face à l’autorité propre à tout gouvernement, tout état et toute puissance politique comme le juge-prophète Samuel l’affirme aux fils d’Israël aspirant à mettre à leur tête un roi (I Samuel 8 : 10-20). Samuel s’évertue à démontrer que tout pouvoir conduit inexorablement à des abus et constitue une menace à l’encontre des libertés individuelles.
OVaDiaH, l’intendant du roi AChAV, craignant le Seigneur comme les deux sages-femmes ShIPhRaH et Pou’Ah, sauve les prophètes d’Israël de la main cruelle de IZeVeL.
ד וַיְהִי בְּהַכְרִית אִיזֶבֶל אֵת נְבִיאֵי יְהוָה וַיִּקַּח עֹבַדְיָהוּ מֵאָה נְבִיאִים וַיַּחְבִּיאֵם חֲמִשִּׁים אִישׁ בַּמְּעָרָה וְכִלְכְּלָם לֶחֶם וָמָיִם. (מלכים א’, י »ח: ד’).ש |
4 Tandis que Jézabel exterminait les prophètes de l’Eternel, Obadia en avait pris cent, qu’il avait cachés par cinquante dans des cavernes et qu’il avait sustentés de pain et d’eau. (I Rois 18 : 4). |
Dans la plus extrême solitude, souvent haïs des leurs et au risque de leur vie, vont naître les prophètes d’Israël qui, porteurs de la Parole transcendante et inspirée par Elle, deviennent les hérauts emblématiques de cette désobéissance non-violente.
Un homme, une femme parmi la multitude silencieuse détiennent-ils à eux seuls le pouvoir de transformer l’enfer du monde en oasis de paix ?
La réponse à cette interrogation est donnée par l’Eternel qui, s’adressant au prophète Jérémie, lui assure que même seul, il finira par remporter la victoire contre tous les pouvoirs iniques, qu’ils soient d’ordre politique ou religieux :
יח וַאֲנִי הִנֵּה נְתַתִּיךָ הַיּוֹם לְעִיר מִבְצָר וּלְעַמּוּד בַּרְזֶל וּלְחֹמוֹת נְחֹשֶׁת עַל-כָּל-הָאָרֶץ לְמַלְכֵי יְהוּדָה לְשָׂרֶיהָ לְכֹהֲנֶיהָ וּלְעַם הָאָרֶץ. יט וְנִלְחֲמוּ אֵלֶיךָ וְלֹא-יוּכְלוּ לָךְ כִּי-אִתְּךָ אֲנִי נְאֻם-יְהוָה לְהַצִּילֶךָ. (ירמיהו א: יח-יט).ש |
18 Or, dès aujourd’hui, je fais de toi une ville forte, une colonne de fer, une muraille d’airain à l’encontre de tout le pays, des rois de Juda, de ses princes, de ses prêtres et du peuple de la contrée. 19 Et s’ils te combattent, ils ne prévaudront pas contre toi, car je serai avec toi, dit l’Eternel, pour te protéger. » (Jérémie 1 : 18-19). |
Le pasteur Martin Luther King, inspiré par les textes du TaNaKh (Bible) et l’exemple de Henry David Thoreau (« Civil Desobedience ») et de la philosophie non-violente du Mahatma Gandhi, fait de la désobéissance civile une arme ultime qui, sans humilier l’adversaire, s’efforce de rétablir la Justice et le Droit. Après l’arrestation de Rosa Parks pour avoir exprimé son refus de céder sa place à un passager blanc, Martin Luther King initie, en 1955, le boycott de Montgomery (Alabama) à l’issue duquel la Cour suprême américaine juge les lois ségrégationnistes appliquées dans les bus comme anticonstitutionnelles.
Rabbi Lord Jonathan Sacks enseigne :
« La littérature grecque la plus proche de l’idée de la désobéissance civile est l’histoire d’Antigone qui a insisté pour donner un enterrement à son frère Polynice malgré le refus du roi Créon de le permettre, le considérant comme un traître à Thèbes. L’Antigone de Sophocle est une tragédie : l’héroïne doit mourir à cause de sa loyauté envers son frère et de sa désobéissance au roi. La Bible hébraïque n’est pas une tragédie. En fait, l’hébreu biblique n’a pas de mot signifiant « tragédie » au sens grec. Le bien est récompensé, non puni, car l’univers, l’œuvre d’art de Dieu, est un monde dans lequel le comportement moral est béni et le mal, dans sa brève ascension, est finalement vaincu.
Shifra et Puah sont deux des grandes héroïnes de la littérature mondiale, les premières à enseigner à l’humanité les limites morales du pouvoir. » (« On Not Obeying Immoral Orders, Shemot, 5775 »).
טו בִּי מְלָכִים יִמְלֹכוּ וְרֹזְנִים יְחֹקְקוּ צֶדֶק. טז בִּי שָׂרִים יָשֹׂרוּ וּנְדִיבִים כָּל-שֹׁפְטֵי צֶדֶק. (משלי ח: טו-טז)ש |
15 Par moi règnent les rois, et les princes fondent des lois de justice. 16 Par moi gouvernent les grands et les nobles, tous ceux qui rendent la justice sur terre. (Proverbes 8 : 15-16). |
Haïm Ouizemann
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