Après la décision du Conseil de Prud’hommes de Nancy, le juge départiteur de Marmande (47) a accordé des arriérés de salaire à trois soignant(e)s suspendus. Une décision qui devrait faire jurisprudence.
Près de deux ans après avoir été suspendus pour avoir refusé de se faire vacciner contre la Covid-19, plusieurs milliers de soignant (e)s, salariés des hôpitaux, cliniques et maisons de retraite, ainsi que les soignants libéraux, aides à domicile, pompiers et ambulanciers ont été enfin réintégrés conformément au décret publié le 14 mai par le Journal Officiel. Ils ont vécu 18 mois de galère, furent privés de salaire et de toute indemnité, jetés à la rue comme des malfrats : ces réfractaires à la piqûre réclament aujourd’hui justice et le paiement de leurs arriérés de salaire.
Atteinte au secret médical
À Nancy, le 3 mai 2023, le Conseil de Prud’hommes a ordonné la réintégration d’une lingère d’un EHPAD avec rappel intégral des salaires depuis le 27 septembre 2021. Les conseillers prud’homaux ont estimé que le fait de demander à un agent s’il était vacciné portait atteinte au secret médical…
À Marmande, dans le Lot-et-Garonne, c’est le juge départiteur, magistrat professionnel du Conseil de Prud’hommes, qui a rendu trois décisions identiques, le 19 mai 2023 (voir notre document ci-dessous).
Me Florence Bessy, avocate à la cour de Chambéry (73) et conseil des soignant(e)s explique que le juge a considéré que la loi du 5 août 2021 ne relevait pas de l’état d’urgence et donc devait respecter à la fois le droit positif existant qui n’avait pas disparu et les normes supérieures, à savoir les traités internationaux et les dispositions européennes.
En France, il existe un principe de hiérarchie des normes qui veut que chaque norme respecte la norme qui lui est supérieure. Toute loi nouvelle doit donc respecter la constitution, mais également le droit européen et international.
Le vaccin n’empêche pas la transmission
En l’occurrence, le juge a rappelé que le principe d’une vaccination obligatoire a été considéré par la CEDH à plusieurs reprises déjà comme étant une ingérence dans le droit à une vie privée et une vie familiale normale (art.8 de la Convention).
Pour que cette ingérence soit tolérée, le Juge doit vérifier si elle est proportionnée.
En l’espèce, il a rappelé qu’il est acquis que le vaccin n’empêche pas la transmission, qu’il y a une discrimination entre les soignants vaccinés et les soignants non vaccinés, et ce, d’autant plus que des soignants vaccinés testés positifs pouvaient travailler tandis qu’on interdisait à des soignants non vaccinés testés négatifs d’exercer.
Il a considéré que l’obligation vaccinale était une mesure disproportionnée et inadaptée et qui privait les soignants d’un consentement éclairé.
Il a donc écarté l’application de la loi du 5 août 2021 pour les trois soignants, a annulé la décision de suspension, ordonné la réintégration des soignantes et condamné l’employeur à verser les salaires rétroactivement au jour de la suspension.
« Il s’agit d’une excellente décision, très bien motivée juridiquement qui, je l’espère, fera jurisprudence, souligne Me Florence Bessy. Plusieurs conseillers prud’homaux m’ont contactée à ce jour pour en avoir une copie et s’en inspirer pour les décisions qu’ils auront à rendre dans les semaines et mois à venir. C’est un nouveau pas positif en faveur des soignants non vaccinés. J’encourage tous les suspendus à agir en justice pour faire reconnaître leurs droits, ce qui s’est passé depuis deux ans est inadmissible dans une société démocratique. »
* Le juge départiteur est un magistrat professionnel qui intervient uniquement lorsque les conseillers prud’hommes (salariés ou employeur élus au sein de leur entreprise) n’ont pu se départager.
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