Suspendus depuis le 15 septembre dernier, des médecins, chirurgiens, infirmiers, aides-soignants et personnels des hôpitaux sont en grève malgré eux, car ils refusent de se faire vacciner en dépit de l’obligation de présenter un passe sanitaire ou vaccinal.

« Les méfiants, ni un passe vaccinal, ni un passe sanitaire ne les fera changer d’avis » affirmait la semaine passée Olivier Véran. Le ministre de la Santé et des Solidarités semble avoir raison, la majorité des soignants que nous avons eus continuent de refuser l’injection malgré la perte de leur salaire.

Nous avons contacté par téléphone plusieurs de ces professionnels qui ont témoigné pour FranceSoir, la réalité de leur quotidien en période de suspension : l’importance de lutter contre l’isolement, la difficulté de la dépendance financière, la déprime puis le positivisme de la joie d’entrevoir un « nouveau monde » prochainement. Ces entretiens ont été réalisés entre le 31 décembre 2021 et le 24 janvier 2022.

Une page se tourne

Pour Gregory Pamart, comme un symbole, la fin d’année 2021 était aussi la fin de son aventure de médecin dans la commune de Jenlain (1 000 habitants) dans le département du Nord. Le jour du réveillon de la nouvelle année, il venait de libérer son cabinet, quand nous l’avons contacté. Pour ce médecin généraliste comme pour la plupart de ses confrères ayant pris position contre la vaccination obligatoire, hors de question d’accepter les conditions de travail qu’on lui impose.

La difficulté à garder son cabinet pour un médecin vient aussi du niveau des charges qu’ils continuent à payer. Car si le cabinet ne peut plus continuer à recevoir de client, le propriétaire doit néanmoins payer les charges qui incombent à la gérance d’un cabinet médical : « ça fait drôle, ça y est. J’ai dévissé les plaques, c’est une page qui se tourne. C’est un choix administratif effectivement, il y a les charges. C’est aussi un choix personnel, il y a aussi le rapport à moi-même : parce qu’on dit « les soignants suspendus » et c’est vrai que c’est une sensation d’être suspendu à quelque chose : pas tout à fait dans le vide, pas tout à fait en l’air. Et, donc tout pendant que je me sentais suspendu à ce fil je n’avais pas la sensation de pouvoir construire convenablement des choses pour l’avenir. J’avais l’impression d’être bloqué. »

Le médecin espérait en effet « reprendre son activité », il se voyait y travailler jusqu’à la retraite. Un sentiment d’« injustice » et d’avoir été empêché de pouvoir servir et d’aider les autres. Ce sentiment d’être coincé dans cette situation, les autres soignants interrogés la connaisse bien. Les médecins interrogés n’ont pas repris leur activité au moment de l’interview mi-janvier après quatre mois de suspension.

 

Bataille juridique et privation des aides à la précarité

Pour Stéphanie, infirmière, le malaise est aussi important, elle était en arrêt maladie depuis le 11 septembre, quatre jours avant l’instauration de l’obligation vaccinale des soignants. Elle pensait pouvoir passer entre les gouttes, finalement la soignante est suspendue et son arrêt maladie également, elle ne perçoit plus d’aide à ce niveau-là : « ce que je demande, c’est la reconnaissance de mon arrêt maladie, ils sont censés voir que j’étais en arrêt avant ma suspension. Et ce qu’ils marquent sur le papier est faux, on me dit que je suis suspendu le 13 septembre après un entretien effectué le 15. Il n’y a pas eu d’entretien puisque j’étais en arrêt et je pense qu’ils se sont trompés dans les dates, ils voulaient dire suspendu le 15 après l’entretien le 13, mais même avec ces erreurs administratives, on envoie des courriers, mais on ne peut pas faire valoir nos droits […] Avec le collectif dans lequel je suis, il faut faire un référé avec un recours en fond, on a essayé de gagner du temps, mais ce qu’on voit, c’est que c’est plus facile de gagner avec le référé avant la date de la suspension. On m’a dit ici dans l’association qu’à Paris où on est plus proche du pouvoir, les juges sont plus durs à convaincre qu’en province, donc pour l’instant, on a rien intenté, l’association a peur de la corruption des juges. Quand vous entendez ça, vous n’imaginez pas dans quelle colère je suis. »

L’aide juridique est aussi barrée par des obstacles : « on ne peut même pas porter plainte parce que si l’on perd, il faut pouvoir payer les avocats et les intérêts à l’autre partie. Déjà qu’on est sur un fil, on ne peut pas tout se permettre », témoigne un autre soignant.

Vivien, personnel des hôpitaux, a aussi été déçu par l’impuissance face à la justice : « je suis toujours en procédure par le biais de deux avocats. Avec le premier, on a fait un référé « suspension en urgence » qui a carrément été rejeté par la juge des référés d’Orléans, elle n’a même pas lu le réquisitoire, elle l’a rejeté en bloc. Ce genre de procédure ont déjà été déboutés dans d’autres régions et maintenant ils s’appuient dessus pour rejeter immédiatement les nouvelles plaintes qui leur arrivent. On est convaincu que la juge nous aurait donné raison, si elle avait juste accepté de lire le référé ».

Pour les infirmiers et aide-soignant entre autres, les salaires plus bas rendent la survie en temps de suspension encore plus difficile que pour les chirurgiens et médecins. Les aides leur sont également refusées ou rendues compliquées d’accès lorsqu’ils veulent avoir accès au RSA ou aux autres aides à la précarité. Vivien s’appuie sur les aides au logement : « avec notre fille, on a les aides de la Caf, mais après avoir payé le loyer, on a plus rien pour manger donc… Pour le RSA, normalement on doit avoir droit, j’ai rendez-vous avec un agent pour cela, donc on verra ce que ça donnera. »

D’autres soignants contactés ont déjà eu ces rendez-vous et ont été refusé, les agents de ces caisses d’allocations se montraient « sévères », selon une infirmière, lorsqu’ils traitent un dossier d’un « non-vacciné ».

Vivien a la particularité d’avoir été handicapé après un grave accident plus d’un an avant l’obligation vaccinale. Il ne peut plus reprendre de travail comme il le souhaite, la difficulté de se retourner est encore plus grande pour ce travailleur des établissements de santé : « ils nous proposent des rendez-vous pour trouver des solutions, mais ces rendez-vous sont stériles parce qu’ils ne comprennent pas nos choix ».

 

Les soignants face aux alternatives

Contacté pendant leur temps à la maison, ces appels téléphoniques étaient souvent animés par l’enthousiasme des enfants de ces soignants. Si la situation est stressante, un des points positifs pour ces métiers hyperactifs est que ces médecins, infirmiers et autres ont pu se rendre beaucoup plus disponible pour leur famille. Néanmoins, on sent que le sujet n’est pas là. Si leur corps est à la maison, l’esprit est ailleurs et ces soignants retournent sur les sujets sociétaux.

Plusieurs médecins pour lesquels nous respectons l’anonymat, nous confient qu’ils ont eu « l’opportunité » de faire des « faux passes », ce qui leur aurait assuré de reprendre le travail. Ces soignants ont fait le choix de continuer leur suspension pour des raisons diverses, soit par peur d’être dans l’illégalité tandis que pour d’autres la cassure est trop grande et ne se voient pas retourner dans le « monde d’avant » : « même si l’on y retournait ce ne serait plus pareil, on se demanderait ce que les élus vont nous pondre la prochaine fois. Même si l’on reprenait, on ne serait pas à l’aise. »

À noter, que même les « collègues » qui ont attrapé le covid ces derniers mois, ont pu retourner dans les établissements de santé exercer leur activité, grâce au certificat de rétablissement. Stéphanie souhaite également avoir ce « Graal » qui permettrait de reprendre le travail : « mais apparemment le virus ne passe pas par nous. On espère vraiment l’avoir, même pour ma fille. Après avoir vécu la peur d’en mourir en mars 2020, aujourd’hui on sait que la dangerosité est tellement faible, qu’on espère pouvoir le contracter pour ensuite avoir la paix pour six mois.

 

Un retour au travail compliqué pour les nouveaux vaccinés

D’autres soignants ont fait le choix de se faire vacciner pour reprendre leur activité « des choix alimentaires » pour ceux témoignant. Ceux qui confient avoir fait ces choix sont restés discrets et n’ont pas souhaité témoigner, à l’exception d’un pompier que nous avions reçu.

Ce pompier était très engagé dans la lutte pour faire valoir ses droits et cette vaccination n’est pas un retournement de veste pour lui. Un choix du cœur, chargé d’émotion il nous explique qu’il ne pouvait pas sacrifier sa vie et son foyer pour lequel il a si durement travaillé : « j’appelle tous ceux qui hésitent à ne pas céder. Moi j’ai grandi dans les cités et là j’ai la cinquantaine, je suis papa depuis que j’ai 45 ans, j’aurais pu continuer le combat, mais cela aurait signifié vendre la maison et tout. On en a beaucoup parlé avec ma femme et on a choisi d’arrêter.

Je travaille en tant que pompier, et j’ai un autre poste dans le soin à l’hôpital, mes diplômes sont dans ce milieu-là je ne pouvais pas me reconvertir facilement. Mais ça fait mal, les deux choix faisaient mal… »

Ce pompier nous explique son avis sur les vaccins dans lequel il n’a aucune confiance et appelle tous les autres soignants suspendus à poursuivre le combat, lorsque nous lui posons la question s’il a le sentiment de s’être fait « violer », il répond sans hésitation : « ah oui, complètement, j’ai le sentiment de mettre fait violer, ni plus, ni moins, le gouvernement nous viole avec cette obligation ».

L’intéressé poursuit que la reprise du travail n’a pas été facile : « je ne me sens plus lié à ce travail, il n’y a plus la joie de le faire comme auparavant. Quelque chose a été cassé, il n’y a plus la passion. Je n’y vais plus le matin en me disant qu’on va faire ci et ça, je me sens à moitié vide quand j’avance. »

Un couple d’infirmier et de chirurgien, tous deux suspendus expliquent ce qu’ils voient de leurs confrères ayant repris le travail : « Il y en a un qui a repris le travail grâce au certificat, donc lui on ne l’embête pas, mais si vous voulez il y a une autre médecin qui a été arrêté longtemps. Là quand elle a repris, les collègues de son service ne lui ont pas fait de cadeaux. C’est même pire, ils ne croient pas dans son passe, ils sont persuadés qu’elle a fait un faux pour reprendre le travail. Après quelque semaine de boulot, elle a dû se mettre en arrêt maladie pour dépression. Cette pression au travail, plus le mal-être d’être vacciné contre son gré, ça a été trop dur ».

Un des médecins interrogés voit ces reprises de façon philosophiques : « j’ai même beaucoup de patients me disent qu’ils n’ont pas eu le choix, c’est important pour moi de rappeler qu’on reste toujours acteur. Et, si l’on refuse, on rejette la responsabilité et au final on le vit encore plus mal. »

 

Construire dans un « nouveau monde » plutôt que retourner en activité

Pour le couple, l’idée de reprendre le travail n’est pas d’actualité : « On a complètement changé notre vision, on se dit maintenant qu’on soigne mal les gens depuis X années, on pourrait utiliser d’autres traitements pour soigner et là on est tombé dans la surmédicalisation, big pharma et tout, cacheton-cacheton-cacheton et puis hop. Ce n’est pas ça la vie, après réflexion. »

Les médecins suspendus deviennent résistants et s’organisent avec d’autres systèmes : « aujourd’hui, on est indépendant avec mon mari, on a plus d’enfant à charge, on vit autrement avec cette suspension. On a rencontré beaucoup de gens aux manifs dont une association, le CLP où on est allé, où on est mille maintenant. On a rencontré plein de monde avec des vraies valeurs, qui sont humains et ça change, avant la suspension on ne connaissait pas ça, on était dans le travail toute la journée, après on rentre, on dort. Là, on découvre d’autre chose, vraiment très riche. Des gens avec divers métiers. On voit bien qu’il y a des choses qui bougent et pendant ce temps nous on s’investit dans ces réseaux d’entraides. C’est ça qui nous fait, non seulement tenir, mais en fait on est beaucoup plus épanoui, on est en accord avec ce qu’on veut. Et un nouveau monde, c’est pas mal. »

Le Dr Pamart partage pleinement cette vision de la société de demain : « Professionnellement, j’essaye quelque chose d’assez incroyable qui est la gratuité, c’est-à-dire que j’ai continué à soigner des patients mais sans frais. Parce que dans l’échange marchandisé, vous perdez toujours quelque chose, quand il faut donner de soi contre de l’argent, selon moi on s’appauvrit. Pour moi, c’est un vrai plaisir de soigner les gens, de savoir qu’ils vont mieux, de savoir que j’ai fait ce qui est bon de faire. La médecine, c’est servir, et je suis heureux quand je sers. »

Auteur(s): FranceSoir