34 (trente-quatre !) recours déposés contre la suspension sans traitement de personnels soignants en arrêt-maladie, au mépris d’une circulaire de l’ARS (que nous avions publiée, mais qui avait été envoyée par mail) qui précise le contraire, et aucune recevabilité des recours en référé ? Oui, c’est possible ! Cela se passe à Nîmes, où le juge des référés prend des décisions qui attirent l’attention par la façon dont elles sont rendues.

L’embarras face à la mise en cause des juges

Évidemment, nous n’avons pas envie de mettre en cause la façon dont les juges jugent. Ce serait trop facile. Un juge fait forcément un mécontent : celui à qui il donne tort. Il pourrait évidemment être facile de jouer aux démagogues en prenant sans nuance et sans raison valable le parti de ceux qui ont perdu leur dossier, contre ceux qui ont gagné. Ce parti pris serait tout sauf conforme à la démocratie.

Naturellement, nous n’avons donc pas envie de contester l’autorité de la chose jugée parce que nous savons que juger est difficile, surtout juger en toute impartialité. C’est précisément pour cette raison que la Cour Européenne des Droits de l’Homme a jugé utile de censurer la justice administrative en France pour son apparente subordination au pouvoir politique.

Il est un fait que, de longue date, l’indépendance des juges administratifs en France a soulevé de nombreuses questions. Le fait que le Premier Ministre soit le Président en titre du Conseil d’Etat, et le fait que de nombreux conseillers d’Etat réalisent des allers-retours entre les juridictions administratives et l’administration administrante, soulève de nombreuses questions. On rappellera ici que le Conseil d’Etat avait rendu un avis favorable à la transformation du passe sanitaire en outil de crédit social à la chinoise, avis rédigé par un maire LREM, ce qui ne manquait pas d’interroger sur l’indépendance du Conseil.

Néanmoins, nous pensons que la préservation des institutions et de leur légitimité démocratique est un enjeu essentiel. Ce souci suppose que les institutions en question fassent leur diligence pour préserver leur réputation et ne manquent pas de façon trop flagrante aux exigences d’une justice manifestement, apparemment, subjectivement impartiale. Et dans l’affaire que nous évoquons, nous considérons que les bases factuelles sérieuses d’un doute existent avec suffisamment d’importance pour que nous fassions part de notre trouble.

 Y a-t-il une justice administrative partiale à Nîmes ?

Dans les affaires nîmoises qui sont rapportées par Maître Fargepallet, le trouble s’installe. Une soignante mère de quatre enfants, seule, vivant dans un logement de fortune avec son petit salaire, ne semble pas jugée relever de l’urgence lorsqu’elle évoque sa situation pour demander au juge de statuer rapidement sur la suspension de son salaire. Dans l’ordonnance ci-dessous, le juge des référés soutient qu’une maman, psychologue au centre hospitalier d’Avignon qui déclare en détail (avec pièces annexes à l’appui) 850€ de charges pour 1250€ de revenus mensuels, avec un enfant à charge, ne démontre pas que la suspension de son salaire la place en situation de précarité.
L’ordonnance du juge précise que la requérante est seule responsable de sa situation. En un mot, elle n’a qu’à se débrouiller et accepter d’être vaccinée sans discuter.
Mais précisément, elle demande au juge de statuer sur la légalité de sa décision de suspension. Cette décision a été rendue au mépris manifeste du droit administratif, par un simple mail, alors que le droit exige un arrêté en bonne et due forme (avec toutes les mentions habituelles opposables devant un juge, notamment le délai de recours).

Comment un juge administratif peut-il imaginer que les justiciables aient un sentiment d’impartialité quand il rend la justice dans des conditions aussi caricaturales : délais expéditifs de traitement des dossiers, décisions avec un manque manifeste de motivation en droit, évidence d’une indifférence pour la situation sociale réelle des requérants. Dans le dossier dont nous reproduisons les pièces, on peut constater que les considérants tiennent en quatre points occupant moins d’une page, quand le dossier présenté comporte 21 pages d’argumentation sans les annexes. Une justice démocratique peut-elle vraiment décréter :

Mme Sce soutient que la décision attaquée, qui la prive de rémunération alors qu’elle a été portée à sa connaissance par un simple courriel, bouleverse ses conditions d’existence et la place, ainsi que sa cellule familiale, dans une situation de précarité indigne. Toutefois, à supposer ces circonstances avérées, il ressort des pièces produites que, du fait de son intertie, la requérante s’est elle-même placée dans la situation qu’elle déplore.”

Peut-être est-ce vrai, mais il nous semble que, pour l’apparente impartialité de la justice, le juge a pour devoir, dans ce genre de situation, de prendre le temps d’argumenter sa position. Car il est difficile d’expliquer à une mère de famille qui dispose d’un reste à vivre de 400 euros, qu’elle est seule responsable de sa situation quand elle décide de contester le courriel qui la place dans cette situation, au nom d’une disposition dont elle refuse la légalité. Et il nous semble difficile de prendre cette décision sans l’entendre en audience, et sans prendre le temps de l’écouter.

La question sensible des arrêts maladie

Outre le cas de Mme Sce, Maître Fargepallet nous signale d’apparentes décisions rendues par le juge des référés confirmant la suspension des indemnités maladie perçues par des personnels hospitaliers non-vaccinés. Ces soignants étaient malades avant le 15 septembre, et leur arrêt maladie a fait l’objet d’une contre-visite à la demande de l’employeur. Ces contre-visites se sont conclues, semble-t-il, par des confirmations voire des prolongations à la demande des médecins conseils de la sécurité sociale.

Malgré ces validations, l’employeur aurait suspendu illégalement les indemnités maladie, et le juge n’y aurait rien trouvé à redire.

Le juge et les Droits de l’Homme

Si cette information se vérifiait, nous sommes convaincus qu’il s’agirait d’une faute détachable du service qui mettrait en cause le magistrat lui-même. Conformément aux dispositions de l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, nous avons interrogé le magistrat en cause. Il n’a pas souhaité nous répondre à l’heure qu’il est, alors qu’il a bien accusé réception de nos messages sans ambiguïté.

Nos colonnes restent bien entendu ouvertes à sa réponse. Il nous semble en effet indispensable d’assurer l’équilibre dans l’information, et nous sommes convaincus qu’un juge de la République ne peut manquer à ce point d’objectivité et d’impartialité. Nous souhaitons donc que les faits soient rétablis et que la justice administrative nous convainque qu’il n’existe pas aujourd’hui de vindicte contre les non-vaccinés.

Faute de cette conviction, nous devrions en conclure que l’Etat est devenu partial, et avec lui sa justice, ce qui nous semblerait détestable et annonciateur de temps difficiles.

Dans tous les cas, le devoir des hauts fonctionnaires, à commencer par les juges administratifs, est d’assurer le respect de la légalité républicaine.

Source