Voici la première partie d’une étude à la fois juridique et philosophique de la question de l’avortement.
DÉPÉNALISATION DE L’AVORTEMENT OU LA NÉGATION DE L’HUMANITÉ DE L’EMBRYON
L’avortement a été légalisé en 1975 par la loi Veil 8 ans après la loi Neuwirth ayant légalisé la contraception.
Cette légalisation était affichée que comme n’étant que temporaire puisqu’elle ne faisait que suspendre pour une période de 5 ans les 4 premiers alinéas de l’article 317 du code pénal.
Le premier de ces 4 alinéas disposait que « quiconque, par aliments, breuvages, médicaments, manœuvres, violences ou par tout autre moyen aura procuré ou tenté de procurer l’avortement d’une femme enceinte ou supposée enceinte, qu’elle y ait consenti ou non, sera puni d’un emprisonnement d’un an à 5 ans et d’une amende de 1.800 F à 100.000 F ».
Le second de ces alinéas aggravait la peine en cas de pratique habituelle.
Le troisième prévoyait la répression pénale de « la femme qui se sera procuré l’avortement à elle-même ou aura tenté de de se le procurer, ou qui aura consenti à faire usage des moyens à elle indiqués ou administrés à cet effet ».
Le 4ème prévoyait, pour les professionnels de santé ayant « indiqué, favorisé ou pratiqué les moyens de procurer l’avortement », l’application des sanctions prévues aux premiers et deuxièmes alinéas, mais également, la suspension ou l’incapacité absolue de l’exercice de leur profession.
L’article 16 de la loi Veil disposait par ailleurs que « le rapport sur la situation démographique de la France, présenté chaque année au Parlement par le ministre chargé de la population, en application de la loi n° 67-1176 du 28 décembre 1967, comportera des développements sur les aspects socio-démographiques de l’avortement ».
Le législateur avait donc souhaité qu’un bilan soit dressé annuellement sur les conséquences concrètes de la loi en termes sociaux et démographiques.
Mais, de provisoire, cette loi de dépénalisation est devenue définitive avec une loi du 30 novembre 1979 qui a mis fin à cette première phase dite d’expérimentation de 5 années.
A noter que dès 1975 et l’adoption de la loi Veil, il ne sera plus question d’avortement mais d’interruption de grossesse. On peut s’interroger sur la pertinence de l’expression dans la mesure où une interruption correspond en principe à l’arrêt d’un processus avec la possibilité de le reprendre ultérieurement.
Or, une grossesse interrompue au sens de l’interruption de grossesse telle que l’entend la loi ne peut bien entendu pas être reprise.
Puis, le 31 décembre 1982, est adoptée la loi Roudy instituant le remboursement de l’IVG par la sécurité sociale.
Enfin, la permission légale de l’IVG étant bien assise, est venue le temps de la répression des opposants à son principe avec, par une loi du 27 janvier 1993, la création d’un délit dit d’entrave à l’IVG.
Avec ce dernier texte, on est passé d’un dispositif purement dépénalisant à une liberté susceptible d’être juridiquement protégée.
En 2001, le délit d’incitation à l’avortement est supprimé à l’initiative de Martine AUBRY.
Une loi du 20 mars 2017 a élargi le délit d’entrave en prévoyant que celui-ci pouvait être réalisé par voie électronique « notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une IVG ».
Avec cette dernière loi c’est la possibilité même de critiquer ce qui était encore sévèrement réprimé quatre décennies auparavant seulement qui se trouve réduite.
Même si la loi Veil a une importance capitale, il est nécessaire de l’inscrire dans une évolution lente et générale en rappelant que, jusqu’à la fin du 18ème siècle, l’avortement était puni de mort.
Ainsi, Henri II a signé un édit en 1556 punissant le fait de cacher une grossesse et l’infanticide de mort.
Louis XIV décida en 1708 que « toutes les femmes qui auraient scellé leur grossesse et leur accouchement, et dont les enfants seraient morts sans avoir reçu le saint Sacrement de Baptême seraient présumées coupables de la mort de leurs enfants et condamnées au dernier supplice ».
La Révolution française va mettre fin à l’obligation de déclaration de grossesse.
Par ailleurs, instituée postérieurement à la loi Neuwirth ayant légalisé la contraception, la dépénalisation consacrée par la loi Veil est intervenue après que le législateur ait déjà établi une disjonction entre la sexualité et la reproduction.
Moralement et juridiquement, elle pose cependant une autre problématique que la contraception puisqu’avec l’avortement il s’agit, non pas simplement, encore que cela ne soit ni innocent ni anodin, d’empêcher l’apparition d’une vie, mais, d’en supprimer une qui est existante.
La question de la légitimité d’une loi permettant l’avortement revient donc à se poser la question de savoir si la loi peut permettre la suppression d’un enfant conçu non né.
Cette interrogation n’est pas nouvelle.
Aristote se posait déjà la question de l’admissibilité de cette pratique dans le livre VII de La Politique. Il y considère que l’avortement peut être admis comme mode de régulation des naissances « avant que le fœtus ait reçu la sensibilité c’est-à-dire la vie ». « Car si cette pratique est impie ou non, cela sera tranché par le critère de la sensation c’est-à-dire de la vie ».
Or, en l’état actuel des connaissances, il convient de souligner que sur un plan scientifique et médical (J. Bernard, La bioéthique, Flammarion, 1994), il apparaît indiscutable que l’homme biologique est une continuité de la fécondation à la mort.
Dès la fécondation, l’embryon a toutes les caractéristiques génétiques du nouveau-né et même de l’adulte.
Il est un être humain unique dès ce stade. « Il n’est pas un être humain potentiel mais un être humain avec un vaste potentiel ». (JC WILLKE)
Le professeur Jérôme LEJEUNE a quant à lui déclaré dans le cadre d’une conférence que « si un œuf fécondé n’était pas par lui-même un être humain complet, il ne pourrait jamais devenir un homme, parce qu’il faudrait que quelque chose lui soit rajouté, et nous savons que cela n’arrive pas ».
Les noms donnés aux différents âges de la vie (embryon, fœtus, nouveau-né, bébé, etc….) ne recouvrent en effet qu’une seule et même vie qui se développe de façon continue de la conception à la mort.
L’article 1 de la loi du 17/01/1975 relative à l’IVG dispose d’ailleurs que « la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi ».
Or, à moins de décider que la vie commence à la naissance ou qu’elle se forme à un moment à déterminer entre la fécondation et la naissance, ce qui serait, au vu des connaissances scientifiques actuelles une fiction, il faut partir du principe que l’enfant conçu a commencé à vivre.
Il est donc en vertu de ce texte un être humain à qui la loi garantit le respect.
Un avortement consiste à supprimer cet être humain.
L’article premier de la loi Veil devrait donc conduire en en exclure la possibilité, la permission, et à le réprimer.
Cet article 1er est pourtant suivi par l’article 3 de la loi Veil qui deviendra l’article L 2212-1 du code de la santé publique qui dispose que « la femme enceinte que son état place dans une situation de détresse peut demander à un médecin l’interruption de sa grossesse ».
Cette condition d’existence d’une situation de détresse sera supprimée légalement en 2014.
Si la suppression de cette condition de situation de détresse par le législateur en 2014 a une grande importance symbolique, il convient de relever que dès 1980, le Conseil d’Etat a estimé qu’il appartenait à la femme enceinte d’apprécier elle-même et seule si sa situation justifiait l’interruption de grossesse (arrêt du 31 octobre 1980 D 1981 38).
Sur ce point, il est intéressant de relever que si par décision du 15 janvier 1975 le conseil constitutionnel a conclu à la constitutionnalité de la loi Veil, sa décision comportait le considérant suivant :
8. Considérant que la loi déférée au Conseil constitutionnel n’admet qu’il soit porté atteinte au principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie, rappelé dans son article 1er, qu’elle définit ; qu’en cas de nécessité et selon les conditions et limitations qu’elle définit
En 1975, pour le conseil constitutionnel, la constitutionnalité de la loi Veil était donc conditionnée, outre le principe de respect dû à tout être humain, par les limitations qu’elle posait dont la situation de détresse de la femme enceinte, limite qui est aujourd’hui remise en cause sans que l’on se soit sérieusement posé la question de l’incidence de cette suppression sur la constitutionnalité de cette loi et donc de la permission de l’avortement.
Il nous apparaît que, pour apprécier la légitimité d’une manière générale, ce qui inclut des questions tant d’ordre purement juridiques (conventionnalité, constitutionnalité) que des questions d’ordre philosophique ou moral, de la situation législative française actuelle relativement à l’avortement, deux questions fondamentales se posent :
Sur qui ou quoi porte-t-il ? Ce qui suppose de se poser la question de la nature tant réelle que juridique de l’embryon ;
Cet acte peut-il être appréhendé comme un droit ?
La question de la nature juridique de l’embryon ?
Est-il une chose ou une personne ? Une personne potentielle ou conditionnelle ?
Avant de tenter de répondre à cette question, il convient de poser, de rappeler que, en Occident, le Droit organise, depuis la Rome antique, le monde sur une distinction première, fondamentale : les personnes et les choses.
Si un élément n’est pas une personne, il s’agit nécessairement, sur le plan du droit, d’une chose.
Les choses sont des éléments qui sont à la disposition des personnes.
Les êtres humains devraient être de droit des personnes étant précisé que la notion de personne correspond à celle de sujet de droit, c’est-à-dire celui qui est apte à être titulaire de droits et d’obligations.
On peut concevoir la société d’une autre façon et poser que certains êtres humains sont des personnes et d’autres pas.
Mais cela implique de considérer certains êtres humains comme des choses.
En effet, en Occident, la distinction entre personnes et choses étant la distinction première, ce statut premier dans le système juridique implique que si une réalité est une chose, elle ne peut pas être une personne et si elle est une personne, elle ne peut pas être une chose.
Par ailleurs, dans la pensée classique, la personne est son corps. Elle n’en est donc pas propriétaire. Elle ne peut dès lors en disposer comme s’il s’agissait d’une chose. Le corps, bien que d’essence matérielle, est donc attachée à la personne. On peut même dire qu’il en est une composante.
La notion contemporaine de dignité est en droit français de la bioéthique indissociable de la personne. Une conception particulière du corps humain en découle, conception s’incarnant dans les principes de respect, d’inviolabilité et d’extra-patrimonialité du corps, principes qui protègent l’individu indépendamment même de sa volonté.
La dignité est en effet considérée comme une valeur collective et objective qui s’impose à l’individu ne pouvant l’abdiquer.
On peut dire que par l’idée de personne, l’être humain se limite lui-même pour protéger sa dignité.
De ce point de vue, les lois Neuwirth légalisant la contraception en 1967 et Veil légalisant l’IVG en 1975 traduisent une rupture dans cette conception du corps humain assimilé à la personne en ce qu’elles acceptent une objectivation du corps puisqu’elles répondent favorablement à la revendication féministe de libre disposition de celui-ci.
Concernant l’embryon, nous avons vu précédemment que, sur un plan scientifique et purement factuel, il est, dès la conception, un être vivant et donc un être humain.
La qualité de personne devrait donc en toute logique lui être reconnue.
L’article 16 du code civil dispose que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ».
Clair au premier abord, ce texte se révèle à l’examen sibyllin puisqu’il procède à une distinction qui ne saute pas aux yeux immédiatement entre la personne – notion juridique – et l’être humain – notion biologique -, distinction qui semble impliquer l’existence d’êtres humains qui ne sont pas des personnes et qui concerne, par la référence explicite au commencement de la vie, l’embryon.
Il y a lieu de tirer comme conséquence de cette rédaction que, en droit français, tous les êtres humains ne sont pas des personnes, et que, par conséquent, certains êtres humains sont juridiquement des choses.
De son côté, l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi ».
Si l’embryon était qualifié de personne, ce texte, qui est d’application directe en droit français, et est d’une autorité supérieure aux lois nationales, devrait le protéger et empêcher qu’on y porte atteinte, en tout cas de façon inconditionnelle.
Nous verrons ultérieurement que si la cour européenne des droits de l’homme reconnaît le droit à la vie de l’embryon, elle le met en balance avec le droit des femmes pour admettre qu’il puisse y être porté atteinte.
Il est intéressant également de relever le fait que si la recherche sur les embryons peut être autorisée, elle est néanmoins très strictement encadrée, ce qui est assez ambiguë concernant le statut de l’embryon, mais conforme au texte précité de l’article 16 du code civil, puisque cela témoigne d’un respect qui lui est reconnu par le législateur, législateur qui permet pourtant qu’on lui porte atteinte dans certaines conditions.
Sur ce nécessaire respect et le statut protecteur qui en découle on peut citer Monsieur Méhaignerie, garde des sceaux en 1994 : « je ne pense pas que, pour définir l’embryon, le législateur puisse trouver des éléments incontestables sur lesquels s’appuyer, ni même un large consensus…. Il est donc plus sage de s’en tenir à ce que tous reconnaissent comme une nécessité absolue : protéger l’embryon ».
En droit positif, l’encadrement des recherches portant sur la personne humaine et de celles portant sur l’embryon relèvent d’ailleurs de textes et donc de régimes différents : articles L 1121-1 et suivants du code de la santé publique pour la recherche sur la personne humaine et article L 2151-5 du même code pour les recherches sur l’embryon.
Ainsi, les recherches sur la personne humaine sont soumises à une condition de nécessité, alors que les recherches sur l’embryon ne doivent être que pertinentes, non fantaisistes.
SI l’on s’en tient à la summa divisio entre personnes et choses, ou l’embryon est une personne et toute recherche et donc expérience devrait être soumise à ce strict principe de nécessité, ou il est une simple chose et on ne voit alors pas pourquoi cette recherche devrait être spécialement encadrée.
La distinction de régimes concernant la recherche montre bien que l’embryon n’est pas considéré comme une personne mais comme une chose méritant un certain respect.
On peut faire un parallèle avec les animaux au sujet desquels l’article 515-14 du code civil dispose que : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ».
En droit positif, embryon et animal sont donc des choses traités avec une certaine faveur et bénéficiant d’une certaine protection.
Concernant le régime de la recherche et de l’expérimentation sur les embryons, la loi a évolué.
En 1994, l’article L 2151-5 du code de la santé publique disposait que la recherche sur l’embryon humain était interdite. Cette prohibition était en cohérence avec l’affirmation par l’article 16 du code civil d’un principe de respect de l’être humain dès le commencement de la vie.
En 2004, sans remettre en cause le principe d’interdiction, la loi a ouvert une possibilité temporaire de conduire certaines recherches, à des conditions précises, sur les embryons surnuméraires et les cellules embryonnaires.
Cette ouverture ne remettait pas en cause l’économie générale du statut de l’embryon dès lors qu’elle était prévue comme une dérogation au principe général de protection de la vie humaine dès son commencement résultant de l’article 16 du code civil.
La loi de bioéthique de 2011 a maintenu le principe d’une interdiction avec possibilité de dérogations et a confié à l’Agence de biomédecine un certain nombre de missions pour veiller aux aspects légaux et éthiques de la recherche sur l’embryon.
C’est la directrice générale de l’Agence qui délivre, après avis du conseil d’orientation, les autorisations de recherche sur l’embryon et l’Agence de la biomédecine assurent l’encadrement, l’évaluation et le contrôle des recherches dans ce domaine.
La loi de bioéthique du 7 juillet 2011 a posé les principes suivants :
Les recherches alternatives à celles sur l’embryon humain et conformes à l’éthique doivent être favorisées.
La décision motivée de l’Agence de la biomédecine assortie de l’avis également motivé du conseil d’orientation doivent être communiqués aux ministres chargés de la Santé et de la Recherche.
L’interdiction de la création d’embryons transgéniques ou chimériques est renforcée.
Enfin, la loi a introduit un nouveau régime juridique concernant les études sur l’embryon : elles peuvent être autorisées à titre exceptionnel, pour développer les soins au bénéfice de l’embryon ou pour améliorer les techniques d’assistance médicale à la procréation. Ces études ne doivent pas porter atteinte à l’embryon.
Si une loi du 6 août 2013 est venue assouplir ces règles en supprimant l’expression formelle du principe d’interdiction des recherches pour le remplacer par la règle selon laquelle « aucune recherche sur l’embryon humain sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation », cette formulation qui reste restrictive permet la préservation des principes essentiels, de sorte que la suppression formelle du principe d’interdiction n’a pas d’importance autre que symbolique.
Le projet de loi bioéthique du 24 juillet 2019 prévoit l’autorisation de la modification génétique des embryons sans possibilité de les réimplanter. Quand aux recherches sur les cellules souches embryonnaires, elles ne seraient plus soumises à autorisation préalable mais à une simple déclaration.
On assiste donc clairement depuis 1994 à un desserrement progressif des recherches sur l’embryon en France qui tend dans ce contexte de recherche médicale à une réification progressive.
Relevons cependant que le code pénal (article 511-15) punit de 7 ans d’emprisonnement le fait d’obtenir des embryons humains contre paiement.
L’embryon humain est donc hors du commerce juridique, mais cela ne suffit pas à en faire une personne, certaines choses étant également hors du commerce juridique.
Il peut d’ailleurs être relevé que, en 1994 (décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994), le conseil constitutionnel, en réponse aux interrogations de parlementaires, a estimé que, pour les embryons humains conçus in vitro dans le cadre d’un processus de PMA (non implantés), « le principe du respect de tout être humain dès le commencement de sa vie ne leur était pas applicable ».
Le conseil constitutionnel semble ainsi appliquer un cadre législatif différent et donc accorder un statut différent aux embryons humains selon qu’ils sont in vitro ou in utero, alors même qu’il devrait être considéré que leur nature est identique, les mêmes pouvant passer d’une situation à une autre dès lors qu’une décision d’implantation est prise les concernant.
Certaines juridictions ont explicitement posé la question de la nature juridique de l’embryon. Ainsi, le Tribunal correctionnel de Paris en juillet 1995 a relaxé plusieurs personnes poursuivies pour délit d’entrave à IVG en faisant application de l’article 122-7 du code pénal relatif à l’état de nécessité et en affirmant que, juridiquement, un embryon était une personne.
A l’appui de cette affirmation selon laquelle un fœtus de moins de 10 semaines est une personne, le Tribunal a notamment évoqué les termes de l’article 227-12 du code pénal, toujours applicable, prévoyant le délit d’abandon et qui concerne « l’enfant né ou à naître sans distinction selon qu’il soit ou non âgé de plus de dix semaines ».
Il est intéressant de relever que dans le cadre des débats judiciaires relatifs à un éventuel état de nécessité susceptible de justifier au sens du code pénal un délit d’entrave à IVG, la cour de cassation a pu relever que l’avortement lui-même était justifié au sens pénal par un état de nécessité : « la loi du 17 janvier 1975 n’admet qu’il soit porté atteinte au principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie, rappelé dans son article 1er, qu’en cas de nécessité et selon les conditions et limitations qu’elle définit » (Cour de cassation chambre criminelle 27 novembre 1996 Bull crim n° 431 et 5 mai 1997 Bull crim n° 158). La Cour de cassation considérait alors que l’impunité tolérée par la loi Veil avait un caractère exceptionnel et que son véritable fondement était l’état de nécessité dans lequel une future mère désemparée pouvait être plongée, la cour faisant ainsi écho à la condition de situation de détresse imposée jusqu’en 2014.
A partir du moment où la loi a supprimé en 2014 toute référence à une situation de détresse de la mère, faisant ainsi de l’avortement un acte discrétionnaire, il ne peut plus être considéré que l’avortement est justifié par un état de nécessité.
Il est désormais justifié par une simple autorisation de la loi. On peut ici déceler une avancée du positivisme mais surtout le signe que le positivisme peut et doit être considéré, contrairement au discours dominant le concernant, comme une régression sur le plan civilisationnel en ce sens qu’il permet d’aboutir à ce que la simple existence d’une loi soit considérée comme permettant la suppression d’une vie.
Plus récemment, le Tribunal correctionnel de TARBES a condamné, le 4 février 2014, un automobiliste pour homicide involontaire sur un fœtus, conformément aux réquisitions du parquet qui avait considéré que ledit fœtus était viable et qu’il n’était « mort que du fait de l’accident ». Il faut cependant préciser que cette décision a été infirmée par la Cour d’appel de PAU le 5 février 2015.
La cour de cassation s’était prononcée antérieurement sur la question (assemblée plénière 29 juin 2001 Bull civ n°8) en affirmant que « le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, s’oppose à ce que l’incrimination d’homicide involontaire d’autrui, soit étendue au cas de l’enfant à naître dont le régime juridique relève de textes particuliers sur l’embryon et le fœtus ».
La cour de cassation a confirmé ce principe par un arrêt du 25 juin 2002 de sa chambre criminelle par lequel elle a censuré un arrêt de la cour d’appel de Versailles qui avait déclaré une sage-femme et un médecin ayant causé par leur négligence le décès d’un fœtus par arrêt cardiaque coupables d’homicide involontaire au motif que l’enfant « disposait d’une humanité distincte de celle de sa mère ».
En 2018, par un arrêt de chambre criminelle du 12 juin (n° 17-86.661), elle a refusé de transmettre au conseil constitutionnel pour absence de caractère sérieux une question prioritaire de constitutionnalité qui était formulée comme suit : « l’article 221-6 du code pénal, tel qu’interprété par la cour de cassation, en ce qu’il ne réprime pas, au titre de l’homicide involontaire, l’atteinte portée à l’enfant à naître, privant ainsi le fœtus de toute protection, est-il sous l’angle des droits et libertés garantis par la constitution, en particulier le préambule de la constitution du 27 octobre 1946 qui garantit le droit au respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, entaché d’incompétence négative ? ».
La cour de cassation a considéré, pour retenir l’absence de caractère sérieux de cette question, que le principe du respect de l’être humain dès le commencement de sa vie n’imposait pas que les actes involontaires ayant entraîné une interruption de grossesse soient pénalement sanctionnés, et, que la protection de l’enfant à naître se trouvait assurée par d’autres dispositions législatives.
Cette motivation est intéressante en ce qu’elle ne reconnaît pas à l’enfant à naître la même protection qu’à une personne, mais, reconnaît néanmoins la nécessité qu’il soit protégé au nom d’un principe de respect et que ce principe a valeur constitutionnelle.
Quant à la Cour européenne des droits de l’homme, saisie de la question au visa de l’article 2 de la convention dont elle est chargée de faire assurer le respect, elle a estimé qu’il n’était « ni souhaitable ni même possible actuellement de répondre dans l’abstrait à la question de savoir si l’enfant à naître est une personne » au sens de ce texte (CEDH grande chambre 8 juillet 2004 D 2004.2456).
Puis, dans un arrêt du 16 décembre 2010, cette même cour a décidé qu’il n’existait « aucun consensus européen sur la définition scientifique et juridique des débuts de la vie » pour en déduire que « le point de départ du droit àa vie relève de la marge d’appréciation des Etats de sorte qu’il est impossible de répondre à la question de savoir si l’enfant à naître est une personne au sens de l’article 2 de la convention européenne des droits de l’homme ».
Cependant, la cour européenne a exclu la qualification de bien applicable à l’embryon.
Elle a en effet rendu un arrêt le 28 aout 2015 (affaire Parillo) par lequel elle a débouté une italienne l’ayant saisie pour contester une décision des autorités italiennes l’ayant empêchée de disposer d’embryons surnuméraires. La Cour a, à cette occasion, estimé à l’unanimité qu’un embryon n’était pas un bien dont il était possible de disposer à sa guise.
Elle affirme ainsi que « eu égard à la portée économique et patrimoniale qui s’attache à cet article (n° 1 du protocole n° 1 relatif à la protection des biens), les embryons humains ne sauraient être réduits à des biens au sens de cette disposition ».
Ceci étant, la cour n’a pas affirmé expressément que l’embryon était une personne.
Si elle a écarté l’applicabilité aux embryons de l’article 1 du protocole n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatif au respect des biens, elle a estimé qu’il n’était pas nécessaire de se pencher sur la question « délicate et controversée » du début de la vie humaine.
Cette question de la qualification juridique de l’enfant à naître et la réponse ou l’absence de réponse qui lui est donnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme est à mettre en lien avec la logique libérale qui prône une neutralité morale absolue de l’Etat. Dans cette logique, la loi ne doit plus être le vecteur d’une vision religieuse, morale ou philosophique de la société, ce, afin que chaque individu puisse vivre comme il l’entend, selon ses propres normes, la seule limite susceptible d’être posée étant qu’il ne doit pas nuire à autrui.
De ce point de vue, le texte cardinal qui appuie et résume cette conception est l’article 4 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qui dispose que : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ».
La seule vérité d’une société libérale consiste précisément à ne pas diffuser la lumière de la vérité sur certaines questions essentielles dont celle de la réalité humaine de l’embryon.
Un problème se pose cependant dans cette logique puisque, l’Etat s’interdisant de recourir à des normes collectives, l’expansion continuelle de la demande de nouveaux droits suscite des tensions entre les individus d’une même société. Pour apaiser ces tensions, L’Etat libéral se voit contraint d’étendre aux citoyens l’obligation de neutralité axiologique à laquelle il s’astreint lui-même et de la leur imposer. On en a une illustration avec le recul contemporain de la liberté d’expression et la pénalisation / répression de la discrimination.
Dans cette logique libérale, légaliser l’avortement ne signifie pas seulement autoriser cette pratique mais également refuser et sanctionner tout jugement de valeur à son égard.
C’est ce qui explique la création, en 1993, d’un délit d’entrave à l’IVG et son extension en 2017 à la simple diffusion d’informations.
C’est ce qui explique également la volonté de la gauche, qui s’est notamment manifestée sous la forme d’une proposition de loi de Madame Laurence Rossignol en 2018, de supprimer la clause de conscience du professionnel médical qui l’autorise à refuser de pratiquer des IVG.
Cette banalisation morale de l’avortement présuppose nécessairement une prise de position de l’Etat, même implicite, quant au statut de l’embryon, en l’occurrence l’absence de valeur humaine de celui-ci.
L’Etat et donc le législateur, à l’instar de la cour européenne des droits de l’homme, refusant hypocritement de se positionner sur le sujet, la tâche de porter une appréciation sur la nature juridique de l’embryon a été confiée au Comité National d’Ethique qui a abouti, dans un avis du 23 mars 1984, à la conclusion que celui-ci était une personne potentielle. Ce faisant, on ne va pas jusqu’à nier la qualité de personne à l’embryon, mais, on se donne les moyens de ne pas en tirer les conséquences qui devraient s’imposer en termes de protection.
C’est donc, à notre sens, une façon, bien dans la logique libérale évoquée précédemment, de ne pas trancher la question, et qui permet, en sauvegardant les apparences, de ne pas protéger l’embryon puis le fœtus tant que dure la grossesse.
Pour prendre la mesure de cette qualification de la nature juridique de l’embryon et en apprécier la portée, il faut bien avoir conscience qu’il peut ou a pu exister plusieurs humanités sur un plan juridique. Autrement dit, pour le droit, il peut exister des hommes reconnus juridiquement et d’autres non reconnus : le droit peut dénier le statut de personne à certains hommes.
Cet état de fait se traduisant par des solutions aberrantes et iniques et contraires à la réalité naturelle a pu amener J. HAUSER (RTDCiv 1996.871) à parler de « l’autodestruction de l’homme par l’inflation des droits subjectifs ».
Nous verrons ultérieurement que concernant certaines catégories d’êtres humains, le Droit a été amené à évoluer et à accorder le statut de personnes à des êtres humains à qui cette qualification était antérieurement déniée.
Ces reconnaissances sont et doivent être considérées comme des progrès sur le plan du Droit.
En ce sens, une définition plus précise et plus cohérente du statut de l’embryon humain serait elle aussi évidemment un progrès.
Avec la loi de bioéthique n° 94-653 du 29 juillet 1994 : le législateur s’est abstenu de prendre parti sur la nature juridique de l’embryon étant conscient des implications d’une reconnaissance claire de l’humanité de l’embryon.
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