De nos jours, l’adoration a été détournée et dévalorisée par beaucoup. Elle a été réduite à un jeu de préliminaires qui dure d’une demi-heure à une heure et qui consiste habituellement à chanter des petits chœurs répétitifs dont les paroles font peu pour engager l’esprit. Ces petits chants sont triomphalistes et sentimentaux, avec une certaine manifestation d’amour pour Dieu ou pour Jésus, mais ils insistent peu sur son sacrifice. Il y a des exceptions, mais cette affirmation est suffisamment exacte pour ne pas être une caricature. Une louange de ce genre est généralement dirigée par un conducteur de louange qui se met en avant avec un microphone à la main. Les membres de l’assemblée qui participent à la louange sont généralement debout, parfois avec les mains levées, en particulier lorsque des phrases comme « Nous t’adorons » sont prononcées (comme c’est fréquemment le cas). Il est remarquable de constater combien cette façon de procéder peut être observée de façon extensive partout dans le monde. Cette manière de faire est mono-culturelle dans le sens où elle concerne les pays de l’Atlantique Nord. La plupart du temps, une telle façon d’adorer est caractérisée par un certain aveuglement et une conviction absolue qu’il ne peut y avoir une autre forme de louange que celle-ci.

Cela contraste de façon marquée avec ce qui a prévalu depuis la Réforme, à la fois chez les Anglicans et dans les traditions non-conformistes. Leurs formes classiques de louange étaient interactives, c’est-à-dire qu’elles procédaient de la supposition qu’il y avait une rencontre, basée sur un répondant mutuel, qui prenait place entre Dieu et l’homme. C’était la justification théologique de « l’hymne sandwich » des non-conformistes, comme on l’a parfois appelée, avec dérision. Cette forme de louange était fondamentalement centrée sur Dieu et sur la Parole, avec des opportunités structurées pour la congrégation de réagir, de répondre par le chant, la prière, ou par une joyeuse soumission. Le même principe gouvernait l’ensemble des chants de la liturgie anglicane, quoique dans le détail, sa forme extérieure en fût clairement différente.

Dans le pire des cas, cette forme de louange peut dégénérer en un formalisme ennuyeux et facile à prévoir, dominé par un professionnel qui peut être brillant (dans certains, il ne l’est pas) et qui débite des platitudes qui ne touchent par le cœur. Ce professionnel utilise la chaire pour dire ce qu’il a envie de dire et transmettre sa propre vision superficielle de Dieu. Dans le meilleur des cas, ce moment de louange peut être l’expérience la plus exaltante que puisse connaître l’homme de ce côté-ci du ciel. La personne qui conduit cette louange ne fait pas obstacle à la gloire de Dieu ; les paroles adressées à l’assemblée sont humbles et inspirées. La réaction qu’elles entraînent est une réponse sincère qui vient du cœur : les vies sont touchées. Les non croyants sont confondus et se convertissent. La louange, qu’elle soit parlée ou chantée, est pleine de sens et chaleureuse.

Dans ce qui suit, je limiterai mon étude à la louange au sein des cultes d’adoration publics. Je n’aborderai pas la louange personnelle et privée.

 

La nature de l’adoration

La véritable adoration a toujours deux points de convergence interactifs : Dieu et celui qui adore. Les deux ont des facteurs entrants – caractérisant un état de réceptivité – et sortants – productifs, qui leur sont propres. La différence entre les éléments réceptifs et les éléments productifs, qui s’appliquent respectivement à Dieu qui reçoit et à ceux qui offrent l’adoration, est double :

  1. a) Ce que Dieu reçoit, il n’en a pas besoin mais il le mérite parfaitement, alors que ce que nous recevons, nous en avons grandement besoin mais nous ne le méritons pas.
  2. b) Ce que Dieu donne est un acte issu de sa grâce, alors que, de notre côté, nous nous acquittons d’un devoir. Ce qui ne veut pas dire que cela ne nous soit pas agréable ou que cela ne soit pas sincère, ni accompli de bon cœur. Dans les meilleures formes d’adoration, il y a ces deux éléments interactifs.

L’adoration est notre plus grand privilège et devrait être notre plus grand délice

Pensons à ce que cela implique : une communication et une communion personnelles avec le Dieu vivant. Contraste infiniment plus extrême que le plus grand des contrastes dans un contexte purement humain. En effet, toute analogie basée sur les différences entre deux individus complètement opposés dans le spectre social humain pourrait difficilement nous faire réaliser ce fait incroyable : nous qui ne sommes que poussière et cendres (Genèse 18:27), non seulement nous pouvons nous approcher du Créateur mais nous pouvons le faire dans la joie, dans la confiance et avec hardiesse, en dépit du fait que ses yeux sont purs et ne peuvent supporter l’iniquité.

Habacuc 1:13 : « Tes yeux sont trop purs pour voir le mal, tu ne peux pas regarder l’oppression. »

Nous pouvons, en toute confiance, avoir l’assurance que ce que nous faisons plaît à Dieu. En effet, Psaumes 50:23 dit : «Celui qui offre pour sacrifice des actions de grâces me glorifie. » Cela suggère que notre louange ajoute même à sa gloire. Il est étonnant qu’une telle activité soit encore considérée comme fastidieuse ou comme un fardeau et non comme un indicible privilège.

Il est nécessaire de faire ressortir davantage le contraste en employant une comparaison humaine : beaucoup de gens aimeraient être invités au Buckingham Palace pour une fête champêtre. Apercevoir la reine ou même avoir une courte conversation avec elle serait considéré comme un grand privilège. Dans la louange, même lorsque nous venons comme membres d’une foule (ce qui se produit encore à certaines occasions), nous venons aussi potentiellement à titre individuel, non vers un monarque distant, mais vers le Seigneur Dieu tout-puissant qui est notre Père céleste. Et nous lui parlons directement. Il n’engage pas la conversation avec des civilités au cours desquelles il se renseigne en bonne et due forme, afin de connaître la raison particulière pour laquelle nous avons été sélectionnés pour cet entretien. L’intérêt qu’il nous porte est infini, plein de tendresse, du fait qu’il connaît tout de nous. Et il est capable de nous communiquer des sentiments de paix et d’amour qui peuvent être indescriptibles, ou, pour l’exprimer dans un langage biblique, nous nous réjouissons d’une joie ineffable et glorieuse (1 Pierre 1:8).

C’est vers cela que nous devrions tendre, c’est cela que nous devrions espérer dans chaque acte d’adoration, et rien de moins. (Je pourrais dire la même chose en ce qui concerne nos temps de communion personnels, mais je me limite ici à ce que l’on appelle « louange publique ».) Dans une certaine mesure, et sous réserve que cela ne nous plonge pas dans une dépression presque pathologique, nous devrions être désolés lorsque notre expérience de l’adoration n’atteint pas ce but. Dieu peut nous donner un avant-goût du paradis. C’est ce qu’Isaac Watts exprimait en disant : « L’homme sous la grâce réalise que la gloire a commencé ici-bas. »

Si cela semble partir dans la direction d’une sorte d’individualisme hédoniste qui considère la louange comme une opportunité pour chacun de faire « ce qu’il veut », cela peut être contrebalancé par l’emphase biblique placée sur le fait que ce que nous faisons, nous le faisons ensemble. L’adoration, d’un point de vue biblique, est une activité qui se pratique en commun. Il est significatif que la prière du Seigneur commence par « Notre Père » et continue avec le pluriel plutôt qu’au singulier, avec une seule personne adressant à Dieu des requêtes centrées sur elles-mêmes. La même chose peut être observée en Psaumes 122:1,2 : « Je suis dans la joie quand on me dit : ‘Allons à la maison du Seigneur.’ » De même, le chapitre 14 de la première épître aux Corinthiens dénonce l’hérésie qui consiste à croire que tout ce qui compte dans le culte d’adoration collectif public, c’est que « j’en tire une bénédiction personnelle » ou que « je sois autorisé à faire ce que je veux ». Le principe d’édification dans l’Eglise est suprême (versets 4, 6, 12, 19, 23, 26).

Toute véritable adoration est une réponse à la grâce de Dieu. Elle doit prendre sa source en Dieu, dans ce qu’il est et dans ce qu’il a fait. Son être même est digne de notre adoration. Les anges, eux, ne l’adorent pas comme leur Sauveur mais pour sa majesté et sa puissance. Ce qu’il a fait, ce qu’il est en train de faire et ce qu’il fera bientôt devraient nous pousser toujours davantage à la louange. Dire cela, c’est aussi reconnaître que des sujets de louange en très grand nombre sont à notre portée pour faire monter vers lui notre adoration. Cela inclut l’éternel conseil de la Trinité divine qui nous environne de son infinie sagesse ; la puissance de Dieu mise en évidence dans la création ex-nihilo et, par conséquent, dans l’agencement ordonné providentiel et dans le maintien de tout ce qu’il a créé; ses desseins qui sont prêts à s’accomplir. Mais cela inclut aussi sa gloire suprême : le salut des pécheurs. Comme l’a exprimé Gladsby : « Dans son œuvre la plus excellente, celle de la rédemption, on voit briller l’éclat de sa gloire. » Ses promesses qu’il nous a faites et sa bienveillance de Père qui prend soin de ses enfants devraient également nous porter à le louer, à lui rendre grâce et à lui promettre de nous attacher à lui toujours plus.

Le livre de l’Apocalypse nous donne une image furtive mais glorieuse de ce que signifiera pour nous rejoindre les célestes louanges adressées à l’Agneau (Apocalypse 5:12-14; 19:1,6). Toutes ces choses découlent de son amour pour nous auquel nous ne faisons que répondre. Nous ne les avons pas méritées. C’est ce que dit Jésus dans le livre de Luc au chapitre 17 et au verset 10 : « Vous, de même, quand vous avez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire.’ »

 

L’adoration et l’Evangile

 

Ce qui vient d’être dit implique donc que la source même de l’adoration se trouve en Dieu et non en l’homme. Ainsi, ce n’est pas celui qui adore qui en est le facteur déterminant, mais c’est Dieu. Cela soulève le problème de l’Evangile et de l’adoration, ce point particulier par lequel a commencé cette conférence. Il y a une tendance inquiétante évidente parmi un certain nombre de chrétiens certainement bien informés et bien documentés théologiquement : ils manifestent ce qui peut à peine s’élever au-dessus d’une attitude condescendante, sinon dédaigneuse à l’égard des réunions d’évangélisation. Ils ne les considèrent pas comme des occasions pertinentes pour des chrétiens mûrs de s’engager dans une adoration pleine de sens, bien que ceux qui se trouvent encore à la « maternelle spirituelle » puissent les trouver utiles. Ceux d’entre nous qui sont assez âgés pour s’en souvenir seront unanimes pour dire que la plus grande prédication à but d’évangélisation que nous ayons jamais entendue de la part d’un évangéliste fut celle de D. M. Lloyd Jones. Elle vous soulevait jusqu’au ciel, et pourtant était réellement un instrument très efficace dans le domaine de l’évangélisation.

Y a-t-il encore dans de telles occasions une atmosphère de gloire dans laquelle des non-croyants se sentiraient poussés à l’adoration, s’ils ne ressentent pas irrésistiblement que l’atmosphère générale est empreinte de crainte révérentielle et de majesté ? Cela peut être mis en parallèle, dans une certaine mesure, avec ce que certains chrétiens apprécient lorsqu’ils témoignent avoir expérimenté un avant-goût du ciel. Mais dans le cas du non-croyant, cette atmosphère à laquelle il ne trouve aucun intérêt personnel est un avant-goût de l’enfer, étant donné qu’ils voient la majesté et la gloire de Dieu de l’extérieur.

La bonne nouvelle de l’Evangile est certainement le point de doctrine le plus profond et le plus important qui soit révélé dans les Ecritures. Peut-être devrions-nous nous rappeler que les anges désirent ardemment plonger leur regard dans toutes ces choses révélées dans l’Evangile (1 Pierre 1:12). Le plan de l’Evangile, son exécution et son application, relatés comme l’œuvre du Père, du Fils et du Saint Esprit constituent certainement une présentation biblique de cette extraordinaire œuvre de la rédemption. Ephésiens 2:18 résume ce qui découle de cette œuvre en relation avec la prière et l’adoration : « Car par lui, nous avons les uns et les autres, accès auprès du Père dans un même Esprit. »

                                                                                                                                                              

Révélation progressive et adoration

« En avant et toujours plus haut » devrait être la manière de décrire le développement que l’on trouve à travers l’Ancien et le Nouveau Testaments de ce qui est quelquefois appelé « révélation progressive ». Elle garde toujours une cohérence interne et ne se contredit jamais. Mais elle est bâtie sur ce qui s’est produit antérieurement, et nous mène à son point culminant dans le Nouveau Testament. L’explication biblique de tout cela est tout simplement que les figures et les ombres de l’Ancien Testament étaient faites à l’image des choses à venir comme l’atteste Hébreux 8:5 : « Regarde, lui dit Dieu, tu feras tout d’après le modèle qui t’a été montré sur la montagne. » Comparons ce verset à celui d’Exode 25:40 : « Regarde puis exécute, d’après le modèle qui t’est montré sur la montagne. »

Et néanmoins, à l’intérieur même de cette indubitable unité théologique, se trouve un élément décisif de diversité qui repose non pas tant sur la distinction entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament, mais sur celle existant entre les périodes d’avant et d’après la Pentecôte. En termes d’ecclésiologie1 et d’adoration, les évangiles reposent essentiellement sur le côté vétérotestamentaire de cette division. Le contraste est vraiment saisissant : jusqu’à Actes 2, nous voyons que l’adoration dans le Temple est détaillée, élaborée, liée de près au sacerdoce et au système liturgique du culte lévitique qui l’accompagne. Mais à partir d’Actes 2:41, la différence est frappante. Il n’y a plus de sacerdoce, sinon celui dans lequel tous les vrais croyants sont des membres de l’Eglise ; il n’y a plus de système basé sur les sacrifices – celui de Christ, accompli une fois pour toutes, l’a rendu obsolète ; pas de lieu saint, encore moins le lieu très saint dont l’accès était autrefois strictement réservé à un seul représentant du peuple, qui y entrait une fois par an, car maintenant nous pouvons entrer dans le lieu très saint « avec assurance, par le sang de Jésus » (Hébreux 10:19). L’hésitation et la crainte qui devaient être quelques uns des signes distinctifs de l’adoration dans l’Ancien testament, dans ce qu’elle avait de meilleur, ont été remplacées par la hardiesse (parresia) et la pleine assurance de la foi (plerophoria  pisteos) (Hébreux 10:19 à 22).

Il n’y a pas d’équivalent dans le Nouveau Testament du livre du Lévitique. Quel que soit le terme que nous souhaitons utiliser pour décrire le « ministre » du Nouveau Testament – terme qui est indiscutablement le meilleur – nous ne pouvons le nommer prêtre, excepté dans le sens qu’il partage son privilège et sa fonction avec chacun des croyants. Il n’y a plus de fêtes établies, ni de fonctions cérémoniales comme celles caractéristiques de la situation de l’Ancien Testament. Un nouveau degré de spontanéité semble avoir caractérisé l’adoration dans le Nouveau Testament. Nous devons toutefois être prudents en affirmant cela, de peur de donner à entendre que l’adoration dans l’Ancien Testament était morne, formelle, complètement statique, et dans cette mesure-là, non spirituelle. Mais il est bon de noter que ces segments de la chrétienté qui essaient de raisonner bibliquement  pour établir un style liturgique permanent et élaboré doivent le faire soit en tirant leurs arguments des pratiques de l’Ancien Testament, soit alors en revendiquant le pouvoir ecclésiastique en vue d’imposer de telles formes et structures d’adoration comme faisant partie de l’autorité prophétique permanente résidant dans l’Eglise. Cependant, ces deux façons de procéder ne tiennent pas compte du témoignage du Nouveau Testament.

Certains aspects de cette progression biblique légitime sont très pertinents en relation avec le concept d’adoration dans son ensemble. On pourrait affirmer qu’une partie de cette progression est exprimée par un élément de plus profonde spiritualité qui s’oppose aux éléments charnels de l’adoration. Allié à cela, se trouve un élément intellectuel particulièrement intensifié. Remarquons le contraste entre l’Ancienne Alliance et la Nouvelle Alliance mis en évidence par Paul dans sa deuxième épître aux Corinthiens, au chapitre 3, ou dans son épître adressée aux Galates au chapitre 4, et, de façon plus développée encore, par l’auteur de l’épître aux Hébreux ; contraste qui s’appuie sur l’hypothèse que l’Ancienne Alliance, quoique bonne et bénéfique, était cependant relativement puérile. Elle était conçue pour des enfants spirituels plutôt que pour un peuple parvenu à la maturité, et était toujours destinée à être temporaire par opposition à ce qui est permanent.

 

Une régression contemporaine

Tout cela a-t-il quelque chose à apprendre à notre époque qui, dans beaucoup de milieux évangéliques aussi bien que dans les milieux plus visiblement mondains, semble enclin à régresser vers ce qu’il y a de plus primitif et de moins intellectuel, vers ce qu’il y a de plus physique et de moins spirituel ? La tendance peut être constatée dans les domaines de la musique séculière et de la culture en général, aussi bien que dans les arts visuels et dans l’ensemble des media. Cela me semble non seulement tragique, mais également s’apparenter à un renversement de l’ensemble du mouvement observé dans la révélation biblique, que tant de groupements évangéliques soient au premier plan de ce phénomène parallèle que l’on peut remarquer dans les églises. Certains affirment qu’il s’agirait d’une réaction légitime contre l’approche hyper intellectuelle étroitement associée aux valeurs de la classe moyenne plutôt qu’aux principes bibliques. Mais, en réalité, il s’agit d’une capitulation en faveur de ce qu’on appelait mondanité. Mais maintenant ce phénomène se fait passer pour une approche plus holistique2 sous les ombrages de laquelle il se réfugie. Le Nouveau Testament place l’emphase, de manière très développée, sur la vérité et sur le concours de la pensée, à laquelle la vérité donnée par Dieu a été présentée. D’où la profondeur intellectuelle des épîtres, telles qu’elles étaient écrites aux églises, composées de gens tout à fait ordinaires et qui cependant les comprenaient, car ils en étaient rendus capables par le Saint-Esprit.

Il m’est particulièrement difficile d’accepter le fait que l’Évangile, qui est parvenu à élever la nature et les capacités intellectuelles des sociétés qu’il a pénétrées, soit maintenant un moyen par lequel on retomberait de l’intellectuel et du spirituel vers le physique et le charnel. Que ce phénomène se produise dans les endroits les plus développés de la planète et parmi ce qui s’avère ostensiblement être ses segments les plus intelligents parait encore plus embarrassant. Ce point particulier peut être illustré tant dans de nombreux groupes bibliques universitaires (GBU) que dans des églises de la classe moyenne qui souvent paraissent se préoccuper de marcher à l’encontre de l’apôtre Paul qui affirmait instamment que lorsqu’il était devenu homme, il avait délaissé ce qui était de l’enfant.

 

Hédonisme évangélique

 Sans aucun doute, l’un des facteurs les plus marquants dans ce que l’on pourrait, à juste titre, décrire comme la révolution dans la louange – phénomène qui perdure depuis quelques générations – a été l’élément hédoniste : « J’aime ça, mon mari aussi, et je suppose que Dieu aime ça lui aussi. » Voilà comment une femme justifiait une pratique particulière en dehors du contexte de la louange. Cet hédonisme semble être la philosophie se cachant derrière une grande partie de cette soi-disant révolution. Cela nous plaît, donc nous espérons ou nous supposons que cela plaît également à Dieu. Remarquons qu’en toute honnêteté, répondre à cet argument en disant : « Je n’aime pas cela, et je présume que Dieu partage mon opinion» ne constitue aucunement une réponse. En d’autres termes, nous avons besoin d’un principe supérieur plutôt que de nous contenter de penser que quelque chose de culturellement valable justifie notre théologie de l’adoration. Comme cela peut être démontré à partir des constituants que nous trouvons dans notre évangélisme, la culture est comparable à un nez de cire que l’on peut pincer, tordre ou dilater à volonté afin de lui donner la forme désirée. La culture peut se targuer d’être contemporaine ou historique – et les deux éléments ont leur importance – elle n’a aucun avantage conclusif dans le débat qui nous intéresse. Alors qu’il est clairement insensé de se fossiliser dans les traditions du passé jusqu’à finir par ressembler à des reliques de musées géologiques, il est également faux (bien que cela ne soit pas instantanément reconnaissable) d’emprunter des motifs contemporains à un monde qui sera toujours fondamentalement en antithèse du génie de l’Evangile.

Ce que l’on pourrait peut-être faire, c’est s’interroger afin de savoir si un certain « ordre » est important ou non. A nouveau, les extrêmes sont prédictibles, depuis le formalisme du culte de la pire et de la plus ennuyeuse espèce jusqu’au chaos complet qui s’installe lorsque le culte se déroule « à la bonne franquette » ou pour changer la métaphore, lorsque vous vous sentez précipité dans ce culte comme dans un jeu de cartes qui auraient été battues au hasard. Vous n’avez pas besoin d’entrer profondément en « liturgie » pour participer à un culte de la première catégorie, ni d’être un charismatique batteur de cartes pour vous sentir à l’aise dans la seconde.

 

La présence de Dieu

 Les adeptes de telles positions confondent souvent ces deux types d’aberration avec la manifestation de la présence de Dieu. Dans le premier cas, on note une certaine dignité accompagnée d’une atmosphère calme qui avoisine le silence total. L’absence d’émotionnalisme qui paraîtrait abusif, un style architectural particulier et peut-être une « étincelle de religiosité », voilà qui indiquerait la présence de Dieu. Dans le second cas, il est probable que tout le contraire de ce qui vient d’être dit soit l’évidence indubitable de la présence de Dieu. Je suggère que l’on se trompe dans les deux cas. Il y a bien d’autres facteurs qui entrent en considération : l’esthétique, des éléments psychologiques qui peuvent influencer nos jugements de valeur, la tradition historique et encore bien d’autres facteurs peuvent entrer en scène ici. On pourrait affirmer, en toute honnêteté, que s’il existe un domaine de l’expérience théologique qui est « mieux ressenti que dit », c’est bien celui-ci – l’expérience de la louange.

 

L’omniprésence de Dieu

 En de nombreux points, les Ecritures nous indiquent qu’il y a eu bien des occasions où ce qui a été expérimenté était la présence manifeste de Dieu. Automatiquement, cela nous met en confrontation avec un certain nombre de difficultés. Avant tout, comment faire la distinction entre l’omniprésence de Dieu et sa présence ? Et par déduction, comment reconnaître ce qui en est souvent le corollaire : l’absence de Dieu ?

L’omniprésence de Dieu, considérée comme l’un de ses attributs essentiels, nous est largement décrite à la fois dans l’Ancien et dans le Nouveau Testaments. Psaume 139 nous en donne une formulation classique : « Où irai-je loin de ton Esprit ? Et où fuirai-je, loin de ta face ? Si je monte aux cieux tu y es ; Si je me couche au séjour des morts, t’y voilà. Si je prends les ailes de l’aurore et que j’aille demeurer au-delà de la mer, là aussi ta main me conduira, et ta droite me saisira » (versets 7 à 10). La même vérité est exprimée dans le livre de Jérémie : « Est-ce que je ne remplis pas les cieux et la terre, dit le Seigneur ? » (Jérémie 23:24). L’apôtre Paul disait en substance la même chose à Athènes lorsqu’il faisait allusion aux poètes grecs qui avaient écrit : « Dieu n’est pas loin de chacun d’entre nous. Car en lui nous avons la vie, le mouvement et l’être. » (Actes 17:27). De la même façon, il parle de l’ascendant de Christ qui remplit toutes choses. (Éphésiens 4:10).

 

Les manifestations particulières de la présence de Dieu

 Le concept de l’omniprésence ainsi formulé est en essence quelque chose que l’humanité ne peut saisir par l’expérience. Toutefois, depuis le tout début de l’Ancien Testament, plusieurs exemples de cette omniprésence de Dieu sont donnés d’une manière très éloquente démontrant cette présence que non seulement un individu mais aussi effectivement des communautés entières peuvent expérimenter. Le plus ancien de ces exemples doit se trouver au chapitre 3 de la Genèse où il est dit : « Adam et Eve entendirent la voix de Dieu qui marchait dans le jardin, dans la fraîcheur du jour. » Il est ajouté clairement qu’Adam et sa femme se sont cachés loin de la présence de Dieu, parmi les arbres du jardin.

La présence majestueuse et imposante de Dieu est devenue le facteur dominant. Par exemple, nous lisons au chapitre 15:12 du livre de la Genèse : « Au coucher du soleil, Abram fut accablé de sommeil et aussi de frayeur dans l’obscurité profonde. » Cette caractéristique de la présence de Dieu est typique des manifestations postérieures telles qu’elles nous sont décrites plus loin dans l’Ancien Testament depuis le Sinaï et par la suite (Exode 19:9-19, cf. Hébreux 12:18-21). Le psalmiste nous en fait part également (Psaumes 18:6-15). Esaïe l’a expérimentée (Esaïe 6:1-5). Habacuc (3:2-16) et Daniel (10:4-9) se réfèrent au même phénomène.

Plusieurs de ces exemples sont des expériences individuelles, mais il y a un enchaînement notoire d’enseignements qui relatent de telles manifestations de la gloire de Dieu, non pas seulement pour des individus isolés, mais pour toute la communauté du peuple de Dieu qui adore. Une des références qui fait le lien entre ces deux aspects se trouve en Exode 32-34 où Moïse, un individu, aspire à la présence de Dieu, mais pas seulement pour lui-même : « A quoi reconnaîtra-t-on que j’ai obtenu ta faveur, moi et ton peuple ? Ne sera-ce pas au fait que tu marcheras avec nous et que nous serons distingués, moi et ton peuple, de tous les peuples qui sont à la surface de la terre ? » (Exode 33:16).

La colonne de fumée de jour et de feu durant la nuit est devenue la preuve visible de la présence de Dieu accompagnant le peuple d’Israël dans le désert. De façon significative, ce nuage – la gloire de la shékhina – est en relation étroite avec le tabernacle. « Le jour où le tabernacle fut dressé, la nuée couvrit le tabernacle (Nombres 9:15). Le reste du chapitre 9 (versets 16 à 23) et la conclusion du chapitre 10 suivant (versets 33 à 36) mettent l’accent sur l’importance unique de cette vérité. Ce qui est clairement exprimé, c’est que la seule marque distinctive du peuple de Dieu était la présence de Dieu au milieu de lui.

 En relation avec ce que nous avons noté plus haut, concernant l’Ancien Testament, nous décrivant la période de « l’enfance » du peuple du Seigneur, nous nous attendons à voir l’aspect physique des manifestations de la présence de Dieu diminuer et éventuellement disparaître. Par conséquent, dans le Nouveau Testament, mis à part le phénomène temporaire décrit dans Actes 2:2 (la venue du Saint-Esprit), la manifestation physique de la présence de Dieu n’est plus un motif prévalent. Cela est conforme au principe que les bénédictions de l’Ancien Testament qui comportaient des manifestations physiques, – terre promise, victoires ou défaites militaires, longévité, prospérité – ont leurs équivalents spirituels dans le Nouveau Testament. Mais ce que l’on doit bien retenir, c’est que Dieu, dont la gloire remplit les cieux, peut très bien localiser sa présence à un endroit particulier ou parmi des personnes en particulier. Ces manifestations de sa présence deviennent infiniment agréables et mémorables. David l’exprime clairement en Psaumes 63:1-2 : « O Dieu ! Tu es mon Dieu, je te cherche, mon âme a soif de toi, mon corps soupire après toi, dans une terre aride, desséchée, sans eau. Ainsi, je te contemple dans le sanctuaire pour voir ta puissance et ta gloire. » Un autre psaume nous en témoigne également : « Combien tes demeures sont chéries, Eternel des armées ! Mon âme soupire, elle défaille près des parvis de l’Eternel, mon cœur et ma chair crient vers toi le Dieu vivant ! (…) Mieux vaut en effet un jour dans tes parvis que mille ailleurs. J’ai choisi de me tenir sur le seuil de la maison de mon Dieu plutôt que de résider sous les tentes de la méchanceté. Car l’Eternel est un soleil et un bouclier, l’Eternel donne la grâce et la gloire, Il ne refuse pas le bonheur à ceux qui marchent dans l’intégrité. Eternel des armées, heureux l’homme qui se confie en toi ! (Psaumes 84:1-3 ; 11-13.)

Les descriptions qui nous sont données en 1 Rois 8:10-11 et dans le livre des Chroniques au chapitre 5, versets 13 et 14 nous racontent l’évènement de la dédicace du temple de Salomon qui revêt également une importance particulière dans le tableau que nous dressons au sujet de la présence de Dieu manifestée de façon remarquable à des occasions spécifiques dans l’Ancien Testament.

Maintenant, nous pouvons tenter de rassembler les effets observables de ces visitations remarquables de Dieu sur l’homme. Il serait erroné de décrire ces expériences uniquement en termes de crainte révérentielle paralysante, voire de peur ou de terreur. Certes, quelques-uns de ces éléments devaient être présents, mais en principe de telles expériences poussaient le peuple à la prière, au sacrifice d’adoration, à la louange par le chant, à une grande joie et à un grand bonheur, quoiqu’au moment de la dédicace du temple, la présence de la gloire de Dieu ait engendré une interruption du déroulement de la liturgie habituelle (lire 2 Chroniques 7:1-11).

Avant de quitter l’Ancien Testament, nous devons insister sur un autre point, à savoir que Dieu est aussi un Dieu de surprises. C’est ce qu’Elie a découvert à Horeb lorsque le Seigneur l’a rencontré : ce ne fut ni dans le vent, ni dans un tremblement de terre, ni dans le feu, mais dans une petite voix douce. (1 Rois 19:11-13) ;

Alors que nous nous penchons maintenant sur le Nouveau Testament, les passages de la nativité nous amènent à réaliser que l’incarnation signifie que Dieu a béni l’humanité en lui offrant sa présence. Le bébé né à Bethlehem nous en apporte la preuve, l’un de ses noms étant Emmanuel –Dieu avec nous. Ceci nous est expliqué clairement dans le livre de Matthieu 1:23 et dans le livre d’Esaïe 7:14.

Les paroles prophétiques de Zacharie avaient anticipé ces événements : « Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, de ce qu’Il a visité et racheté son peuple et nous a procuré une pleine délivrance… le soleil levant nous a visités d’en haut » (Luc 1:68-78). Peut-être que c’était parce que les disciples considéraient que cette visitation de Dieu trouverait un dénouement heureux qu’ils étaient dans une profonde consternation, la veille de la crucifixion de Jésus, consternation et tristesse qui l’amenèrent à les rassurer. Plus tôt dans son ministère, il leur avait dit que sa présence permanente auprès d’eux était une chose dont ils pouvaient être assurés et qui ne dépendrait pas de sa présence en chair et en os parmi eux (Matthieu 18:20) Mais à ce moment-là, ils ne comprenaient ni ce qu’il disait, ni ce que cela allait impliquer par la suite. Mais il le leur avait dit, et en temps voulu la promesse du Saint-Esprit leur revint à la mémoire. Par conséquent, dans les paroles qu’Il prononça dans la chambre haute, Jésus insista grandement sur le fait de sa présence avec son peuple en dépit de son absence physique. Cette promesse est complètement liée à l’œuvre et au ministère du Saint-Esprit, comme Jésus le révèle clairement dans le livre de Jean, au chapitre 14, et aux versets 16 à 26. Ces paroles ont dû littéralement bouleverser les hommes à qui elles ont été adressées à l’origine, mais Jésus leur a assuré que la meilleure des choses qui pût leur arriver, c’était qu’il leur soit enlevé physiquement. Autrement, le Saint-Esprit ne viendrait pas vers eux (Jean 16:7). Cela l’a amené à leur donner cette explication paradoxale : son départ engendrerait une grande tristesse, mais en son temps cette tristesse serait changée en joie. Et à la lumière de ce qu’il avait dit auparavant dans son discours, Jésus, s’adressant à ses disciples découragés, abattus, a certainement fait allusion à bien des choses en dehors de ses apparitions qui auraient lieu après sa résurrection.

Matthieu conclut son évangile avec une promesse que Jésus fait avant de monter au ciel : « Voici, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Matthieu 28:20). Il est clair que ce message a été entendu des disciples et de leurs compagnons de l’Eglise primitive. C’est pourquoi nous ne les trouvons jamais, que ce soit individuellement ou collectivement, en train de se lamenter du fait que Jésus ne soit plus présent avec eux physiquement. Ils se réjouissaient de la réalité de la promesse du Saint-Esprit. En vérité, il y a une « présence » du Seigneur qu’ils anticipent avec une grande impatience. Ils savent que plus tard viendra la parousie où Celui qui est maintenant spirituellement parmi eux se manifestera physiquement à nouveau. Cette espérance, toutefois, ne diminue aucunement leur joie présente. Elle ne réduit pas non plus leur expérience à un niveau qui ferait fi des promesses de Jésus ou qui les réduirait à de simples formalités.

Il y a donc de claires indications, dans le livre des Actes et dans les épîtres, que les réunions de l’Eglise, de manière générale portaient la marque d’une riche communion, non seulement vécue les uns avec les autres, mais aussi avec leur Dieu et Sauveur. L’épître de Jean nous le rappelle : « Or, notre communion est avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ. » De la même façon, la scène décrite dans le livre des Actes (4:23-31) est typique de l’ambiance de l’Eglise de Jérusalem. A en juger par les descriptions que donne Paul de sa prédication et des bénédictions qui en découlent, ces choses étaient vécues également dans l’Eglise des Gentils. La prédication de Paul reposait sur une « démonstration d’Esprit et de puissance » (1 Corinthiens 2:4). Son évangile ne consistait pas « en paroles seulement, mais aussi en puissance, avec l’Esprit Saint et une pleine persuasion » (1 Thessaloniciens 1:5). Pierre parle sûrement de la même chose lorsqu’il se réfère à « ceux qui vous ont prêché l’Evangile par le Saint-Esprit envoyé du ciel » (1 Pierre 1:12) Dans les versets précédents, Pierre parle avec assurance de l’amour que ses lecteurs portent au Seigneur, d‘un commun accord avec une joie « indicible et glorieuse » (1 Pierre 1:8). Dans sa seconde épître, l’évocation de son expérience inoubliable sur la montagne de la transfiguration ne le fait pas tomber dans la nostalgie sentimentale des événements passés dont le souvenir pourrait faire apparaître la situation présente comme manquant de saveur. L’Eglise avait une pleine connaissance du Seigneur (epignosis) bien qu’elle eût conscience d’avoir à le connaître davantage. Voilà qui ressemble à ce que Paul affirme pour sa part en Philippiens 3:8-14 : « Et même je regarde toutes choses comme une perte, à cause de l’excellence de la connaissance de Jésus-Christ mon Seigneur, pour lequel j’ai renoncé à tout, et je les regarde comme de la boue, afin de gagner Christ, et d’être trouvé en lui, non avec ma justice, celle qui vient de la loi, mais avec celle qui s’obtient par la foi en Christ, la justice qui vient de Dieu par la foi, afin de connaître Christ, et la puissance de sa résurrection, et la communion de ses souffrances, en devenant conforme à lui dans sa mort, pour parvenir, si je puis, à la résurrection d’entre les morts. Ce n’est pas que j’aie déjà remporté le prix, ou que j’aie déjà atteint la perfection ; mais je cours, pour tâcher de le saisir, puisque moi aussi j’ai été saisi par Jésus-Christ. Frères, je ne pense pas l’avoir saisi ; mais je fais une chose : oubliant ce qui est en arrière et me portant vers ce qui est en avant, je cours vers le but, pour remporter le prix de la vocation céleste de Dieu en Jésus-Christ. »

 

Le Nouveau Testament et aujourd’hui

 Une des difficultés lorsque l’on aborde un tel sujet se fait jour dès que l’on tente d’établir un lien de comparaison entre la vie et l’expérience de l’Eglise d’aujourd’hui et celles du Nouveau Testament. En particulier, lorsqu’il s’agit d’expliquer ou d’interpréter le langage hautement expérimental qui est utilisé pour caractériser la vie de l’Eglise du Nouveau Testament, nous pouvons facilement tomber dans le risque de lire ce qui nous est relaté à ce sujet à travers les lunettes de notre propre niveau d’expérience spirituelle. Le problème, en effet, consiste à décider quelle doit être la norme : ou bien notre propre expérience, ou bien celle de ces chrétiens du Nouveau Testament. Le problème devient encore plus aigu, vu par des yeux d’observateurs flegmatiques dont la lèvre supérieure semble ankylosée depuis leur plus jeune âge ! La difficulté n’est pas moindre quand ces derniers, abandonnant soudainement leur retenue initiale, s’emballent dans des élans désordonnés de d’émotionnalisme juvénile. Ce que ces personnes démontrent alors, ainsi « libérées », ressemble pour beaucoup à une contrefaçon de ce qui était réel et authentique dans l’Eglise du Nouveau Testament.

La disparité potentielle entre ce qui se pratique couramment aujourd’hui et ce qui s’est incontestablement vécu alors est un thème dont les compositeurs d’hymnes se sont fréquemment emparés. En effet, ces compositeurs exprimaient dans le langage du chant le fardeau dont faisait état Moïse dans sa prière d’Exode 32-33. Prenons comme exemple les paroles d’un hymne de Charles Wesley :

Maintenant nous savons qui tu es,

Mais, ô Seigneur, révèle-toi !

 De telles paroles peuvent être mal interprétées si elles sont prises comme les déclamations poétiques de quelqu’un qui serait davantage dans une introspective mystique plutôt que dans le monde de la théologie biblique. La présence de Dieu et le sentiment de la présence de Dieu ne doivent jamais être séparées de façon irrévocable, ni confondus, ce qui serait source d’erreur. Il n’y a aucun doute là-dessus : Jésus-Christ tient toujours ses promesses, que nous le ressentions ou pas. Dans ce domaine, comme tout au long de notre vie chrétienne, nous devons marcher par la foi et non par la vue. Il est vrai que ni notre salut, ni la mesure des bénédictions que nous avons reçues ne dépendent de nos sentiments. Pourtant, ce n’est pas non plus une raison valable pour en conclure que nos sentiments n’ont aucune importance. La chose la plus importante, c’est d’aller au ciel. Mais la meilleure des choses, c’est de pouvoir y aller avec une pleine assurance !

Sans aucun doute, il y a des dangers qui accompagnent les émotions. Il n’y a généralement qu’un pas qui sépare les émotions de l’émotionnalisme, et quand les émotions sont forcées (comme c’est souvent le cas dans certains milieux évangéliques), nous avons alors une des plus grandes contrefaçons du malin. Ressentir la présence de Dieu est quelque chose que nous devrions rechercher, désirer ardemment. C’est une chose pour laquelle nous devrions prier. Mais en aucun cas, elle ne peut être créée humainement. Lorsque la présence de Dieu est évidente, il se trouve là un argument indéniable et indubitable confirmant la réalité et l’authenticité de ce que Dieu fait au cours d’un culte particulier. N’est-ce pas en substance l’argument que Paul donne aux Corinthiens (14:24 et 25). En effet, Paul nous dit que les incroyants (apistoi) ou les illettrés (idiotes) seront tout à coup convaincus et qu’ils se mettront à adorer Dieu, reconnaissant la présence réelle de Dieu, Celui qu’ils avaient peut-être nié auparavant. « Et, tombant sur leurs faces, ils adorent Dieu et rendent témoignage que Dieu est vraiment présent  au milieu de nous. »

 

Les dangers actuels

 Une des tendances inhérentes à l’évangélisme en déclin est d’aller à la dérive vers une adhésion à la pensée de « Sandeman » (1718-1781) qui prétendait que l’approbation intellectuelle équivaut à une véritable confession du cœur. Je soutiens qu’une telle façon de penser est en train de prendre des proportions épidémiques dans une grande partie de l’évangélisme moderne. Etrangement, cette approche semble aller de pair avec un émotionnalisme exacerbé qui, dans certains cercles évangéliques, est confondu avec la véritable expérience de la présence de Dieu que décrit le Nouveau Testament. Je suggère que la solution à ces deux problèmes se trouve dans une juste compréhension du concept de la présence de Dieu.

Afin de développer ce point, je voudrais m’arrêter sur cette question : que doit faire une église qui ne sait pas grand-chose, sinon rien au sujet des douces influences ressenties du Saint-Esprit qui lui communique quelques expériences de la manifestation de la présence de Dieu ? Ce qu’elle ne doit surtout pas faire, c’est désespérer. Elle ne doit pas non plus se contenter de penser que la pauvre condition de stérilité dans laquelle elle se trouve soit la norme, et par conséquent s’enfermer dans une sorte de complaisance sans espoir et sans foi. Elle doit plutôt remercier Dieu pour ce qu’elle sait déjà et pour ce qu’elle croit, et en même temps se demander tout comme Isaac Watt :

Allons-nous donc continuer

A vivre à ce niveau pitoyable ?

Notre amour est si faible et si froid envers toi,

Et ton amour pour nous est si grand !

 C’est là que commence à apparaître la réponse comme l’indique ensuite Watt :

Viens, Saint-Esprit, colombe céleste,

Avec ton pouvoir revivifiant.

Viens, répands parmi nous l’amour du Sauveur,

Celui qui ranimera le nôtre.

Se poser cette question permettra à cette église de ne pas s’installer dans des habitudes de la chair ou dans des illusions inspirées par l’ennemi qui pourraient se présenter comme le remède immédiat à tous ses maux.

Spurgeon, dans un autre contexte, affirmait que l’indépendance, en dépit de tous ses dangers potentiels et de toutes ses déficiences, est la meilleure forme de gouvernement dans l’Eglise. Que nous soyons d’accord ou non avec son affirmation sur l’ecclésiologie du Nouveau Testament, là n’est pas mon propos. Cependant, c’est la discussion par laquelle il a essayé de justifier sa position qui m’a paru intéressante. L’indépendance, selon son raisonnement, ne peut s’inventer des béquilles sur lesquelles s’appuyer dans des temps difficiles. Prenons, par exemple, la petite fille de la comptine qui, « lorsqu’elle est gentille, se montre très, très gentille, et qui, lorsqu’elle est méchante devient vraiment très méchante. » Il en va de même avec l’indépendance : on ne peut camoufler ses manquements. Cela devrait mener l’Eglise, qui s’humilie devant Dieu, à l’implorer pour qu’il remédie à la situation. La comparaison n’est peut-être pas exacte, mais cependant suffisante pour être pertinente. Il ne peut y avoir aucun substitut à la manifestation de la présence de Dieu qui reste toujours à la portée du peuple de Dieu, selon les promesses bibliques. Lorsque cette manifestation n’est pas expérimentée, l’Eglise devrait humblement chercher Dieu en vue de l’obtenir, sans pour autant négliger ses autres devoirs, ni renier ses bénédictions du moment présent, mais en reconnaissant simplement qu’il y a toujours infiniment plus auprès de son Dieu et Père. Car il désire être en communion avec ses rachetés par le sang de son Fils, et il désire communier avec tous ceux qui ont été régénérés par l’œuvre du Saint-Esprit.

 

Parole et Esprit

Il est devenu évident au cours de cet exposé que je cherche à justifier et promouvoir une insistance renouvelée sur ce que j’appellerais une conjonction biblique entre la Parole et l’Esprit. Doit-on en partie – voire même en totalité – reprocher la pauvreté contemporaine de nos églises à ceux d’entre nous qui ont été appelés à exercer le ministère de prédicateur ? Cette accusation peut paraître dure, et même peu charitable. J’ai pourtant le sentiment que cet état de fait est trop vrai pour être simplement mis de côté. Qu’est-ce que prêcher ? Comment doit-on prêcher ?

La plus grande partie du siècle passé a témoigné d’une bataille, d’une lutte entre ce que l’on pourrait résumer commodément par le terme de « libéralisme » et un évangélisme largement décadent. Dans le meilleur des cas, ce dernier a souvent été simpliste et habituellement en recul. Puis, il y a eu un changement. Non seulement l’Evangile a retrouvé toute sa place, mais il a été proclamé avec une nouvelle audace. La richesse doctrinale d’antan a été redécouverte, et plusieurs de nos chaires sont devenues des endroits où la vérité a été proclamée dans une forme qui avait été inconnue pendant littéralement de nombreuses années. Nous devrions être reconnaissants à Dieu pour cela et le louer de tout notre cœur.

Mais l’histoire n’est pas totalement faite de choses agréables et de lumière. Les indices ne manquent pas pour affirmer que bien souvent, un intellectualisme évangélique basé sur la doctrine a émergé, Intellectualisme qui pense qu’aussi longtemps que la vérité est prêchée au lieu de l’erreur, alors la bénédiction suivra. Mais il n’en a pas été ainsi. C’est pourquoi une grande majorité de la population dans la nation n’a pas été touchée.

Parallèlement à cela, peut-être un peu tardivement, a été l’émergence de ce que l’on a décrit approximativement comme le « mouvement charismatique ». J’emploie délibérément cette expression sans aucun préjugé, comme une locution descriptive de sens général et neutre. Parmi les chrétiens de conviction réformée en particulier, il y a eu souvent – pour ne pas dire une aversion – tout du moins une certaine réaction contre ce mouvement. Tristement, que cette attitude ait été juste ou erronée en tant que jugement théologique (et je n’ai pas pour objet de développer ce point), la conséquence inévitable en a été une suspicion sur toute recherche de « quelque chose de supplémentaire » dans la prédication.

On vous promettait un sort plus épouvantable que la mort théologique en vous bannissant de certains cercles réformés pour avoir été un « crypto-charismatique ». En témoigne le mépris avec lequel Martyn Lloyd-Jones a été critiqué pour son point de vue dans le domaine.

Je suis persuadé que tout cela a contribué au déclin de la prédication. Où se trouvent les prédicateurs d’aujourd’hui ? Nous n’avons pas l’excuse de nous réfugier sous un abus de la souveraineté de Dieu qui peut lever des prédicateurs et les envoyer quand bon lui semble ! Pourquoi ne le fait-il pas ? Comprenons-nous ce que prêcher signifie, ce que cela pourrait être et devrait être ? Ou bien supposons-nous que les sermons orthodoxes et leurs illustrations appropriées – pendant une période pas trop longue, de peur que leurs auditeurs ne finissent par faire la sourde oreille – soient ce que Pierre voulait dire lorsqu’il parle d’hommes prêchant « avec le Saint-Esprit envoyé du ciel »? Si vous le croyez, comme je l’espère, que la prédication doit être le point culminant du culte et qu’il concerne à la fois le prédicateur et l’assemblée, alors il y aura des implications et des résultats inattendus et surprenants sur tout le reste de la réunion. Non pas que quelqu’un, soudain, tombera sur la formule liturgique du XXIe siècle, celle qui résoudra tous nos problèmes et aplanira toutes nos différences. Mais il y aura un sens profond et envahissant de la présence du Seigneur, ce qui n’est pas le cas actuellement dans beaucoup de nos réunions habituelles.

Peut-être suis-je en train de décrire la préparation pour un réveil ou le réveil lui-même, je ne sais pas. En tous cas, le réveil est immatériel. Sans une telle visitation d’en-haut, je ne vois pas d’espoir pour un progrès ultime des églises dans notre pays. Des projets d’évangélisation bien intentionnés, des conférences, des programmes peuvent avoir leur place, mais ils ne sont pas la réponse. Encore moins les multiples recettes qui semblent préoccuper la pensée évangélique de notre époque en déclin. Nous avons besoin de ce qui a toujours été la marque caractéristique et indubitable d’un véritable réveil : la manifestation de la présence de Dieu qui est ressentie et expérimentée. Archibald Alexander, de la vieille école de Princeton en a exprimé les bénédictions mieux que quiconque :

« Dans de tels réveils, il y a une grande solennité et un grand silence. Les convictions de péché sont profondes et humbles. Pour le pécheur condamné, la justice de Dieu est clairement ressentie et reconnue. Tout refuge en dehors de Christ est abandonné. Le cœur se met à ressentir sa propre dureté impénétrable. Mais lorsqu’on s’y attend le moins, il se fond dans un sentiment plein de reconnaissance de la bonté de Dieu, dans l’amour de Christ. La lumière est alors déversée dans l’âme du repentant de manière croissante ou par un flash soudain. Christ est révélé par l’Evangile, et une pleine assurance du salut, souvent joyeuse, en Jésus se fait jour. Un esprit bienveillant, humble, contrit, prêt à pardonner prédomine. L’amour de Dieu est répandu dans toute la communauté. Pour certains, une joie indicible et pleine de gloire remplit l’âme. Un esprit de service prend place. La Parole de Dieu devient extrêmement précieuse. La prière devient l’exercice dans lequel l’âme se trouve tout à fait dans son élément, car, en elle, les cœurs s’approchent de Dieu, sa présence est ressentie et sa beauté évidente. L’âme née de nouveau soupire après la connaissance de Dieu, après la communion avec lui et après la conformité à sa volonté. Puis éclate dans cette âme un désir inextinguible de répandre la gloire de Dieu. » (W. B. Sprague, Lectures on Revivals of Religion, réimprimé en 1959, Banner of Truth, Londres, Annexe, p. 4f. Lettre d’Archibald Alexander.)

La conviction que notre Dieu est le seul à pouvoir produire tout cela doit grandir en nous et nous amener à tomber sur nos genoux jusqu’à ce qu’il le fasse.

Graham HARRISON, Newport, South Wales.

 

Notes :

  1. Partie de la théologie qui traite de la nature et de la vie de l’Eglise.
  2. De « holisme » : doctrine épistémologique, selon laquelle, face à l’expérience, chaque énoncé scientifique est tributaire du domaine tout entier dans lequel il apparaît.