C’est une des facettes sombres de l’Ukraine que l’actuelle invasion russe met crûment en lumière. Le « grenier à blé » de l’Europe est aussi son « usine à bébés ». Un pays somme toute proche, où, en toute illégalité, des citoyens français peuvent commander un enfant à une agence de Gestation Pour Autrui (GPA), qui se chargera de trouver la mère correspondant à leurs attentes.

 

Une nouvelle forme d’esclavage, d’exploitation du corps des femmes. Un trafic qui profite de leur pauvreté pour faire de juteux bénéfices. Bref, un business comme un autre : comptez 40 000 euros pour une GPA en Ukraine, dont environ 15 000 pour la mère porteuse (dans un pays où le salaire mensuel moyen tourne autour des 300 euros…)

Mais l’invasion de l’Ukraine a changé la donne pour certains couples y ayant « commandé » leur enfant. Elles les a amenés à tout faire pour ramener ces mères porteuses ukrainiennes dans l’Hexagone afin qu’elles y accouchent. Le Figaro évoquait ainsi, récemment, le cas de Katarina mère porteuse âgée de 36 ans, qui n’a pas pu emmener ses propres enfants avec elle, deux fillettes de 10 et 3 ans. Au-delà de l’interdiction de la GPA en France, c’est aussi un délit qui est commis par ces ressortissants français : celui de détournement de l’institution de l’adoption. En effet, en France la femme donnant naissance à un enfant est automatiquement désignée comme sa mère à l’état civil. Pour contourner cette règle, les mères porteuses ukrainiennes venues en France doivent donc accoucher sous X. Le père biologique effectue en parallèle une reconnaissance prénatale de l’enfant afin d’établir sa filiation paternelle. Il ne reste alors plus à la mère d’intention qu’à lancer une requête en adoption plénière de l’enfant de son conjoint. Un stratagème déjà pratiqué depuis des décennies par les tenants de la GPA, mais condamné en 1991 par la Cour de cassation et interdit par la loi en 1994. La pratique revient donc en ces temps de guerre, la GPA s’invitant cette fois carrément sur le sol français. Ainsi, la stratégie des petits pas se poursuit sur ce sujet comme sur d’autres auparavant, entre soutien actif des ambassades et parquet ne poursuivant pas les couples concernés pour provocation à l’abandon d’enfant. Seule l’aide sociale à l’enfance semble encore parfois tiquer face à ce détournement de la finalité de l’accouchement sous X.

Cinq plaintes contre X ont été déposées après l’accouchement de mères porteuses ukrainiennes en France, pour « incitation à l’abandon d’enfant ». Le parquet de Saintes a ouvert une enquête préliminaire pour « provocation à l’abandon d’enfant », « entremise entre un couple et une personne acceptant de porter l’enfant » et « substitution volontaire, simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l’état-civil d’un enfant », a annoncé le procureur de la République Benjamin Alla, dans un communiqué. Au moins une autre enquête aura déjà été ouverte en France, d’autres parquets ayant à l’inverse décidé de ne pas poursuivre les couples concernés. « Nous avons porté plainte parce que les faits constituent un délit pénal, explique Aude Mirkovic, porte-parole de l’Association Juristes pour l’enfance. Ces mères porteuses ont passé un contrat de GPA avec des couples français. La guerre n’a pas créé cette situation, elle a juste déplacé le lieu où se déroule la tractation. Pourquoi les faire venir en France ? Ce n’est pas un geste humanitaire. C’est pour avoir une chance de récupérer l’enfant. Emmanuel Macron dit que la GPA est la ligne rouge que la France ne franchira jamais, mais la laisse s’installer en France, étape par étape. » L’étape suivante sera-t-elle de recruter directement des mères porteuses en France ?

Judikael Hirel

Pour aller plus loin :

La GPA importée en France sur fond de guerre en Ukraine : en finir avec l’inertie

>> Lire l’article sur Marianne

 

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